Pour autant là n’est pas la question au moment où un homme est détenu parce qu’il est un écrivain, un écrivain critique, un écrivain libre de son expression, un écrivain qui écrit ce qu’il voit et dit ce qu’il a le droit de penser. Cela s’appelle en quelque sorte le libre-arbitre, cette bataille qui a pris des siècles pour affirmer sa victoire fragile en Occident là où presque partout ailleurs elle demeure à l’état embryonnaire.
Encore une fois, le soutien que nous devons apporter à Boualem Sansal ne saurait se discuter, ne se discute pas, ne peut en aucun cas se conditionner à une quelconque réserve.
Ceux qui monnayent plus ou moins leur secours justifient à mots couverts les motivations des geôliers. Ils en sont les « idiots utiles », catégorie politique et intellectuelle qui parmi les Occidentaux est comptable d’une très et trop longue tradition mais dont on pensait qu’elle avait à l’épreuve des faits disparu. Il ne faut jamais préjuger de la fin de la bêtise dont cet autre grand écrivain d’Algerie, Albert Camus, disait qu’elle « insiste ». Il y aura toujours ceux qui préfèrent s’accommoder que se lever mais quand bien même, s’accommoderaient-ils au pire ce n’est pas une raison pour que nous nous accommodions à leurs compromissions.
La détention de Boualem à Alger est un scandale attentatoire à la personne humaine et à sa dignité ; elle pourrait en France se transformer en « Affaire » à raison de l’inaction des uns et des insinuations des autres.
C’est bien évidemment ce qu’il faut éviter car les hiérarques qui ont enfermé Sansal parient forcément sur la faiblesse et les divisions de la France. C’est aussi ce que révèle dans ses profondeurs de l’état de notre société la réclusion arbitraire dont est victime le romancier franco-algérien. Lui si modeste et si lucide à la fois en serait gêné mais nécessairement pas surpris tant dans son analyse des rapports entre Paris et Alger il a diagnostiqué les complexes français et les surenchères algériennes, lesquelles nourrissent non sans succès hélas les premiers. Boualem est un ami précieux de l’humanité, de la tolérance, de la liberté, de la curiosité intellectuelle, bref de tout ce qui fait le sel de la vie, et qui in fine lui donne la couleur de l’optimisme, quand bien même traverserions-nous des temps assombris et pessimistes. C’est pourquoi sur ce seuil de l’année nouvelle il nous faut avec énergie et confiance appeler encore et toujours à la mobilisation du plus grand nombre pour que soit mis un terme à une captivité inacceptable et déjà trop longue. Aider à sa libération est un devoir qui ne se calcule pas, pas plus que ne se calcule l’honneur de la République dès lors que ses principes sont en jeu.
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université