A l’occasion des 150 ans de la proclamation de la République, la Revue Politique et Parlementaire a publié en septembre dernier « un cahier républicain ». Durant toute cette semaine, nous diffusons les contributions du « deuxième cahier républicain » rédigé par l’Observatoire de la vie politique et parlementaire pour les 150 ans des Assemblées de Bordeaux et de Versailles. Aujourd’hui la deuxième partie de « La France est en « République »… la République a un chef ».
L’exposition universelle de 1878
Une exposition universelle a pour tradition d’offrir à la curiosité des visiteurs des attractions et les dernières innovations industrielles ou agricoles. Deux expositions s’étaient tenues sous le Second Empire, en 1855 et 1867 ; la première au Palais de l’Industrie, entre les Champs-Elysées et la Seine ; la seconde sur le terrain militaire du Champ de Mars que les autorités militaires mettaient à la disposition de la Ville, le temps de la manifestation. Ainsi, il semblait acquis qu’une exposition internationale pouvait se tenir tous les dix ans pour présenter le savoir-faire français, les dernières performances des machines, et les technologies du futur ; en 1867, le visiteur devait sortir de cette enceinte avec l’image d’un Empire triomphant que l’art et l’industrie couronnaient.
La défaite de 1870 allait-elle changer les perspectives de la tenue d’une nouvelle exposition ? Et si une exposition devait se tenir…où dans ce Paris aux ruines trop visibles ? Quand et l’Allemagne y serait-elle invitée comme pays exposant ?
Le Champ-de-Mars
Mac-Mahon, successeur de Thiers en mai 1873 voyait dans une exposition universelle un moyen de créer, au-delà d’une occasion festive, une dynamique de réunification du peuple, meurtri par la défaite et la guerre civile à Paris. On retint alors l’année 1878 et à cet effet le décret du 4 avril 1876 et la loi promulguée le 29 juillet suivant actaient l’organisation de cette exposition.
Où ? La Ville offrit l’emplacement, comme en 1867, du terrain militaire du Champ de Mars. Ainsi, sept ans seulement, après la fin de la Commune de Paris, une exposition universelle allait s’installer sur les lieux mêmes où furent exécutés des Fédérés et ensevelies des victimes et d’autres alliés de ceux qui avaient pris part à l’insurrection ; l’Ecole militaire servait de lieu de juridiction mais également de lieu d’exécution. Faut-il pour autant se satisfaire des propos de Louise Michel en 1880 dans « La Commune, Histoire et Souvenirs » (« Quand, pour la prochaine exposition, on creusera la terre au Champ-de-mars, peut-être malgré les flammes allumées sur les longues files où on les couchait sous les lits de goudron, verra-t-on les os blanchis calcinés apparaître rangés sur le front de bataille, comme ils furent aux jours de mai ») ?
Ce récit glacial n’a jamais été corroboré par les recherches historiques, ni à l’occasion de l’exposition de 1878, ni lors de l’exposition de 1889 (« la prochaine exposition » dont parlait Louise Michel).
Néanmoins le Champ-de-Mars demeure un lieu de mémoire de 1790, de 1848 et de mai 1871.
L’Allemagne invitée décline sa participation
Une exclusion de la présence allemande parmi les délégations étrangères aurait été très mal admise par les vainqueurs de 1870. La diplomatie consistait donc à inviter et…attendre un refus poli en guise de « non provocation »…et de bonne foi dans l’amélioration des relations franco-allemandes !
L’Allemagne, trois ans plus tard, en 1881, participera au salon de l’Electricité qui se tenait au palais de l’Industrie.
L’Allemagne réalisait à cette époque que la négociation de la frontière de Lorraine en 1871 pouvait avantager la France. Thiers et Jules Favre s’étaient « battus » pour le bassin de Briey qui échappa à l’Empire allemand. Or le bassin de Briey et ses mines de fer était d’une valeur industrielle essentielle pour l’avenir du développement économique. L’ingénieur français Thomas venait, avec son partenaire anglais, de mettre au point le procédé «Thomas-Gilchrist » consistant à « déphosphorer la fonte et la transformer en un acier convenable à tous les usages les plus communs ».
A l’exposition du Champ-de-Mars…on parle du four Thomas et du four Martin et de l’avenir de l’acier lorrain !
Une exposition de transition
Dans ce grand espace de 700 mètres de long (de l’Ecole militaire à la Seine), où les comptoirs des exposants sont alignés comme à la parade (à la différence de la disposition circulaire de l’exposition de 1867), on imaginerait bien Mac-Mahon passer en revue, le regard fixe comme à Longchamp, les stands de la section française !
Le 1er mai 1878, jour de l’inauguration et déclaré chômé pour l’occasion – de manière à ce que les ouvriers puissent venir- , est-ce « l’exposition de Mac-Mahon » ?
Cela y ressemble comme si la « page » Thiers et les débuts de la République appartenaient déjà à un passé lointain. Mais aussi un baroud d’honneur du duc de Magenta dans son exhortation à l’ordre. Cette expression de l’ordre se traduit par l’effort national omniprésent à l’exposition, soutenu par la discipline et l’encouragement au travail.
La « rue des Nations » sépare la représentation française des pavillons étrangers et les « fermes métalliques » annoncent déjà les grands hangars et usines de montage.
Une exposition en ordre de bataille pour la conquête industrielle qui se prépare, en cette fin de siècle… La « bougie électrique » fait son apparition, la machine à écrire américaine et bien d’autres innovations attirent la curiosité des visiteurs dans la « Galerie des machines ».
L’électricité est pour la prochaine fois, tout comme le fer ! Les exposants en parlent, s’en inquiètent aussi car le devenir de certaines industries artisanales ou d’art est sombre : on s’interroge sur ce que sera le prix du marché, la concurrence, française mais encore plus étrangère.
Telle cette correspondance d’un marchand de bronze (exposant à la section française et qui obtiendra une médaille d’argent dont il est fier) présageant dans ses négociations commerciales l’avenir de l’acier.
Onze ans plus tard, à l’exposition de 1889 (et le triomphe du fer !), on comprendra mieux que 1878 était bien une transition, une exposition qui clôturait l’ère de la machine à vapeur et qui ouvrait celle des nouvelles locomotions, des nouvelles énergies, des nouveaux matériaux.
Annexe
Extraits de lettre d’un fabricant de bronze, comptant sur l’avenir de l’industrie d’acier artistique et récompensé d’une médaille d’argent à l’exposition de 1878. (archive personnelle DP)