Les Pouvoirs publics versent désormais dans l’autosatisfaction quand ils évoquent la notion de lutte contre le chômage. Le ministère du Travail comporte même dans son intitulé le terme de plein emploi. Si tout allait si bien, cela se saurait et la France ne compterait pas près de 10 millions de pauvres. En réalité, on nous masque la notion de halo du chômage.
Selon l’Insee, le halo du chômage regroupe près de 2 millions de personnes “qui ne sont pas considérées comme étant au chômage au sens du BIT, même si leur situation en est proche” (Emploi, chômage, revenus du travail, Insee Références, Édition 2022 page 126).
“Le halo autour du chômage se compose en effet de personnes sans emploi qui, soit ont recherché un emploi mais ne sont pas disponibles pour travailler (450.000 personnes) ; soit n’ont pas recherché d’emploi, mais sont disponibles pour travailler et souhaitent travailler (841.000 personnes) ; soit n’ont pas recherché un emploi et ne sont pas disponibles pour travailler mais souhaitent travailler (660.000 personnes).”
Cette définition permet de montrer les sérieuses limites que portent la présentation usuelle du sous-emploi cantonnée à la seule catégorie A.
Il y a la politique active de radiation (qui peut parfois être légitime) mais il y a donc pléthore d’astuces de présentation de ce drame français du chômage.
“La seule référence au taux de chômage pour mesurer la distance d’une économie à la situation de plein-emploi est insuffisante, souligne Denis Ferrand (Rexecode). Pour y parvenir, il faut prendre en compte l’insertion de la population dans l’emploi.” (Les Échos, 22 mai 2023).
Autant dire que le halo du chômage est d’autant plus crucial à cerner qu’il englobe le cas des travailleurs bénéficiaires du RSA mais qui parviennent à compléter leur train de vie au moyen de travaux dissimulés. Tant le magistrat Charles Prats que Nathalie Goulet, sénatrice de l’Orne et Vice-Présidente de la commission des Lois du Sénat, ne cessent d’alimenter une réflexion intègre sur ce sujet incorporé à celui de la fraude sociale.
Chaque cas est spécifique mais convenons qu’il existe bel et bien des profiteurs du système. Le travailleur sans emploi n’est pas dénué de raisonnement voire d’habileté. La théorie du “Job search” formalisée dès 1963 par Georges Stigler (prix Nobel d’économie en 1982) installait l’idée que le travailleur puisse opter pour un chômage “volontaire” (sic).
Tout d’abord parce qu’il escompte davantage que ce que lui fourniraient les offres d’emplois qui lui sont proposées. Puis, parce que le niveau des aides publiques lui permet de garder le cap de l’inactivité.
Ces opportunistes ne doivent pas être confondus avec le cas des personnes hélas sincèrement éloignées de l’emploi. On retrouve la notion de chômage de longue durée légèrement supérieur à 2,1 % de la population active.
Le sociologue Jean Viard et d’autres ont eu l’occasion de réfléchir sur cette question du marché dual du chômage. Comme l’explique la Banque de France dans un billet (https://blocnotesdeleco.banque-france.fr/billet-de-blog/la-dualite-du-marche-du-travail-en-france) “la flexibilité du marché du travail repose essentiellement sur les salariés en CDD et intérim. Ceux-ci sont moins bien rémunérés, reçoivent moins de formations et obtiennent difficilement un CDI.”
Clairement, les chiffres actuels attestent de la pertinence de l’expertise sociologique tandis que les inégalités sociales, mal appréhendées par le Gouvernement de Madame Borne, sont au cœur du phénomène de sous-emploi.
Phénomène protéiforme car il recouvre de nouveaux rapports au travail en lui-même. Depuis les confinements liés à la Covid, une large fraction de la population ne s’épanouit plus par et pour le travail.
D’un côté, le nombre de postes vacants continue d’être très significatifs et de l’autre le chômage français présente une structure atypique au regard d’autres pays de l’Union européenne.
Cette singularité continue de peser sur les entreprises et sur les contribuables et vient, selon mon analyse, démontrer le bien-fondé de la “théorie du déséquilibre” notamment formalisée par Edmond Malinvaud, l’ancien directeur général de l’Insee. Cet apport conceptuel a démontré la coexistence possible d’un chômage classique et d’un chômage keynésien. Voilà un point de départ argumenté pour qui prend en considération la notion de halo du chômage, d’autant plus vigoureusement que nous voguons vers des temps de croissance atone.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique