C’est un amendement introduit en catimini par le gouvernement dans le cadre de l’examen du projet de loi organique relatif à l’élection du Président de la République qui a suscité l’ire des sénateurs. Le texte prévoyait en substance la possibilité pour les électrices et les électeurs qui en feraient la demande de pouvoir voter par anticipation via un dispositif électronique dans des bureaux de vote et à une date à déterminer par décret. L’objet affiché de l’initiative de l’exécutif était de moderniser les opérations de vote afin de faciliter la participation citoyenne.

La chambre haute a rejeté avec raison cette mesure. Le problème que cette dernière posait relève tant de la forme que du fond. La précipitation avec laquelle ce dispositif a été inséré dans le débat parlementaire n’est pas à la hauteur de l’enjeu qui suppose tout d’abord un examen de fond rendu impossible par cette introduction de dernière minute. On ne change pas les règles du jeu sur un coin de table à moins d’un an d’une campagne électorale, sauf à accréditer les thèses les plus complotistes. Au mieux il s’agit d’une négligence , au pire d’une forme de « flibusterie » politique pour le moins mal préparée. L’expérience sénatoriale a fait pièce à cette entreprise.
Sur le fond, rien ne démontre que la question de la désaffection électorale y trouvera remède. Celle-ci a d’autres causes que de simples déterminants organisationnels. Elle est liée principalement au fonctionnement des institutions, à la qualité de l’offre politique et au sentiment d’impuissance publique que les majorités successives peuvent générer dans l’opinion.
Mais l’amendement gouvernemental est porteur d’autres difficultés. Il interroge la confiance dans la régularité des opérations de vote que pourrait provoquer l’adoption d’un tel dispositif. Benjamin Morel l’a justement rappelé dans un entretien pour Le Figaro, se référant entre autres à un arrêt du tribunal constitutionnel fédéral de Karlsruhe interdisant outre-Rhin les machines à voter. C’est par ailleurs un autre principe qu’est susceptible de mettre à mal un tel processus : le principe d’égalité puisqu’en étalant le scrutin sur plusieurs jours, en même temps que la campagne électorale se poursuivrait, c’est le continuum informatif de chaque citoyen au moment du vote qui risque d’en être affecté.
La force de la République s’inscrit dans ses rites, dans la continuité de ces derniers, dans ce qu’ils soulèvent de symboles. En France, le vote suppose une unité de lieu ( le bureau de vote de sa résidence ), de temps (le même jour de vote, à l’exception des Français de l’étranger) et d’action (la campagne électorale). Toute innovation qui consisterait à faire évoluer ce triptyque doit être mûrement réfléchie. On ne badine pas avec les traditions civiques.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire