Instauré le 17 mars pour lutter contre la propagation du coronavirus, le confinement accentue les inégalités sociales analyse Michel Fize, sociologue et écrivain.
Chassez les inégalités par la porte, elles rentrent par la fenêtre… aujourd’hui par le confinement. Les conditions du « rester chez soi » ne sont évidemment pas les mêmes pour tous les Français. En effet, selon que l’on est riche ou pauvre, urbain ou rural, d’un coin de France ou d’un autre, l’on ne vit pas le confinement de la même manière.
Il y a bel et bien à cet égard 2 France : l’une réellement confinée, l’autre que j’appellerai « aérée », celle notamment des « fuyards » du 16 mars qui, avec masques et bagages, s’en sont allés, par les voies ferrées, jusqu’à leur villégiature secondaire ou retournés vers quelque domicile de province, subitement paré de toutes les vertus. Les autres, restés sur place, par force ou par devoir (la volonté de ne pas exporter le mal contagieux – le cadet des soucis pour les « fuyards » de l’exode ferroviaire), aujourd’hui subissent de plein fouet la contrainte gouvernementale.
Mais il y a également des inégalités parmi les confinés.
On peut ainsi distinguer les « confinés extrêmes », qui sont en famille, à trois ou quatre ou plus, dans un appartement de 20, 30 ou 40 mètres carrés, ne disposent ni de cour ni de courette. Et puis, à l’autre bout, les « confinés relatifs », dans de grands appartements dans quelque belle résidence de beau-quartier, avec square ou jardin privé. Les « confinés relatifs » peuvent se dégourdir les jambes plusieurs fois dans la journée, prendre un bain de soleil ou faire une partie de ballon avec les enfants. Entre les « confinés extrêmes » et les « confinés relatifs », toutes sortes d’autres situations ou organisations sociales se rencontrent : seul ou en couple, colocataire. L’on se bricole alors en hâte une cohabitation de fortune.
Bien entendu, le propre du confinement, surtout quand il dure, c’est de faire sombrer les confinés dans l’ennui ou dans l’alcool – exemple cité aujourd’hui – … pour oublier l’ennui ou autre chose.
La promiscuité familiale dérègle les esprits.
Les conjoints brutaux, qui avaient perdu le goût de la violence, la retrouvent soudainement. D’autres font leur première expérience. Les enfants, eux, retrouvent ou découvrent des parents violents et, entre eux, leurs chamailleries de fratries. Les animaux eux-mêmes ne sont pas à l’abri des sautes d’humeur de leur maître et des coups qui vont avec.
Pendant ce temps, la France « aérée » prend l’air. Car elle n’est pas confinée comme l’autre. Elle se prélasse dans ses jardins privés. Je la soupçonne même de recevoir les amis pour l’apéro national du début de soirée.
Il est encore une France, plutôt pauvre, qui, d’après plusieurs sources, n’est pas vraiment confinée : la France des banlieues. A vrai dire, confinée elle l’est toute l’année, cette France périphérique : n’est-ce pas après tout le propre de la relégation qu’elle subit depuis des décennies ? En ces lieux « maudits », la police du confinement ne se présente pas ; elle n’a nulle envie de se faire caillasser pour un bout de papier (la fameuse « attestation de déplacement dérogatoire »), assorti de la présentation d’une pièce d’identité. Elle sait d’expérience que les contrôles d’identité (souvent répétitifs) sont mal vécus ici, alors pas question d’en rajouter même pour une bonne cause. Et puis elle aurait reçu en haut-lieu la consigne de ne pas « bouger » pour ne pas mettre le feu aux poudres. En pleine guerre sanitaire, au sommet de l’Etat, on n’a pas envie d’ouvrir un second front. Alors les habitants des banlieues, le soleil revenu, sortent leur barbecue pour un instant de fraternité. Quant aux jeunes, ils continuent de s’adonner à leurs occupations habituelles, licites ou pas. Tous, jeunes ou pas, savent que la fin du coronavirus ne changera rien à leur galère.
Finalement, si le confinement a des vertus sanitaires (tout de même pas encore démontrées pour notre pays), s’il crée un peu de sociabilité avec les enfants (les parents leur font la classe mais surtout jouent avec eux), il est surtout malveillant.
A son « actif », la recrudescence des violences intra-familiales ou retournées sur soi, la production de diverses pathologies psychiques, depuis le stress jusqu’à l’angoisse. Le confinement réduit en outre les liens sociaux, déjà particulièrement pauvres. Et ce ne sont pas quelques cris ou tapage de casseroles aux fenêtres, chaque soir, pour se montrer surtout au monde, qui changent cette réalité. Enfin il y a la peur de la contamination par les autres, au travail pour ceux qui ont encore cette chance-malchance de l’activité, dans le voisinage. Une peur qui déclenche l’agressivité, principalement contre le personnel soignant rentrant chaque soir chez lui, exténué. Mauvaises paroles, menaces, intimidations à son encontre se multiplient. C’est là la France que l’on n’aime pas.
Concluons. Il est à craindre que, du point de vue des rapports humains, la France d’après (l’extinction de l’épidémie) ressemble étrangement à la France d’avant. On ne change pas les mentalités, juste parce qu’on le veut, qu’on l’a décidé.
Michel Fize
Sociologue et écrivain
Auteur de L’Ecole à la ramasse (Ed. L’Archipel, 2019)