Tout ceci n’est pas à vrai dire une surprise, si ce n’est que le fossé semble s’être encore accru. Dès le soir même, après qu’ils eurent pour une bonne part étaient infirmés dans leurs projections pré-électorales, les sondages ont délivré des photographies pré-présidentielle dont la lecture devrait inciter à la plus élémentaire des prudences.
A plus de dix mois de l’échéance-clef de la vie institutionnelle du pays, l’incertitude est d’autant plus entière que toutes les offres ne sont pas cristallisées, loin s’en faut ; que celles qui le sont ont été soit fortement défaites lors du dernier scrutin (RN et Marcheurs), soit si elles l’ont emporté ont gagé leurs succès sur un impressionnant taux d’abstention. Tout se passe comme si pourtant la fabrique médiatique des hypothèses présidentielles continuait à tourner à plein régime, nonobstant l’illisibilité de la situation. On peut s’interroger sur cette frénésie et sur son impact potentiel, mais elle contraste à tout le moins avec l’étrange atonie du corps électoral, voire de l’opinion qu’on s’essaierait ainsi de stimuler à grands coups de scénarios virtuels.
Pour autant , nul ne peut douter du changement qu’implique dans l’espace du commentaire politique les résultats de cette élection. D’ores et déjà ils infléchissent les représentations de l’avenir à court terme, ne rendant plus irrévocable dans les esprits la réitération de l’affrontement tant annoncé de 2017. C’est une question oblique que fait in fine surgir cette séquence. Frédéric Bastiat, grand économiste mais tout autant grand observateur, disait qu’il existait deux catégories de choses humaines, celles que l’on voit et celles que l’on ne voit pas. Celles que l’on voit se résument à la bonne résistance des offres politiques historiques, et à leur réinsertion apparente dans un jeu électoral à venir moins figé qu’il n’y parait : l’hypothèse Bertrand à droite relève parmi d’autres de cette nouvelle donne ; celles que l’on ne voit pas forcément génèrent l’idée que l’impact médiatique, dans un contexte d’apparente dépolitisation, tend à s’affaiblir et que les comportements électoraux dans une société fracturée opèrent désormais comme une authentique boîte noire. Rarement comme aujourd’hui peut-être l’espace politico-médiatique n’est apparu aussi décorrélé de la tectonique de la société…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne