Le mouvement des « gilets jaunes » a suscité un certain intérêt en Italie dans un contexte caractérisé par un débat relatif au renouvellement de la démocratie et dans la perspective plus immédiate des prochaines échéances européennes du 26 mai 2019. Le Mouvement 5 Étoiles s’est lancé de son côté dans un travail de séduction des « gilets jaunes » français dans l’espoir évident de trouver un puissant allié en Europe.
À plusieurs reprises, les 5 Étoiles ont manifesté le désir que les « gilets jaunes » constituent une liste aux élections du 26 mai. Les médias italiens ont, depuis le 17 novembre 2018, suivi avec une grande attention les événements qui se déroulent en France. Ainsi, le quotidien La Stampa du 24 janvier titrait « Le virage des Gilets jaunes. Ils se présenteront aux élections » et pronostiquait pour leur liste un score flatteur au détriment de la France insoumise et du Rassemblement national.
Un appel aux « gilets jaunes »
En observant les réactions italiennes au mouvement des « gilets jaunes », il est particulièrement intéressant d’analyser l’attitude des 5 Étoiles, qui se considèrent sans aucun doute comme la force politique italienne la plus proche de cette forme de protestation française. Le vice-président du Conseil italien Luigi Di Maio, « chef politique » du Mouvement 5 Étoiles, a lancé le 7 janvier son appel aux « gilets jaunes » français. Deux mots au parfum révolutionnaire (« Non mollate !, littéralement « Ne faiblissez pas ! »), qui expriment un souhait de grande détermination, mais qui rappellent aussi un vieux slogan politique (« Boia chi molla ! », littéralement « Celui qui faiblit est un bourreau ! »), souvent utilisé par les fascistes et néofascistes. Le message de Luigi Di Maio aux « gilets jaunes » français, publié sur son blog, est assorti d’une proposition apparemment généreuse et certainement non désintéressée, qui n’a pas eu de prolongements pratiques.
Le numéro deux du gouvernement italien propose l’aide de son mouvement par le biais de sa plateforme internet, « Rousseau ».
Il met à disposition cette dernière afin « d’organiser des événements sur le territoire », de « choisir des candidats » aux différentes élections et de « définir le programme électoral » par des consultations sur le web.
Le modèle 5 Etoiles
Bien plus qu’une technique, Di Maio rêve d’exporter le modèle de son mouvement dans un but précis : désenclaver les 5 Étoiles de leur actuel isolement européen. Le modèle de cette force politique italienne est bâti sur la combinaison entre la protestation de la rue, l’utilisation maximale d’internet et aussi la direction centralisée et autoritaire au sein du parti, le tout en recourant systématiquement à la diabolisation de l’adversaire, identifié avec le passé de la politique nationale. Ce cocktail de populisme à l’extérieur et d’autoritarisme à l’intérieur constitue le « model Beppe Grillo » qui a fait la fortune des 5 Étoiles, mais peine à faire des émules et à trouver des alliés en Europe. Il pourrait rester un phénomène national ; l’une des réponses exclusivement italiennes aux problèmes bien plus généraux de la crise de la politique, qui se manifeste aujourd’hui dans plusieurs pays européens.
On décèlera des revendications communes entre les 5 Étoiles et les « gilets jaunes », à l’instar du référendum d’initiative citoyenne, mais aussi des différences très significatives, notamment en ce qui concerne l’ISF auxquelles les 5 Étoiles sont opposées.
Actuellement le Mouvement 5 Étoiles est le principal parti politique italien. Aux élections législatives du 4 mars 2018 il a obtenu 10,74 millions de voix (32,66 %) pour la Chambre des députés et 9,75 millions de voix (32,22 %) pour le Sénat. Il constitue la principale force parlementaire avec 220 députés et 207 sénateurs. L’autre pilier du gouvernement italien, la Ligue (ex Ligue du Nord), dispose de 125 députés et de 58 sénateurs, mais elle est en tête dans tous les sondages effectués depuis un an. En cas d’élections législatives anticipées les sondages prévoient un doublement des voix de La ligue, alors que les 5 Étoiles glisseraient sensiblement sous la barre des 30 %. Di Maio et les 5 Étoiles doivent donc s’engager sur plusieurs fronts : se battre contre l’opposition (en particulier contre le Partito Democratico à gauche et Forza Italia à droite), essayer de sortir de l’isolement européen et se protéger d’un allié qui pourrait les humilier et les battre à tout moment.
Une concurrence Lega /5 étoiles
Le réseau d’alliances européennes qu’est parvenu à constituer le parti de Matteo Salvini par rapport à celui de son collègue de gouvernement Luigi Di Maio s’impose comme un avantage certain. Mais il ne s’agit pas de la seule force de la Ligue.
Sur le plan de la propagande politique, le cheval de bataille de la Ligue (c’est-à-dire la lutte contre l’immigration) est beaucoup plus mobilisateur que le mot d’ordre des 5 Étoiles (le « reddito di cittadinanza », revenu de citoyenneté).
Les Italiens (frustrés par la perception de leur isolement face aux flux migratoires dans la Méditerranée et persuadés d’avoir été floués par l’Europe) soutiennent massivement la stratégie de Salvini pour stopper l’arrivée des migrants. Ils appuient majoritairement cette stratégie avec plus de détermination que le « revenu de citoyenneté », dont ils ont du mal à comprendre le fonctionnement et le financement, s’inquiétant de la complexité d’une proposition pour laquelle ils appréhendent d’acquitter un prix fort avec l’abandon de nombreux services publics.
L’autre avantage comparatif de Salvini par rapport à Di Maio repose sur l’alternative potentielle qu’il peut nouer à la majorité actuelle : l’alliance de « droite classique » avec le parti de Silvio Berlusconi, Forza Italia, qui au Parlement européen fait partie du Parti populaire, avec les Républicains français. Le résultat serait l’alliance, en Italie, entre les deux mouvements appartenant en Europe aux familles de l’extrême droite et des Populaires. Ce rapprochement pourrait avoir des conséquences aussi dans la politique française, en réduisant l’isolement du Rassemblement national, grand allié de la Ligue. D’une manière générale, les 5 Étoiles sont isolées en Europe et sans alternatives concrètes en Italie à leur mariage avec la Ligue (sauf à imaginer une entente avec le centre-gauche des Démocrates, très difficile à réaliser).
Rompre l’isolement
Dans la perspective des élections du futur Parlement européen, les 5 Étoiles multiplient les initiatives depuis l’été 2018 en direction d’autres formations populistes des différents pays de l’Union.
Trouver des alliés n’est pas simple pour un parti qui se considère ni de droite, ni de gauche et encore moins du centre. Un parti qui se nourrit de la méfiance, voire de la détestation, pour tout ce qui rime avec la « vieille politique ». Les 5 Étoiles ne peuvent néanmoins ne pas appartenir à un groupe organisé et reconnu du futur Parlement de Strasbourg. Dans le Parlement sortant, leur allié fondamental était le britannique Nigel Farage, avec sa formation politique Ukip. Or la décision britannique de sortir de l’Union européenne, isole encore plus les 5 Étoiles.
Les « cuisines » des 5 étoiles
Il convient d’analyser un aspect particulier de la proposition de collaboration adressée aux « gilets jaunes » par les 5 Étoiles, prêt à offrir l’utilisation de leur « plateforme Rousseau », c’est-à-dire leur force de frappe informatique. La « plateforme Rousseau » constitue la base du système de contrôle du principal parti italien, incluant une série de process en apparence très démocratiques (grâce aux consultations via internet). En apparence, mais pas forcément dans la réalité ; le processus des consultations demeure dans les mains d’une société privée. Il s’agit de la Casa
leggio e associati (Casaleggio et associés) entreprise de conseil en informatique, édition et communication qui valide et annonce les résultats des référendums numériques au sein du mouvement. Le principal parti politique italien est en réalité dépendant d’une entreprise privée, directement liée au cercle des meilleurs amis de Beppe Grillo, fondateur du mouvement. La Casaleggio contrôle les résultats, mais elle n’est nullement contrôlée de son côté.
Sous la recherche d’une plus grande démocratie directe peut se dissimuler un risque d’instrumentalisation au service des minorités les mieux organisées.
Créée par Gianroberto Casaleggio, un ami de Beppe Grillo, dirigée désormais par son fils Davide Casaleggio, suite au décès de son père, la plateforme gère les consultations du mouvement, des décisions stratégiques jusqu’aux investitures. Le dispositif informatique constitue donc un instrument visant à animer une démarche démocratique, bien plus formelle que réelle, bien plus proche, bien que pimentée d’une source 2.0, du vieux « centralisme démocratique » de tradition communiste. Le mouvement conçu par Beppe Grillo et Gianroberto Casaleggio agit comme une force politique centralisée, toujours prête à l’exclusion des militants et des élus qui ne partagent pas la doxa officielle, exprimée par les chefs, justifiée par le web et consacrée par la Casaleggio et associés.
La tension avec la France du Président Macron
Toujours dans la perspective de la campagne européenne, il convient de se pencher sur la ligne critique développée par Luigi Di Maio et Matteo Salvini, à l’encontre de la France. Luigi Di Maio a souhaité que l’Union européenne prenne des sanctions contre les pays qui, à l’instar de la France, « appauvrissent l’Afrique » et seraient à ses yeux à l’origine du drame des migrants en Méditerranée.
« L’Union européenne devrait sanctionner la France et tous les pays qui comme elle appauvrissent l’Afrique et font partir les migrants, parce que la place des Africains est en Afrique pas au fond de la Méditerranée », a déclaré le 20 janvier Luigi Di Maio en déplacement dans les Abruzzes dans le contexte d’un meeting politique pour l’élection régionale. « Si aujourd’hui il y a des gens qui partent c’est parce que certains pays européens, la France en tête, n’ont jamais cessé de coloniser des dizaines de pays africains », rajoute le vice-président du Conseil. Et il poursuit : « il y a des dizaines de pays africains où la France imprime une monnaie, le franc des colonies et avec cette monnaie elle finance la dette publique française ». Conclusion de Di Maio : « Si la France n’avait pas les colonies africaines, parce que c’est ainsi qu’il faut les appeler, elle serait la 15e puissance économique mondiale alors qu’elle est parmi les premières grâce à ce qu’elle est en train de faire en Afrique ».
Dans les faits Luigi Di Maio et Matteo Salvini parlent et agissent comme s’ils vivaient dans une dimension tout à fait particulière de la politique : une dimension d’éternelle campagne électorale. T
ant que la réalité ne se chargera pas de les rattraper et de les corriger, ils continueront probablement dans la même direction et sur le même chemin. L’agit-prop au service de leurs ambitions…
Alberto Toscano
Journaliste et politologue italien