L’Europe s’invitera dans la campagne à venir. Et c’est bien normal. Elle est le facteur qui depuis trente ans a recomposé, voire décomposé la vie politique française.
Emmanuel Macron, sur ce point, n’aura pas varié. Il ne déroge pas à une vision fédérale, qu’il n’assume pas en tant que telle, mais dont toutes les propositions disent les linéaments et la perspective. Le président ne connaît la nation que comme une brique d’un tout et non une finalité, ni une condition exclusive de l’exercice démocratique. Il ne dissimule pas sa volonté d’aller plus loin, plus vite, portant haut et fier un concept, la souveraineté partagée, dont il considère qu’il constitue le moteur de la protection et de la puissance. Il y a là indéniablement cohérence certes, mais que reste t’il néanmoins de cette promesse historique, inscrite au cœur de l’enclenchement de Maastricht. L’Union européenne est devenue en plusieurs décennies une chimère technocratique et idéologique, bien plus qu’une réalité puissante, protectrice et démocratique.
Alors que la France s’apprête à prendre la présidence tournante de l’UE dans un agenda discutable et problématique, puisque le chef de l’Etat présidera celle-ci au moment même où il sera en campagne, Emmanuel Macron a décliné, lors d’une conférence de presse à l’Elysée, les grands axes qu’il entend proposer à ses partenaires pour les six mois à venir. Beaucoup d’intentions, encore une fois, cataloguées dans une perspective qui consiste à aller de l’avant en matière de politique migratoire, de défense, d’environnement, de social, d’investissements… La question consiste à savoir si la perspective en l’occurrence est acceptée par les autres états-membres – ce qui reste à démontrer ; si elle est réaliste, tant jusqu’alors l’UE a montré de faiblesse à protéger notre système productif, nos frontières au regard de flux migratoires peu contrôlés, à nous faire adopter des visions géopolitiques communes alors que le monde bascule dans des fractures nouvelles ; si surtout elle est en mesure de se démocratiser, alors que la dépossession des souverainetés nationales ne s’est pas accompagnée d’une démocratisation de son mode de fonctionnement.
Cette Union est libre-échangiste, mondialisée à tous les courants humains, mouvements financiers, dérégulations économiques, irénique dans son absorption volontairement inclusive, mais elle n’est à coup sûr ni libérale politiquement, encore moins politique au sens de son aptitude à développer des instruments de maîtrise de son destin : elle est avant tout une projection idéologique, un tantinet deconstructrice comme l’a encore récemment démontré l’initiative, retirée in extremis, de la commissaire à l’égalité visant à éradiquer certaines expressions et références culturelles des usages de la Commission ; elle est certainement “liquide” et non solide, pointe avancée d’un endolorissement des peuples, sans autre horizon que d’imaginer les autres grands ensembles régionaux aussi prompts à l’ouverture permanente qu’elle entend l’être.
Cette ligne d’horizon ne cesse de se déplacer, insaisissable, au fur et à mesure que l’histoire se fait. Il n’y aura pas d’Europe sans rupture avec cet abandon à des forces dissolvantes. Les divisons qui ne cessent de s’accroître avec les pays d’Europe centrale, la montée des populismes dont les élites minoritaires s’effraient sans vouloir paraître comprendre les peuples ne sont que les symptômes aggravés d’une incapacité à repenser l’Europe en dehors de la doxa bruxelloise. On eut aimé, de la part du Président, une critique plus offensive des échecs d’hier pour refonder une Europe plus respectueuse de ses diversités nationales. En lieu et place, il a enfoncé le clou, avec une diatribe flou contre les “révisionnismes historiques” et contre, sans les nommer, ceux qui ne respecteraient pas les “valeurs communes” dont on imagine qu’elles sont d’abord sociétales, confirmant par-delà même que le projet qu’il défend est tout acquis à une vision préalablement idéologique avant d’être pragmatique. Le Président en clivant de la sorte et en déployant sa vision 24 heures avant sa rencontre avec le nouveau chancelier allemand prend le risque d’une aventure aussi solitaire que potentiellement soupçonnable d’arrogance. Une faute française, encore une fois…