Objectivement, la situation budgétaire est floue. Souvenons-nous que selon la dernière Loi de Finances votée, la France devrait être créditée d’une croissance à 4 %. Cela tranche avec la réalité de l’année 2022 et a un impact sur les rentrées fiscales. La future nudité qu’imposera le collectif budgétaire de juillet 2022 va être cruelle et ô combien déceptive.
La récession est en marche et la récente correction du chiffre de la croissance pour le premier trimestre 2022 (- 0,2 %) par l’Insee est un indice des mauvais jours qui attendent le pays.
Face à une situation tendue voire critique, les Pouvoirs publics ont opté pour une stratégie de silence voire de camouflage. Nous avons tous en mémoire les propos lénifiants du ministre Le Maire qualifiant notre économie de » solide « . Comme nous aimerions que l’élu de l’Eure puisse être dans le spectre de la vérité si chère au député de Louviers (Eure) que fût l’estimable Pierre Mendès France.
Le miroir » réfléchit avant de nous renvoyer notre image » (Jean Cocteau) et il faut bien convenir que notre pays a un problème avec sa trajectoire des Finances publiques. L’actuelle n’est, par la force des choses, ni sincère ni fiable.
Premier point, il faut se souvenir que la glissade des comptes publics a commencé dès les premières années du premier quinquennat Macron, en amont du fameux » quoi qu’il en coûte « .
La crise du Covid a aggravé le tout. Dans des proportions qui sont encore méconnues et alourdies par l’invasion de l’Ukraine.
Le taux de défaillances des entreprises remonte et le taux de défaut des PGE va altérer les comptes de la BPI par-delà les affirmations confuses de Nicolas Dufourcq qui a » vu la Vierge » pour reprendre le propos acide d’un dirigeant d’une entreprise du CAC 40 qui est lassé à force d’entendre une doxa officielle par trop déconnectée du monde réel.
Le prochain projet de Loi de Finances rectificatif va devoir acter les promesses du candidat Macron (discours de Marseille, etc) que le Sénat a évaluées à près de 45 Mds d’euros et l’impact du lourd retournement conjoncturel. Au total, il est réaliste de craindre une croissance 2022 flat comme une limande et des engagements budgétaires denses comme des barres de fonte.
Le cap des 100 milliards de déficit budgétaire n’est pas exclu du champ des possibles ce qui revient à dire que notre pays tangenterait avec les 3 000 Mds de dette publique explicite sans mettre sous le boisseau la dette hors-bilan qui dépasse désormais les 4 300 Mds dont 2 800 pour les retraites et pensions du secteur public qui ne sont pas une éventualité mais une dette certaine à moyen et long termes.
L’absence de communication, par le Gouvernement de Madame Borne, d’éléments budgétaires avant le scrutin législatif est une insulte à l’esprit démocratique. Ce jeu de cache-cache est indigne de sa personne et lui est probablement étranger mais tristement conforme à son rang protocolaire.
» Je décide, il exécute » avait dit Jacques Chirac en visant – à tous les sens du terme – son ministre de l’Intérieur d’alors. Nous sommes dans la même logique de fonctionnement effectuée au détriment de la crédibilité du discours chère à Saussure.
La campagne présidentielle a été floconneuse et a évité les vrais sujets à commencer par les enjeux de la dette publique. Pour les législatives, le Président Macron me semble commettre une erreur de répétition digne du théâtre de Pirandello : ses candidats ânonnent plus qu’ils ne déploient un programme de mandature. Là encore, il y a un coup de canif contre les principes démocratiques car le citoyen a » encore » le droit de savoir pour qui et pour quoi il vote.
Cette partie de camouflage va, de toute évidence, être broyée par les révélations du collectif budgétaire que ne manquera pas d’ausculter, avec sa rectitude désormais établie et reconnue, le HCFP (Haut Conseil des Finances Publiques).
Deux points complémentaires, la promesse de ne pas augmenter les impôts semble de plus en plus illusoire.
Par ailleurs, selon toute vraisemblance, le groupe d’opposition le plus important à l’Assemblée nationale sera issu de la NUPES. C’est donc à l’un de ses membres que sera dévolu le poste stratégique de Président de la Commission des Finances.
En pensant à Philippe Auberger ou Gilles Carrez, je me dis qu’il va y avoir du sport.
Un certain Pierre Mendès France, dans un dîner le 10 mai 1981 chez Françoise Giroud et Alex Grall, avait dit : » Maintenant çà va tanguer ! « .
Effectivement, le revirement de 1983 lui a donné – une fois encore – raison.
Ce deuxième quinquennat est décidément mal embarqué quant à la véritable trajectoire de nos finances publiques donc de notre avenir collectif.
A force de jouer, on perd et on finit dans l’austérité qu’il convient – c’est ma conviction profonde – d’éviter au prix de vrais choix d’économie publique autrefois enseignée par Pierre Lalumière.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique