Chaque vendredi tout au long de l’été, la Revue Politique et Parlementaire publie « Parole publique », une fiction de la fabrique de la présidentielle 2022, adaptée du roman à paraître de Pierre Larrouy Et un jour, il monta les marches jusqu’à demain. Aujourd’hui le huitième et dernier épisode.
Retrouvez le précédent épisode et la liste des personnages principaux
Contre toute attente, le Général est élu. Le score est serré mais, surtout, Borde anticipe qu’il n’aura pas de majorité. Le Général l’a compris et lui donne rendez-vous à l’Elysée pour le questionner sur sa manière de voir les choses. Borde s’y attendait. Dans les plis de sa campagne, il a élaboré un plan B…
Borde a rendez-vous avec le Général. Il retrouve les graviers de la cour de l’Élysée qui crissent sous ses semelles neuves. C’est un maniaque des tenues vestimentaires quand il est dans ce type de réunion. Je l’agaçais beaucoup avec mon abus des vêtements noirs. Ça me faisait rire, pas lui. Borde est ainsi. Il peut, chez vous, au bout de la nuit et quelques bordeaux, chanter ou frapper le parquet en hurlant « Je suis citoyen du monde » et être tiré à quatre épingles jusqu’à une forme de rigidité, contrastant avec sa bonhomie, aussi réelle.
Il connaît le chemin, le grand escalier qui mène au bureau, du premier étage, du Président. L’huissier le fait patienter. Pour la forme car, un Général reste un Général, même Président et la ponctualité va de soi.
Le Général :
– Je vous ai fait venir pour qu’on mette les choses sur la table. Je connais votre parcours. Un général s’intéresse toujours aux stratèges, déformation professionnelle. Je vous ai lu aussi. Vous écriviez après une rencontre avec l’état-major que vous faisiez au fond le même métier. Alors allons droit au but. Comment voyez-vous la situation ?
Déjà raide dans son fauteuil, derrière son grand bureau dont les rares dossiers sont impeccablement rangés, il semble figé après avoir prononcé ces phrases. Sa voix, teintée de douceur et de netteté pendant la campagne, est devenue plus saccadée et métallique.
Borde est trop madré pour ne pas comprendre qu’il n’est pas habitué à une telle situation et se cherche une posture entre la rigidité bienveillante qu’il affectait d’être sa marque de fabrique et l’autorité peinte de rouerie du Président politique qu’il sait devoir devenir.
Borde a vu, il va frapper tout de suite avant que l’autre ne trouve son assise juste :
– Alors j’irai droit au but. J’ai l’habitude. J’ai accompagné deux Présidents dans des moments similaires à ceux que vous vivez. D’abord ceci. Vous allez faire un choix, tout de suite, dont vous ne pourrez qu’à grand peine tenter de sortir plus tard. Ce choix va marquer votre présidence et l’image que vous laisserez. A votre place de pouvoir, il n’y a que deux options : devenir un père ou un pervers, celui qui veille sur ses ouailles ou un maître autoritaire qui jouit de sa puissance. Choisir votre dévouement à l’intérêt général ou laissez accroire qu’à cette place, c’est vous qui savez et que vous disposez d’une autorité définitive. De plus dans le contexte actuel, c’est plus violent encore. La rupture avec le peuple sera jugée comme le début d’une tyrannie.
A votre place de pouvoir, il n’y a que deux options : devenir un père ou un pervers,
Borde a dans la tête, cette phrase de Nietzsche cité par Enrique, un parlementaire originaire d’Amérique latine, à la buvette de l’Assemblée nationale : « Les hommes se soumettent par habitude à tout ce qui prétend à la puissance. »
La buvette, lieu mythique dans son étroitesse et son épaisseur. Son jardin longe le Boulevard St Germain en bordure de Seine. Ses sculptures, dans le petit jardin, semblent parler en écho d’une mémoire d’une vie politique intense qui est devenue un pan de la littérature.
Dans un flash, Borde revoit sa commande envers lui-même : filer cette idée que la prochaine décennie sortira de la déshumanisation par ce que je lui ai nommé « la Nouvelle Radicalité Romantique ».
Mais Borde est un animal à sang froid. Quand le professionnalisme l’appelle, il observe. Le coup a porté. Le Général se lève et d’un geste brusque désigne le canapé et les fauteuils pour poursuivre la conversation.
Borde sait, dès lors, qu’il repartira avec une volonté intègre de répondre à ce choix cornélien. Il devra choisir – un général ne tergiverse pas – entre ses partenaires et l’ouverture. Sa place ne lui offre plus le choix entre une option tactique ou une autre, mais, entre le dialogue, avec une autorité réellement bienveillante, et un autoritarisme de posture.
Le Général se détend, un sourire l’adoucit :
– Quelles sont les options possibles selon vous ? J’ai un programme. J’en suis l’homme. Vous voulez que je me dédise ? Que je trahisse ceux qui ont bâti avec moi ? Mon élection ne vaut-t-elle pas assentiment du peuple ?
Il l’interrompt :
– Au plan institutionnel, sûrement. Disons que le champ de bataille s’est radicalement transformé en quelques semaines. Vous devez changer de stratégie. Sinon vous allez cliver la nation, dresser les citoyens les uns contre les autres. C’est la Nation que vous risquez de trahir. La politique a sa dignité qui exige parfois des renoncements apparents de principe. Nous sommes aux portes d’un séisme. La partition menace depuis longtemps mais nous sommes proches de l’éruption. Voyons-nous dans quelques jours avec les résultats de mes études.
– Revenez me voir dans 48h avec des éléments précis. J’associerai quelques collaborateurs et dans la foulée, je trancherai.
– Vous serez seul, sans aucun de vos collaborateurs. En revanche, je viendrai avec mon double, le directeur des études. Nous aurons besoin tous deux de sa radicalité et de son impertinence. Plus tard, vous me remercierez de cet aspect confidentiel.
Un Général peut entendre, même si le ton l’a irrité.
Le rendez-vous avec le Général est musclé. Paul tente de le convaincre :
– Nous ne pouvons plus opposer l’affect et la raison au bénéfice de cette dernière. Sinon, ce sera la diffraction de la société. Les Gilets jaunes n’étaient qu’un très léger aperçu. Ce que nous avons devant nous, c’est ce que les chercheurs en sciences humaines appellent un « phénomène d’émergence ». Quelque chose qui va plus loin que tout ce qui le compose. La société en est là. Elle ne sait pas le dire mais elle va le faire. Il vaut mieux en créer les conditions que de le subir. Dans l’équipe c’est ce que nous appelons la « radicalité romantique ». Une période nécessaire pour que les tensions intimes des gens s’apaisent, qu’ils puissent retrouver une estime de soi, leur dignité et une espérance qui leur parle comme une spiritualité. De manière stupéfiante, mais au fond…
Le Général prend le relais :
– On connaît ça dans l’armée. Dans ces moments où la peur pourrait s’imposer. Ces signes qui permettent le dépassement.
Il semble partir dans ses souvenirs.
On sait qu’on a gagné.
C’est le Général, en personne, qui doit dire la suite. Borde a beaucoup insisté sur cette première étape d’une rupture rassurante. Pour cela, comme il aime à le répéter, il faut nettoyer l’image.
Avec une minutie particulière, à Parole Publique, on a imaginé, tourné et retourné tous les détails, le lieu, la durée… la symbolique maximale. Pour autant, il convient de conserver une forte simplicité, surtout éviter un sentiment de sophistication ampoulée.
Plateau des Glières, le haut lieu de la Résistance, symbolique s’il en est ! Devant la sculpture mémorielle inaugurée par Malraux, un simple micro sur une tige fine, bleu irisé.
Le Général Président est seul dans l’image…
un simple micro sur une tige fine, bleu irisé. Le Général Président est seul dans l’image…
Dans les bureaux de Parole Publique :
Virginie :
On a l’impression d’une foule qui dit seulement : « NON ! ».
Rien de plus… incapable de plus… Mais sûre du « Non ».
Paul :
Que va-t-on faire de ça ?
Borde arrive. Il semble très décidé
Borde :
Ce sera notre plus beau coup mais, aussi, notre clap de fin.
Allez au boulot ! Ce que nous affrontons va au-delà du politique. Avant nous disions « le réel est dans le 20h ». Aujourd’hui, il est dans les réseaux sociaux qui ne sont pas seulement des outils d’influence mais les producteurs d’une « seconde réalité », virtuelle mais qui devient le lieu du réel. Il faut reconnecter les gens avec le vrai réel, ça ne peut passer que par eux mais nous devons en mettre en place les conditions favorables. Je vais vous dire comment on va procéder.
Allez, au boulot !
Fin
Pierre Larrouy
Tous droits réservés
Toute ressemblance avec des personnages réels ne pourrait être que fortuite.