Dans l’univers effervescent de l’entrepreneuriat tech, la présidente de l’accélérateur Willa, Marie Georges, dévoile une étude décoiffante menée en collaboration avec France Digitale et le cabinet de conseil en stratégie Roland Berger.
Cette enquête, réalisée auprès de 500 entrepreneurs femmes et hommes à travers la France, offre une plongée fascinante dans les coulisses de la création d’entreprises innovantes. « Nous avons conscience des écarts de genre dans l’entrepreneuriat mais ces chiffres permettent d’apporter du tangible » précise Mme Georges. L’angle proposé à la presse livre une analyse « permettant de comprendre les différences qui persistent entre femmes et homme dans le monde de l’entrepreneuriat ». Toutefois, à mon sens, l’éclairage proposé passe à côté du sujet principal. Cet univers, un temps porteur de promesses de réussite, quel que soit son parcours initial, dès lors que l’entrepreneur misait sur son travail, sa créativité et son engagement, dévoile une autre réalité. L’écosystème est rattrapé par le syndrome de la reproduction sociale dont Pierre Bourdieu a été l’un des porte-paroles emblématiques. Et cette vérité m’accable je dois le confesser
Au-delà des aspirations à la diversité puisqu’il est vrai, et regrettable, que les femmes créent moins d’entreprises que les hommes, et ceci depuis que les statistiques sur l’entrepreneuriat existent, les chiffres dévoilés par l’étude Willa révèlent une réalité incontournable : l’existence d’un habitus au sens de Pierre Bourdieu, perpétuant la reproduction sociale au sein de l’écosystème tech.
Les données brutes mettent en lumière un paradoxe apparent : la conscientisation des inégalités de genre dans l’entrepreneuriat n’empêche pas la persistance de schémas sociaux préétablis. Plus de 70% des entrepreneurs interrogés possèdent au moins un niveau Master, révélant une concentration élevée de diplômés au sein de cet univers.
Cette tendance, bien que positive sur le plan éducatif, souligne également les barrières à l’entrée pour ceux dépourvus de ce pedigree académique.
L’étude révèle également que 25% des entrepreneurs ont un parent qui a lui-même connu l’entrepreneuriat. Ce constat renforce l’idée d’une reproduction sociale, où les opportunités semblent favoriser ceux qui ont déjà un pied dans cet univers. Ainsi, la voie vers l’entrepreneuriat semble tracée dès l’enfance pour certains, créant un cercle vertueux pour les privilégiés et limitant l’accès aux autres.
Parmi les traits marquants de cette élite entrepreneuriale, plus de la moitié des répondants se définissent comme « initiés à l’écosystème tech ». Ces individus, souvent issus de grandes villes, sont familiers des codes de l’entrepreneuriat, du networking, et des outils numériques. Cette familiarité confère un avantage considérable dans un monde où la rapidité des échanges et la connaissance des arcanes de la tech sont essentielles.
Ainsi, l’étude révèle que l’écosystème tech n’est simplement pas un terrain de jeu ouvert à tous, mais plutôt un espace où la reproduction sociale des élites s’exprime de manière subtile. L’habitus, concept cher à Bourdieu, semble s’installer confortablement, créant des inégalités structurelles difficilement surmontables pour celles et ceux qui ne sont pas préalablement « initiés ».
S’il est donc indéniable que l’écosystème entrepreneurial tech en France présente des signes évidents d’une reproduction sociale ; s’agit-il d’une élite, c’est-à-dire qu’elle brillerait parses surperformances, qui peut l’affirmer et sur quelles bases scientifiques le démontrer ? Là est bien notre problème !
Je pense au contraire que cette forme de consanguinité sera à terme préjudiciable aux mécaniques propres à une innovation entrepreneuriale source de large succès économique au niveau mondial.
En effet, la France de la génération tech surdiplômée n’a pas encore gravée son nom au frontispice de l’excellence entrepreneuriale mondiale comme d’autres entrepreneurs français l’ont fait en leur temps dans l’univers industriel par exemple.
Les fonds, les réseaux d’accompagnement, l’Etat, soutien actif de l’écosystème via BpiFrance notamment,doivent s’inquiéter de constater l’installation d’une caste de hauts fonctionnaires dans les écosystèmes de l’entrepreneuriat.
Alors que l’excellence technocratique est indispensable dans d’autres secteurs et une solide garantie pour une France qui défend ses intérêts dans le monde, la force entrepreneuriale d’un pays, d’une région répond davantage à un processus darwinien qu’à un long processus de compliance à « je ne sais quelles » recettes de la réussite.
Pour remédier à cette situation, puisque les formations comme l’Ecole 42, pourtant soucieuse de ce risque bien avant que ces chiffres nous crachent à la figure, ne suffisent pas, il est impératif de repenser les mécanismes de l’entrepreneuriat tech et de créer des opportunités plus équitables. Cela passe par la diversification des profils admis au sein de cet écosystème, en valorisant l’expérience, les soft skills et les compétences au-delà des diplômes. De plus, encourager des initiatives visant à démocratiser l’accès à l’entrepreneuriat dès le plus jeune âge, comme l’a fait en son temps le Moovjee, pourrait contribuer à briser le cercle vicieux de la reproduction sociale.
Et je ne crains pas de conclure en semblant incohérent. J’affirme que seules des actions concertées organisant un désordre des profils, une désorganisation orientée vers l’inclusion et la diversification, pourront rompre avec ces schémas préétablis et offrir un terrain de jeu plus équitable pour les entrepreneurs de demain. Nous devons nous réapproprier les principes de la sacro-sainte sérendipité que nombre d’entrepreneurs chérissent, car s’ils n’y comprennent rien ils savent que, in fine, elle fera gagner la France de l’entrepreneuriat. L’heure est venue de transformer ces constats en actions, afin de faire de l’entrepreneuriat tech un espace véritablement ouvert à tous.
Jacky ISABELLO