Thomas Pean, auteur spécialiste de l’Amérique Latine, revient sur les récentes élections présidentielles en Equateur et au Pérou.
Equateur : Rafael Correa, Lenín Moreno et Guillermo Lasso
En 2007, Rafael Correa est élu Président en Equateur dans un contexte régional marqué par la victoire des candidats de gauche. En effet, les années 2000 sont caractérisées en Amérique Latine par l’arrivée de gouvernement de gauche, évoluant entre social-démocratie (Michelle Bachelet), populisme de gauche (Hugo Chávez) et altermondialisme (Evo Morales). Les nouvelles équipes gouvernementales apparaissent alors souvent comme de véritables ruptures politiques nationales. Dans le cas des pays marqués par d’anciens régimes contre-révolutionnaires comme au Brésil ou en Argentine, les nouvelles autorités incarnent chez certains une nouvelle transition politique. Dans le cas équatorien, l’arrivée au pouvoir de Rafael Correa intervient dans un contexte local marqué par les politiques économiques de droite et le passage en 2000 au dollar dans l’économie nationale.
Le gouvernement de Rafael Correa repose sur la position centrale de l’organisation Alianza Pais qui représente un regroupement des forces politiques, associatives et syndicales de gauche en Equateur. Entre 2006 et 2008, le projet de Révolution Citoyenne vise ainsi à mener un changement majeur dans la société et la vie politique en Equateur en allant contre les précédents gouvernements de droite ou conservateurs. Ce projet politique se concentre sur cinq axes majeurs qui doivent conduire à une société pluriculturelle et du buen vivir. Ces références rapprochent le projet équatorien de la ligne politique chaviste ou d’Evo Morales à la même époque, dont l’ambition est également un changement social, économique et politique majeur. Le mouvement Alianza Pais est officiellement fondé en 2006 en Equateur avec le rôle central joué par Rafael Correa.
Entre 2007 et 2017, le gouvernement équatorien mène plusieurs réformes politiques, sociales et économiques d’envergure. En 2007-2008, une assemblée constituante est réunie afin de mener la réforme constitutionnelle nationale qui se traduit ensuite par un nouveau texte constitutionnel en 2008. Inspiré par le socialisme du XXIe siècle, le gouvernement équatorien organise plusieurs missions nationales à dessein social qui visent à aider les personnes handicapées et dans le besoin. Dans le domaine économique et financier, il contribue au retour des autorités publiques dans l’action économique nationale. Rafael Correa poursuit des négociations pour la réduction de la dette nationale extérieure auprès des créanciers internationaux. Les autorités publiques supervisent un ensemble de travaux d’infrastructures et de transports publics notamment dans les régions amazoniennes.
Au cours de son second mandat (2009-2013), Rafael Correa met en place son Plan Nacional del Buen Vivir qui vise à poursuivre les changements menés précédemment. En politique intérieure comme en diplomatie, le gouvernement d’Alianza Pais poursuit son orientation sociale et altermondialiste en soutenant les initiatives qui visent à un rééquilibrage des relations internationales : l’UNASUR. Evidemment, la politique de Rafael Correa contribue à susciter des critiques du côté des secteurs conservateurs et de droite. Ils dénoncent alors selon eux l’impact sur les finances publiques, l’orientation radicale des autorités et les cas de scandales financiers qui éclatent entre 2007 et 2017. En 2017, l’élection présidentielle de Lenín Moreno, Vice-Président de Rafael Correa annonce en réalité un tournant en Equateur.
Lenín Moreno est né en 1953 dans la province d’Orellana et évolue dans différentes organisations politiques de gauche entre 1980 et 2006. Par la suite, il rejoint Alianza Pais et devient le vice-président de Rafael Correa durant toute la présidence de ce dernier. Néanmoins, malgré son ancrage antérieur au sein de la gauche radicale, Lenín Moreno amorce un tournant lors de sa propre présidence. Il réalise une ouverture au secteur privé et favorise l’investissement des entreprises en réduisant le rôle majeur de l’Etat équatorien. Cela constitue ainsi une évolution au sein des Présidences d’Alianza Pais (2007-2021) marquées par les figures de Rafael Correa et de Lenín Moreno. En 2019, des manifestations éclatent au mois d’octobre suite à des mesures économique de la part du gouvernement.
Avec l’arrivée de la pandémie de la Covid-19 en Equateur, la situation s’est évidemment compliquée pour le gouvernement de Lenín Moreno confronté à de nouvelles difficultés.
Guillermo Lasso est né en 1955 à Guayaquil et a fait une carrière professionnelle dans le secteur commercial et bancaire. Parallèlement à ses activités de banquier, il assume la charge de gouvernement de la province de Guayas puis fonde le mouvement CREO en 2012. Candidat aux élections présidentielles de 2013 et 2017, il constitue l’opposé de Lenín Moreno et de Rafael Correa. En effet, assumant des fonctions politiques et bancaires, il se positionne comme un partisan du libéralisme économique en faveur du secteur privé. A la différence de ces deux présidents de gauche, il se place comme un partisan de droite. Sa victoire politique illustre la complexité de la scène politique équatorienne aujourd’hui centrée autour de l’opposition entre les partisans et les adversaires d’Alianza Pais. Sa Présidence constitue une nouvelle rupture dans le pays après plus d’une décennie de gouvernements d’Alianza Pais. A l’échelle latino-américaine, Guillermo Lasso s’inscrit dans la succession des nouveaux gouvernements de droite élus : Sebastian Piñera (Chili), Jair Bolsonaro (Brésil), Mauricio Macri (Argentine), Ivan Duque (Colombie).
Pérou : mettre fin à la crise politique nationale ?
Le Pérou, qui a connu une transition à la démocratie récente (2001), connait désormais une nouvelle crise politique de grande ampleur. A partir de 2017, la Présidence péruvienne est frappée par de nombreux scandales financiers, politiques et médiatiques qui conduisent au départ des mandataires présidentiels se succédant ainsi à la tête du pays. A l’heure actuelle, une élection présidentielle a lieu au Pérou afin de décider qui sera le nouveau Président.
En 2000, le départ d’Alberto Fujimori met fin à 10 ans de fujimorisme dans le pays et permet d’engager le retour au jeu politique démocratique. Par la suite, Alejandro Toledo, Alan Garcia, Ollanta Humala et Pedro Pablo Kuczynski se succèdent à la tête de la Présidence de la République. Hormis, Alan Garcia, qui est issu d’Action Populaire, les mandataires présidentiels viennent de nouvelles formations politiques dont ils sont parfois les fondateurs. En effet, les partis traditionnels tels qu’Action Populaire ou le PAP connaissent une perte d’influence dans le pays qui s’explique par leur ancienneté et le changement d’époque.
En parallèle, l’influence du fujimorisme se maintient au Pérou malgré le départ d’Alberto Fujimori en 2000. Le fujimorisme se définit comme un mouvement politique qui associe autoritarisme ou conservatisme politique et néo-libéralisme économique. Plusieurs organisations politiques ont incarné le message du fujimorisme dont Cambio 90, Peru 2000, Alianza por el Futuro. A l’heure actuelle, Keiko Fujimori, fille de l’ancien président, poursuit l’action politique fujimoriste à travers son mouvement Fuerza Popular. Entre 2000 et 2021, le mouvement fujimoriste constitue un acteur majeur de la nouvelle scène politique dans laquelle il apparait comme un élément distinct de la gauche comme de la droite. Il est également marqué par la figure d’Alberto Fujimori et de son héritage politique.
La crise politique péruvienne commence sous la présidence de Pedro Pablo Kuczynski (2016-2018) et se poursuit avec Martin Vizcarra, Manuel Merino et Francisco Sagasti. Elle est tout d’abord dû à la médiatisation de scandales financiers et politiques liés aux figures présidentielles qui sont alors confrontées au discrédit public. La crise politique est également liée à l’influence des milieux fujimoristes au Congrès national qui s’opposent aux Présidents en place – excepté dans le cas de Manuel Merino -.
La situation politique nationale peine à trouver une issue à cette crise actuelle qui contribue à l’affaiblissement de la fonction présidentielle.
Dans le cadre des élections générales péruviennes de 2021, le premier tour du scrutin s’est soldé par l’arrivée en tête de Pedro Castillo, candidat de gauche, et de Keiko Fujimori, du mouvement Fuerza Popular. Pedro Castillo est né en 1969 dans le département de Cajamarca et a été un membre des Rondas Campesinas dans les années 1980. Son origine humble contribue à lui attirer la sympathie des classes populaires péruviennes.
Thomas Pean
Auteur spécialiste d’Amérique Latine
Son dernier ouvrage « Guérillas en Amérique Latine (1959-1989) » vient de paraître