« La réforme des institutions vient trop tard lorsque la déception des peuples est devenue irréparable, lorsque le cœur des peuples est brisé ». Avant son adresse à la Nation, le président de la République devrait méditer ce mot définitif de Georges Bernanos dans « Les grands cimetières sous la Lune ».
Emmanuel Macron, dont les premiers pas dans la fonction, bien plus au demeurant que l’élection, avaient su créer une forme d’espoir est confronté à l’épreuve d’une colère nourrie par des décennies de désillusions et de ressentiments. Les Français ne croient plus en leurs élites, leurs dirigeants, leurs chefs. L’instant de grâce que le jeune Macron avait pu distiller s’est évanoui, voire même fracassé : évanoui sous l’effet d’une communication dont la maladresse l’a disputé à une forme d’arrogante certitude d’être unique et d’avoir toujours raison ; fracassé par le sentiment d’une politique dure avec les classes moyennes et populaires, douce avec les classes supérieures, voire hyper supérieures.
La crise des « gilets jaunes » n’avait pas besoin d’un autre combustible pour enflammer le pays. Elle couvait depuis longtemps, ne cherchant qu’un moment, un contexte, un profil aussi pour s’exprimer.
Par son parcours, ses mots, ses convictions Emmanuel Macron cristallise bien des aspérités rejetées par des segments entiers de l’opinion, ceux notamment pour lesquels la politique doit d’abord sécuriser et protéger.
Or le Président assume l’Europe bruxelloise, libérale et technocratique ; il y a été biberonné dés le début de sa socialisation politique – ou presque.
C’est cette vision dominante parmi les élites qui, dans le fond, est remise en cause par le sentiment populaire.
Inefficace, injuste, éloignée, telle qu’elle est perçue, la doxa des gouvernants ne suscite plus l’adhésion. Tout l’enjeu de Macron depuis le début du grand débat consiste à réactiver ce consentement, alors que le surgissement des « gilets » infirme ce qui constitue le réacteur du macronisme.
Face à une épreuve majeure qui prend à revers les fondamentaux de sa vision du monde, le Prince peut se transformer sous l’effet de la force des événements. C’est à ce défi qu’est confronté Emmanuel Macron, se défaire un peu, voire beaucoup de ses certitudes, gagner en humilité pour être en quelque sorte à la hauteur de la crise. Rien n’annonce à ce stade qu’il y soit prêt … Bien au contraire, préférant sauver sa foi , il prend le risque de passer à côté de ce qui eut pu être sa responsabilité historique.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef
Crédit photo : Wikipédia