C’est ce sourire aux lèvres dont il ne se départit jamais que Joe Biden a justifié le retrait américain d’Afghanistan ce 16 Août. Ce sourire était de trop, il était non seulement de trop, mais il portait toutes les marques d’une forme d’inconsistance aussi sûre d’elle-même que le cynisme dont il trahissait l’élan décomplexé. Cette administration se lave les mains de vingt années de guerre… in fine perdue.
Le problème n’est pas tant le retrait que ses conditions et ses conséquences prévisibles. Déjà une petite musique, imperceptible, s’insinue. Ces talibans finalement ne seraient pas aussi terribles qu’il n’y parait ; ils auraient même changé ; ils pourraient, pourquoi pas, être des interlocuteurs potentiels sous réserve qu’ils soient un tant soit peu…« inclusifs ».
Le mot a été prononcé tout d’abord par l’administration américaine, repris par la suite dans un étonnant et signifiant mouvement de mimétisme par le ministre français des Affaires étrangères que l’on a connu mieux inspiré. Depuis quelques jours les signes d’un dangereux aveuglement se multiplient, pointillistes à n’en pas douter mais bien réels néanmoins. Le talibanisme se serait installé dans une forme d’évolution, comme si sa gangue la plus barbare s’apprêtait à n’être plus qu’un souvenir presque lointain. La bien-pensance a ceci de paradoxal qu’elle est d’autant plus intransigeante chez elle qu’elle est complaisante à l’extérieur de ses frontières. Dans la tragédie afghane se répand cette idée que ces talibans seraient devenus métabolisables… Si ces derniers ont évolué, ce n’est évidemment que pure forme et cette évolution ne les rend que plus dangereux puisque nous leur accordons un crédit, produit autant de notre lâcheté que de notre idiotie occidentale, qui les travestit sous une apparence de fréquentabilité.
Les talibans ont juste dégrossi leur communication, inexistante il y a 20 ans, mais désormais associée à leur stratégie de conquête.
Hypocritement favorisés par des réseaux sociaux qui en Occident ont lancé la chasse à toute pensée un tant soi peu nationale, ou populiste, ils bénéficient d’une indulgence qui en dit long sur le processus terrible d’accommodement qui se met en place et les facilités avec lesquelles nos ennemis les plus radicaux peuvent forcer nos défenses civilisationnelles. Les premiers jours talibanesques à Kaboul ont tout du plan de propagande qui n’a d’autre but que d’endormir nos vigilances démocratiques. Les images grotesquement inédites de ces talibans découvrant des parcs d’attractions et des salles de sports n’ont d’autres objectifs que d’humaniser des guerriers aussi sommaires que brutaux. Il est vrai aussi que les accords de Doha avaient de facto entériné cette entreprise de respectabilité.
Il n’en demeure pas moins que tout ceci n’est qu’illusion. Parce que les nouveaux maîtres de Kaboul le répètent à satiété ; leur programme se résume en une formule : la charia, rien que la charia, toute la charia. La bête talibane reste celle d’un obscurantisme dont la comparaison avec notre moyen-âge est une offense pour ce dernier. Déjà dans les campagnes et les faubourgs, la traque est ouverte contre toute forme de liberté : on assassine, on mure les femmes dans leur burka, on enlève des adolescentes comme butin de guerre. Toute indulgence est en conséquence triplement coupable : elle l’est vis-à-vis de ce qu’il reste de société civile libre là-bas, même s’il ne faut nullement se dissimuler l’existence d’un terreau culturel hélas largement favorable à l’emprise talibane qui explique son succès foudroyant ; elle l’est stratégiquement car déjà les prisons ouvertes signifient que le potentiel terroriste en reconstruction sera l’un des objectifs de ce pouvoir fanatique ; elle l’est enfin quant à notre avenir car une reconnaissance marquerait notre acceptation et soumission à tout ce qui en nie la raison d’être en tant que civilisation.
La victoire talibane, plus par la symbolique au demeurant que par les armes, constitue un épouvantable appel d’air pour toute l’internationale islamiste. C’est une bien mauvaise realpolitik que de vouloir s’en accommoder… Et Monsieur Biden n’avait vraiment aucune raison de sourire en ce funeste 16 Août.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de La Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne