L’immunologie étudie les mécanismes de défense de l’organisme contre les agents étrangers et plus particulièrement les agents infectieux (bactéries, virus et parasites). Il s’agit à la fois d’analyser les réponses immunitaires normales assurant la protection des individus contre les infections et leur guérison lorsqu’ils ont contracté la maladie. Il peut aussi s’agir de l’analyse des réponses immunitaires anormales qui sont la source de diverses maladies en particulier les maladies allergiques, les maladies auto-immunes (comme le diabète insulino-dépendant ou la sclérose en plaques), les déficits immunitaires ou les cancers du système lymphoïde (syndromes immunoprolifératifs comme le myélome multiple ou les leucémies lymphocytaires).
L’immunologie s’est révélée d’une efficacité remarquable dans le diagnostic de nombreuses infections et des maladies immunitaires qui viennent d’être citées. Surtout, elle a été à l’origine de thérapeutiques préventives ou curatives remarquables dont on présentera deux exemples particulièrement spectaculaires plus bas. Les progrès réalisés dans les vaccins sont connus de tous. Ils ont donné lieu, en particulier, à la mise à disposition de vaccins très efficaces contre la Covid-19, nous y reviendrons ultérieurement. Des progrès restent cependant à faire non pas tellement en raison d’effets secondaires qui sont rarissimes mais surtout en raison de l’absence de vaccins pour de nombreuses maladies infectieuses, comme le Sida, et encore plus pour les maladies parasitaires. On peut raisonnablement espérer que les vaccins à ARN messager contribueront à résoudre les difficultés rencontrées aujourd’hui.
L’épidémiologie était initialement la discipline consacrée à l’étude des épidémies, comme son nom l’indique. Le champ de la discipline s’est étendu à d’autres domaines médicaux concernant différentes maladies, en se fondant sur la rationalité de l’analyse biostatistique. C’est ainsi que la discipline concerne aujourd’hui, outre l’étude des épidémies, l’analyse de la fréquence et de la distribution géographique des maladies, les facteurs de l’environnement qui peuvent les déclencher ou les essais thérapeutiques pour lesquels la biostatistique a apporté une rigueur indispensable.
À ce sujet, il faut rappeler qu’avant la prise en charge des essais thérapeutiques par les épidémiologistes, il était très difficile de juger de l’efficacité d’un médicament sauf si celle-ci était majeure.
Il n’a pas fallu beaucoup de cas pour affirmer que la streptomycine guérissait la méningite tuberculeuse du jeune enfant. En revanche, il n’aurait pas été possible de démontrer l’efficacité de certains médicaments et encore plus de l’association de plusieurs médicaments dans le traitement de nombreux cancers sans la mise en œuvre d’essais thérapeutiques contrôlés avec un groupe témoin (le meilleur traitement existant lors de l’évaluation d’un nouveau médicament) et leur analyse biostatistique. Cette pratique est maintenant de mise pour tous les essais thérapeutiques même si, malheureusement, quelques médecins croient encore pouvoir réaliser des essais concluants sans groupe témoin (recevant un placebo). L’annexe 1, qui présente quelques grands noms de l’épidémiologie, illustre bien la diversité de la discipline.
La survenue de la pandémie de Covid-19 a attiré l’attention du grand public sur les liens existants entre l’immunologie et l’épidémiologie. De fait, on s’est aperçu que l’étude des réponses immunitaires qui assurent la guérison ou la protection contre le virus devait être analysée sur un plan épidémiologique rigoureux. Parallèlement, les progrès de l’immunologie ont conduit à de nouvelles approches thérapeutiques des cancers, l’immunothérapie, dont les bienfaits ont été démontrés par des essais thérapeutiques rigoureux. Enfin, troisième exemple, il a été montré que l’augmentation de la fréquence des maladies auto-immunes et allergiques, notée depuis quatre décennies dans les pays industrialisés, était corrélée avec la diminution de la fréquence des grandes maladies infectieuses, une corrélation dont on a pu prouver la relation de causalité, c’est la théorie hygiéniste. Nous traiterons de ces trois exemples avec quelques détails car ils illustrent parfaitement les liens étroits qui unissent l’immunologie et l’épidémiologie.
La Covid-19
Le virus à l’origine de la Covid-19, SARS-CoV-2, provoque une réaction immunitaire intense et dans la très grande majorité des cas très efficace, assurant la guérison du malade en quelques jours. Il se trouve, malheureusement, que dans quelques cas (de l’ordre de 1 %) alors que le virus a été éliminé grâce à la réponse immunitaire, cette dernière se dérègle donnant lieu à ce que l’on appelle un orage cytokinique qui peut entraîner le décès du patient. Les cytokines sont des molécules produites par les cellules de l’immunité, les lymphocytes, douées d’activité pharmacologique souvent favorables et participant à l’immunité mais parfois délétères.
La réponse immunitaire anti-SARS-CoV-2 fait d’abord intervenir l’immunité innée par l’intermédiaire de cytokines en particulier l’interféron alpha. L’importance de cette cytokine est indiquée par le fait que des formes graves de la maladie sont observées chez des sujets ayant un déficit génétique (mutation) de la production d’un interféron alpha biologiquement actif ou chez les sujets porteurs d’anticorps neutralisant l’interféron alpha. Dans un second temps, les lymphocytes sont sollicités, les lymphocytes T qui assurent l’immunité cellulaire et qui aident à la production des anticorps par les lymphocytes B. Les anticorps sont d’abord de la classe IgM puis IgG, sans oublier les IgA qui sont produites dans les muqueuses respiratoires. Ensuite s’installe une mémoire immunitaire qui permet à l’individu ayant déjà fait la maladie d’éliminer le virus en cas d’une nouvelle exposition en produisant de manière très rapide des anticorps contre le virus de haute affinité.
La vaccination anti-Covid-19 s’est révélée extraordinairement efficace, au-delà de toutes les prédictions les plus optimistes.
La protection nécessite deux injections mais celle-ci est d’une durée relativement limitée (environ 6 mois) d’où l’importance d’une injection de rappel (troisième dose pour les sujets n’ayant pas fait la maladie et deuxième dose pour ceux l’ayant faite). Ces données immunologiques, qui ont été analysées sur des milliers de sujets, tirent toute leur valeur de leur corrélation avec les données issues de l’épidémiologie. On a, en effet, pu montrer que la présence d’anticorps ou de lymphocytes T spécifiques du virus est associée à la protection contre la maladie ou du moins de ses formes sévères. L’effet des vaccins sur la transmission du virus est moins net. La complémentarité des deux disciplines, immunologie et épidémiologie, apparait donc clairement. Sans l’immunologie, l’épidémiologie manquerait des marqueurs nécessaires pour établir ses conclusions. Sans l’épidémiologie, les immunologistes ne pourraient pas valider les marqueurs associés à la protection. Chaque discipline a donc ses limites. Les prédictions épidémiologiques, fondées sur la seule modélisation, restent fragiles comme l’attestent les résultats contradictoires rapportés ici ou là. Le problème est lié au fait que les modèles mathématiques utilisés ne tiennent pas suffisamment compte des nombreuses variables de l’infection tant pour sa contagiosité que sa sévérité. On peut ainsi citer le rôle de la durée variable d’un individu à l’autre de la protection, des différences de promiscuité selon les régions ou les conditions économiques, l’existence de « super-contaminateurs » ayant une forte charge virale ou, à l’inverse de sujets spontanément résistants à la maladie comme cela a été observé chez certaines familles où certains sujets ne développant pas la maladie même de façon asymptomatique (alors reconnue par les tests PCR)1.
L’immunothérapie des cancers
On savait depuis longtemps que le système immunitaire pouvait détruire certaines tumeurs, notamment des tumeurs viro-induites.
Néanmoins, dans la très grande majorité des cas, la réponse immunitaire antitumorale est insuffisante pour détruire le cancer.
Une découverte fondamentale a été réalisée, il y a une quinzaine d’années, montrant que le blocage de certaines molécules assurant la régulation du système immunitaire (dites check-point) augmentait l’immunité antitumorale. Dans la pratique, l’administration d’anticorps monoclonaux (copies multiples d’un anticorps de spécificité donnée produit in vitro) dirigés contre ces molécules augmente la survie de malades atteints de certains cancers. Cette observation d’abord réalisée dans les mélanomes métastatiques a été étendue à d’autres cancers, notamment les cancers du poumon. La preuve de l’efficacité de ces nouveaux traitements a été apportée ici encore par des essais thérapeutiques fondés sur une analyse biostatistique rigoureuse2.
La théorie hygiéniste
Comme cela a été dit plus haut, la fréquence des maladies auto-immunes et allergiques augmente régulièrement depuis 40 ans. La fréquence du diabète insulino-dépendant, qui est une maladie due à la destruction des cellules bêta du pancréas qui produisent l’insuline par des lymphocytes T autoréactifs, est plus élevée dans les pays développés et commence à augmenter dans les pays émergents parallèlement à l’augmentation du produit intérieur brut. Il faut noter que les migrants venant de ces pays émergents vers les pays industrialisés voient augmenter la fréquence des maladies auto-immunes dès la première génération. Il en est de même pour les maladies allergiques qu’il s’agisse de l’eczéma du nourrisson, de l’asthme, du rhume des foins ou des allergies alimentaires. Parallèlement, pendant la même période de temps, on a assisté à une décroissance de la fréquence des maladies infectieuses ou du moins des plus sévères d’entre elles telles la tuberculose, les hépatites ou les gastroentérites du nourrisson. Nous avons proposé au début des années 2000 que les deux phénomènes pouvaient être reliés par une relation de causalité. Le système immunitaire qui n’est plus sollicité par les infections se retourne contre les antigènes plus faibles que sont les antigènes du « soi » (maladies auto-immunes) ou des allergènes (maladies allergiques).
Le rôle des infections est également suggéré par le fait que les enfants fréquentant une crèche ou appartenant à une famille nombreuse, qui sont particulièrement touchés par les infections, présentent moins de maladies allergiques.
La relation de causalité entre ces deux observations a été démontrée par l’étude de modèles expérimentaux. C’est ainsi que la souris Non Obèse Diabétique, qui développe spontanément un diabète auto-immun, est protégée de la maladie lorsqu’elle est élevée dans une animalerie aux conditions sanitaires médiocres, c’est-à-dire présentant différents agents infectieux (bactéries, virus ou parasites). Il suffit de décontaminer les souris par césarienne suivie de la mise en isolateur des nouveau-nés pour voir réapparaître la maladie dès la première génération. Les études immunologiques réalisées dans les modèles expérimentaux ont permis d’identifier les mécanismes sous-jacents à ces observations. Des arguments du même ordre commencent à être rapportés chez l’homme. C’est ainsi que le traitement de femmes enceintes ayant une forte hérédité pour les maladies allergiques par des probiotiques (bactéries intestinales non pathogènes) puis de leur nouveau-né réduit de plus de 30 % la fréquence des eczémas du nourrisson. De même, l’administration de médicaments antiparasitaires chez des enfants présentant des infections par un parasite, le schistosome, réduit l’infestation parasitaire mais parallèlement augmente la fréquence des réactions allergiques. Encore une fois, c’est la complémentarité de l’immunologie et de l’épidémiologie qui a permis d’établir cette théorie qui éclaire la compréhension des maladies auto-immunes et allergiques et qui pourrait déboucher à terme sur de nouvelles stratégies thérapeutiques. Il s’agirait de prévenir ces pathologies en administrant chez les sujets ayant une prédisposition génétique ou environnementale à ces maladies des produits simulant l’effet des bactéries, virus ou parasites sans pour autant causer les maladies infectieuses3.
Les Leçons pour l’avenir
La pandémie de Covid-19 a attiré l’attention du grand public sur l’épidémiologie et a conduit la communauté scientifique à en cerner les bienfaits mais aussi les limites. De grandes incertitudes persistaient au moment où ce texte a été rédigé sur le devenir de l’épidémie et plus particulièrement sur ce qui concerne la dissémination et l’effet pathogène du variant Omicron. Il est néanmoins déjà possible de faire un bilan relativement objectif des insuffisances auxquelles le monde scientifique et politique a été confronté, y compris les erreurs commises dont certaines peuvent déjà être identifiées. Il faudra améliorer la réactivité si une nouvelle épidémie survenait en lançant des programmes de test et d’isolement. La production de vaccins devra être très rapide, comme elle le fut pour la Covid-19, en sachant qu’il n’est pas toujours facile de savoir quel sera l’avenir d’une épidémie.
Dans un premier temps, il faudra avoir recours aux gestes barrières notamment le port de masques s’il s’agit d’infections respiratoires ou d’autres mesures si la transmission n’est pas aérienne. Ces mesures d’hygiène seront d’autant plus facilement acceptées qu’elles seront déjà appliquées en dehors d’une épidémie, comme c’est le cas en Asie où nombre de sujets atteints d’infections respiratoires relativement banales protègent leurs compatriotes en portant des masques.
Un effort majeur devra être fourni au niveau global pour mettre au point les tests moléculaires, virologiques et immunologiques, et mettre en œuvre un programme vaccinal ambitieux qui ne soit pas restreint à un petit nombre de pays et, en tout cas, qui puisse répondre aux besoins des différents pays de la planète.
Le suivi de l’épidémie et les mesures de santé publique devront prendre en compte, de façon équilibrée, les risques de débordement hospitalier ainsi que les conséquences économiques et sociétales.
Ici encore, l’approche devra être globale, par exemple sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé dans la mesure où celle-ci aura la capacité et les moyens de se faire entendre de façon utile. On retrouve dans cet objectif la complémentarité développée dans cet article entre l’épidémiologie et l’immunologie. Les épidémiologistes auront pour rôle d’affirmer l’émergence de l’épidémie. Les immunologistes devront mettre rapidement au point des tests permettant de faciliter le diagnostic de l’infection et, surtout, d’évaluer le niveau de l’immunité contre le virus. Lorsque l’épidémie se développera, probablement par vague comme ce fut le cas pour la Covid-19, les épidémiologistes identifieront la progression de chaque vague et les immunologistes pourront suivre le niveau et la durée de l’immunité (à la fois humorale et cellulaire) que celle-ci soit naturelle après l’infection ou induite par un vaccin. L’analyse fine de cette réponse immunitaire se révélera particulièrement importante pour la mise au point des différents vaccins qui devront être produits. L’étude de l’immunité permettra probablement de faire la part de ce qui revient à l’immunité collective et à la sélection des variants dans l’arrêt de l’épidémie.
Jean-François BACH
Professeur de médecine, biologiste et immunologiste
Secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie des sciences
- Cf. Jean-François Bach, Patrick Berche, Lucienne Chatenoud, Dominique Costagliola, Alain-Jacques Valleron, « Covid-19: individual and herd immunity », Comptes Rendus Biologies, Elsevier, 2021 et Miquel Oliu-Barton, Bary S R Pradelski, Yann Algan, Michael G Baker, Agnes Binagwaho, Gregory J Dore, Ayman El-Mohandes, Arnaud Fontanet, Andreas Peichl, Viola Priesemann, Guntram B Wolff, Gavin Yamey, Jeffrey V Lazarus, « Elimination versus mitigation of SARS-CoV-2 in the presence of effective vaccines », The Lancet Global Health, 2021. ↩
- Cf. Jose Luis Perez-Gracia, Sara Labiano, Maria E Rodriguez-Ruiz, Miguel F Sanmamed, Ignacio Melero « Orchestrating immune check-point blockade for cancer immunotherapy in combinations », Curr Opin Immunol., 2014. ↩
- Cf. Jean-François Bach, « The effect of infections on susceptibility to autoimmune and allergic diesases », N Engl J Med, 2002 et « The hygiene hypothesis in autoimmunity: the role of pathogens and commensals », Epub, 2017. ↩