Nous entrons dans le dur. A presque tout juste un an de l’échéance présidentielle, c’est un paysage politique identique à celui de 2017 qui se dessine, dominé par deux grandes marques nationales sans assises territoriales qui règnent sur les décombres d’offres traditionnelles disposant, elles encore, d’un maillage de fiefs locaux.

À ce stade, les sondages réitèrent le scénario d’il y a cinq ans mais ce scénario passé demeure pour une large part fictionnel, tant de nombreuses incertitudes continuent de planer sur le déroulé forcément imprévisible des événements à venir. Pour autant, les projections confirment un enseignement jamais démenti : il n’y a pas d’efficience politique sans détermination sociologique. Tant le macronisme que le marinisme ont réussi ce que leurs concurrents éparpillés et parfois déboussolés ne sont pas parvenus à effectuer : ils ont arrimé l’un et l’autre leur zone de chalandise respective : au premier, les CSP plus et une partie des classes moyennes urbaines, au second les classes populaires et moyennes des zones périphériques entre autres. Cette réalité là est une vérité politique à laquelle se cogne, sans y trouver de solution, les anciennes forces de gouvernement.
Fortes territorialement, faibles socialement, elles apparaissent comme les franchises d’une subsidiarité de la réalité politique : on leur prête un crédit tant qu’elles s’occupent du local, une expérience tant qu’elles se concentrent sur le terrain, un savoir-faire tant qu’elles s’installent dans la proximité du quotidien. Pour autant, dans un pays où la verticalité politique est irriguée par un vieux subconscient monarchique, où le pouvoir est investi de sa capacité à transcender les volontés locales ou particulières de la société et de ses sociétaires , les ” vieux ” partis n’incarnent plus un souffle national, ils sont mêmes littéralement ” essoufflés ” – ce qui explique que nombre de leurs figures les plus marquantes s’en soient éloignées tant à droite qu’à gauche .
Cette double scène politique est le résultat tout à la fois d’un désenchantement et d’une survivance. C’est parce qu’elles sont perçues comme le produit d’une impuissance que les électeurs ont abandonné les formations qui se sont succédé à la tête de l’Etat depuis des décennies. Mais ce sentiment d’impuissance va peut-être plus loin encore : il témoigne de la déshérence de la forme politique de l’Etat-nation qui n’a plus rempli ses missions de protection et de transformation, dépassé par des forces supranationales ou transnationales. Ce vide du pouvoir hante désormais une société qui ne voit plus comment ce dernier est susceptible de fabriquer de la volonté générale, de l’action, de la politique en d’autres termes, de défendre ce que Rousseau et à sa suite Sieyès dessinèrent comme ” les intérêts moraux et matériels du peuple “. Cette désillusion que l’audace de Macron en son temps a su gérer électoralement n’en demeure pas moins le réceptacle d’une attente. Il n’y a pas de fatalité à la perte de la souveraineté. Reste à quel niveau on place cette dernière : européenne pour Macron, nationale, quoiqu’avec un infléchissement, pour Le Pen.
C’est autour de cet enjeu matriciel que se jouera le scrutin de 2022. Force est de constater, et sans préjuger de l’avenir, que dans le moment les seuls à aborder la question sans faux-semblants demeurent aux yeux d’une grande partie de l’opinion les finalistes de 2017. Cet invariant explique sans doute l’immobilité des projections et de la cartographie électorale. Parce qu’ils incarnent la lisibilité politique et les grandes nervures sociologiques du pays, c’est finalement sans surprise qu’Emmanuel Macron et Marine Le Pen structurent à un peu plus de 12 mois de l’élection présidentielle le champ politique national.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef