L’ « affaire Jacqueline Sauvage » a suscité, depuis l’automne 2014, de nombreux débats tant juridiques que politiques. Et bien entendu médiatiques. Particulièrement depuis la grâce partielle accordée par le président Hollande en décembre 2016.
Surtout cette affaire a pris une ampleur assez inattendue avec la récente décision du tribunal d’application des peines de Melun ayant décidé du maintien en détention de J. Sauvage. Cette affaire a été très (trop ?) médiatisée. D’autant plus avec les changements d’avis de Mme Sauvage qui, après avoir renoncé à faire appel dans un premier temps, se décida à le faire.
Nous nous proposons donc de rappeler brièvement le contexte sensible de cette affaire avant que de nous intéresser à la procédure et à l’impact de la grâce présidentielle (partielle) accordée par F. Hollande.
Le contexte d’une affaire sensible…
Mme Sauvage a passé une quarantaine d’années d’horreur sous le joug d’un mari ultra-violent y compris avec ses enfants. Le 10 septembre 2012 elle tue ce dernier de trois coups de fusil dans le dos. Elle appelle les pompiers pour leur avouer les faits.
En octobre 2014, après onze mois de détention provisoire, elle comparait libre devant la cour d’assises d’Orléans. Elle est condamnée à dix ans de réclusion et incarcérée sur-le-champ. Mme Sauvage interjette appel. En décembre 2015 la peine est confirmée par la cour d’assises de Blois qui durcit la durcit en l’assortissant d’une peine de sûreté de cinq ans. Juridiquement elle ne peut alors envisager une libération conditionnelle qu’à partir de 2018. A moins d’un « relèvement exceptionnel de la période de sûreté » (article 720-4 du CPP). C’est alors au condamné de solliciter cette procédure qui est examinée par un tribunal. Ce dernier l’accorde (rarement) et essentiellement si la personne « présente des gages sérieux de réadaptation sociale ».
Le 12 décembre 2015 une manifestation de soutien à la condamnée se déroule à Paris qui rassemble une centaine de personnes. Un comité de soutien est mis en place. C’est l’actrice Eva Darlan qui en prend la tête. Dès lors l’affaire est ultra médiatisée. Puis c’est au tour des mouvements féministes d’intervenir. Les politiques de tous bords se mobilisent aussi. C’est le cas par exemple de la députée de Paris, Valérie Boyer (LR) et d’Anne Hidalgo, maire socialiste de la capitale. Egalement de MM Bayrou et Mélenchon. Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne ministre et candidate à la primaire LR lui a rendu visite en prison. Dès lors Mme Sauvage va devenir le symbole des femmes victimes de violences conjugales. L’affaire n’est, malheureusement, pas isolée. En France, au cours de l’année 2014, 143 personnes sont décédées, victimes de leur partenaire ou ex-partenaire de vie. Une femme décède tous les 3 jours et un homme tous les 14,5 jours après des violences conjugales (sources : Ministère de l’Intérieur).
Début 2016, alors que l’affaire semble rester en l’état, l’opinion publique s’en empare à nouveau. Ainsi une manifestation de soutien, rassemblant près de 500 personnes, se déroule à Paris. Surtout une pétition recueillant pas loin de 450000 signatures est émise qui sollicite une grâce présidentielle.
Le 29 janvier 2016 le président Hollande accepte de recevoir les filles de J. Sauvage ainsi que ses avocates. Le 31 janvier il accorde une grâce partielle. Le communiqué de l’Elysée précise que celle-ci s’est faite « dans le respect de l’autorité judiciaire ». Cette procédure (rare) permet à la condamnée de présenter dans le même temps une demande de libération conditionnelle.
Il faut indiquer aussi qu’une commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté (composée entre autres d’un magistrat, d’un représentant du préfet, d’un avocat et d’experts) avait émis un avis (consultatif) défavorable à la libération de Mme Sauvage.
Le 12 août 2016 le juge d’application des peines de Melun rejette la demande de remise en liberté contre l’avis du parquet. Rappelons que le juge et le tribunal de l’application des peines décident de la manière dont une peine privative ou restrictive de liberté est exécutée. Ils décident d’éventuelles réductions de peine, orientent et contrôlent le parcours de peine des personnes condamnées. Ou encore accordent encore le bracelet électronique. Parmi les arguments du tribunal, on peut relever celui selon lequel Mme Sauvage n’aurait pas encore mesuré la portée de son acte et qu’elle devait encore faire un travail « d’introspection ».
Juridiquement, il est incontestable qu’elle a commis un crime intentionnel, plus ou moins préméditée. Mais rappelons tout de même que deux cours d’assises l’ont condamné. La légitime défense invoquée par certains, ne peut évidemment pas s’appliquer. Egalement le tribunal d’application des peines a estimé que « la médiatisation des faits… risquerait de la (ndlr : Mme Sauvage) conforter encore dans son positionnement victimaire » (Le Parisien, 13 août 2016).
Humainement la détresse de cette femme et des siens sont indéniables. Elle est devenue le symbole de la cause des femmes battues. Or il faut faire attention de ne pas assimiler justice et féminisme…
Cette décision a provoqué un tollé dans l’opinion publique. Les politiques de tous bord ont à nouveau protesté. Le parquet, qui s’était prononcé pour une libération conditionnelle, on l’a dit, fait appel de ladite décision. Selon lui « c’est un dossier qui remplit toutes les conditions ». Pour les avocates de la défense, il faudra attendre « deux ou trois mois » pour que l’affaire soit à nouveau examinée.
Le jour même de cette décision, une nouvelle pétition est lancée par Karine Plassard, présidente d’ « Osez le féminisme 63 ». Selon cette militante auvergnate, les magistrats n’auraient pas « digérée la grâce partielle accordée par F. Hollande ». Au 13 août la pétition rassemblait déjà plus de 80000 signatures. Dans ce texte il est demandé au chef de l’Etat une grâce totale. Puisque de grâce il s’agit, intéressons-nous à la procédure de celle-ci et son impact sur le dossier.
… impactée par l’utilisation minimale du droit de grâce
Selon l’article 17 de la Constitution : « le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel ». Ce pouvoir présidentiel est inspiré d’une pratique héritée de la monarchie. C’est un droit dit régalien. Précisons qu’il est soumis au contreseing du Premier ministre et du ministre de la Justice (qui ne peuvent être refusés). C’est donc un pouvoir partagé. Cela veut dire aussi que le dossier qui est transmis au chef de l’Etat a été « validé » par Matignon mais aussi par les services du Garde des Sceaux.
La grâce est donc une mesure de clémence en vertu de laquelle le président de la République dispense un condamné de subir tout ou partie de sa peine ou lui permet d’exécuter une sanction plus douce que celle prononcée initialement. La grâce présidentielle échappe à tout contrôle et tout recours.
Rappelons que, jusqu’en 1981, cette grâce donnait au chef de l’Etat le pouvoir de dispenser ou non un condamné à mort d’être guillotiné. V. Giscard d’Estaing est le dernier président à avoir refusé sa grâce en 1977 à H. Djandoubi. Depuis la suppression de la peine de mort en 1981 instaurée par F. Mitterrand, cette grâce permettait au président d’accorder des grâces collectives à chaque 14 juillet. Cela avait comme principal avantage de lutter contre la surpopulation carcérale. Peu de temps après son élection, N. Sarkozy chantre d’une politique pénale répressive, décida en 2008, d’une révision de l’article 17 qui mit fin aux grâces collectives. R. Badinter, ancien Garde des Sceaux, s’était opposé à cette révision estimant, à raison, qu’il ne fallait « pas constitutionnaliser un choix personnel de politique pénale ».
Il faut préciser également que selon l’article 64 de la Constitution « Le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ».
Nous l’avons indiqué précédemment, le président Hollande a donc accordé une grâce partielle à Mme Sauvage. C’était son droit le plus strict. Le tribunal d’application des peines de Melun n’a pas suivi la voie tracée par le chef de l’Etat. Il n’y était nullement obligé. Là encore, juridiquement, et au nom de la séparation des pouvoirs (bien que la justice ne soit, selon l’article VIII de la Constitution, qu’une « autorité »), il n’y a rien à redire. Du côté des magistrats on sait que certains vivent mal une grâce. D’autres estiment que leur rôle est de s’ « extraire des considérations particulières pour prendre des décisions en droit » (V. Duval, présidente de l’USM). Quant aux politiques, certains n’ont pas manqué (le plus souvent par visées électoralistes) de s’exprimer également en attaquant la décision du chef de l’Etat et le jugement du tribunal de Melun.
Humainement cette décision peut surprendre. En tout cas elle est vécue comme une injustice par Mme Sauvage et les siens ainsi que par une large partie de l’opinion publique. On peut les comprendre. Mais entre le droit et la morale, qui se nourrissent pourtant l’un l’autre, il est parfois difficile de trouver la juste attitude… L’équilibre de la balance de la justice n’est pas toujours aisé à trouver. Signalons toutefois que le comité de soutien à J. Sauvage a décidé, le 23 août dernier, de renoncer à toute action publique jusqu’au prononcé de l’appel. Cela afin de « laisser les magistrats prendre leur décision en toute sérénité et par respect pour Jacqueline » (Le Parisien, 24 août 2016). Seule la pétition est encore en circulation. Elle rassemblait mi-août 130 000 signatures notamment pour demander au chef de l’Etat une grâce totale.
Du côté de l’Elysée F. Hollande est resté fidèle à sa conduite en la matière : ne pas commenter une décision de justice. Ne pas s’immiscer dans les affaires de justice. Selon un conseiller, « le président avait opté pour une position équilibrée qui consistait, tout en prenant en compte la situation de Mme Sauvage et en lui permettant de déposer immédiatement une demande de libération conditionnelle, de respecter l’indépendance et le pouvoir d’appréciation de la justice » (Le Parisien, ibid). C’est une position qui est selon nous équilibrée. Mais la décision du tribunal de Melun, assez inattendue, change tout de même la donne.
Pour conclure, il existait selon nous plusieurs solutions pour cette affaire. D’abord comme l’y autorise l’article 17 de la Constitution, on l’a dit, le président de la République après avoir accordé une grâce partielle, pouvait accorder une grâce totale. C’était tout de même très improbable. Ensuite étant donné l’appel du parquet, un nouvel examen du dossier aurait eu lieu. Egalement Mme Sauvage pouvait faire une nouvelle demande de libération conditionnelle. Dans un premier temps, le 18 août, par la voix de ses avocates elle préféra, « épuisée de l’acharnement judiciaire à son encontre », renoncer à cette demande. Le parquet fit de même. Ainsi avec les réductions de peine automatiques, elle pouvait sortir en 2018. Puis sur l’insistance de ses avocates (craignant pour leur cliente), le 19 août Mme Sauvage change d’avis et interjette appel. Dès lors le parquet maintient le sien. Il appartient désormais à la chambre d’application des peines de la cour d’appel de statuer. Mais, finalement, F. Hollande accorde, le 28 décembre 2016, sa grâce à J. Sauvage, laquelle est sortie de prison le soir même.
Raphael Piastra
Maître de conférences en droit public à l’Université d’Auvergne