Après des décennies de développement autocentré, essentiellement basé sur ses ressources internes, l’Inde devient une force géopolitique montante. Le pays, doté d’une économie qui a renoué avec la forte croissance, cherche indéniablement à acquérir une dimension diplomatique globale, au moment même où le modèle chinois connait des difficultés.
L’Inde assure actuellement la présidence du G20, et New Delhi accueillera le sommet de ses dirigeants pour la première fois en septembre prochain. L’Inde est également active au sein des BRICS, qui lui servent notamment à renforcer ses liens avec l’Afrique et l’Amérique du Sud.
Le Premier Ministre indien Narendra Modi a été reçu à Washington fin juin, puis était l’invité de la France pour le défilé du 14 juillet à Paris.
Cela témoigne clairement de l’importance stratégique accrue de l’Inde dans l’esprit des dirigeants occidentaux, mais aussi de la nécessité pour l’Inde de trouver des partenaires internationaux fiables, afin d’atteindre ses ambitieux objectifs économiques.
D’ailleurs, c’est sans doute avec des visées géopolitiques que l’Inde a lancé un nouveau vaisseau spatial vers la Lune. Si cette mission devait réussir, l’Inde rentrerait dans le club très fermé des pays ayant réussi à effectuer un alunissage contrôlé, après les États-Unis, l’ex-Union soviétique et la Chine. Un symbole qui serait important, pour un pays souhaitant affirmer sa stature internationale.
Car l’Inde, à cause de sa position géographique particulière, est longtemps restée à l’écart dans le processus de mondialisation. Il est vrai que ses voisins, parfois hostiles, que ce soit le Pakistan, le Bangladesh, la Birmanie ou, bien sûr, la Chine, ne l’ont historiquement pas beaucoup aidé à interagir avec le reste du monde.
Mais, c’est surtout après la crise financière de 2008, que l’Inde a payé le prix fort de son isolement.
Au cours de la décennie qui a suivi, les politiques macroéconomiques indiennes (remontée des taux d’intérêt directeurs et réduction des dépenses publiques) ne créent pas suffisamment d’emplois industriels.
En outre, elles négligent le secteur agricole, faisant de l’Inde une économie trop exclusivement tournée vers les services. Par conséquent, le secteur informel continue de dominer l’économie et la consommation domestique ne croît que trop faiblement. En parallèle, l’état des infrastructures dans les secteurs de l’énergie, des transports ou du stockage constitue un goulot d’étranglement qui pénalise fortement les exportations du pays.
Tandis que Pékin avait bâti sa croissance économique en s’ouvrant aux capitaux étrangers et en devenant « l’usine du monde », New Delhi avait raté le train de la mondialisation et son économie n’avait pas connu la croissance escomptée. Au sortir de cette « décennie perdue », l’Inde avait donc connu une défaite dans son « match » avec la Chine.
Mais, plusieurs facteurs montrent que la tendance semble s’inverser et que l’Inde peut maintenant se rêver en puissance internationale, avec une économie qui semble tenir ses promesses.
D’un point de vue démographique d’abord, il est devenu un lieu commun de rappeler que l’Inde vient officiellement de dépasser la Chine, pour devenir le pays le plus peuplé du monde (1,4 milliard d’habitants). Même si l’Inde voit son taux de natalité progressivement baisser, sous l’effet du processus d’industrialisation, le pays ne se retrouvera pas dans une situation de vieillissement « à la chinoise », avant au moins une cinquantaine d’années. Ainsi, entre 450 et 550 millions de personnes devraient rejoindre la classe moyenne d’ici à 2030. En outre, l’Inde se pose comme la future usine de talents du monde et comptera 20% de la population active mondiale d’ici 2045.
Ensuite, d’un point de vue économique, cet avantage démographique durable lui offre une opportunité de croissance axée sur la consommation domestique pour au moins plusieurs décennies.
Et le boom industriel qui va en découler ne va pas manquer d’attirer les investisseurs internationaux.
Si le PIB de l’Inde (3 500 milliards de dollars) est encore sept fois inférieur à celui des États-Unis, l’Inde s’est fixée comme objectif de devenir rapidement la troisième économie mondiale, grâce à la croissance combinée de son industrie et du secteur tertiaire.
En outre, la diaspora indienne, la plus importante au monde depuis 2010, constitue aujourd’hui une ressource puissante pour le gouvernement indien dans son effort d’internationalisation, car elle joue un rôle important dans le développement des relations de l’Inde avec le monde et la promotion de ses intérêts. Ainsi, de nombreux dirigeants d’origine indienne occupent des postes de direction au sein des plus grandes entreprises mondiales. Par exemple, aux Etats-Unis, plusieurs géants de la technologie ont à leur tête un individu d’origine indienne (Microsoft, Alphabet, Adobe…). Une réussite impressionnante, alors même que les immigrés indiens ne représentent que 1% de la population outre-Atlantique.
Enfin, dans un monde plus fracturé, l’Inde va pouvoir bénéficier de sa position géographique, grâce à sa relation privilégiée avec le Moyen Orient, ce qui devrait mettre le pays à l’abri du risque d’une crise énergétique. De plus, l’Australie est devenue une nation beaucoup plus amicale envers les Indiens qu’elle ne l’est envers la Chine.
L’Inde peut donc compter sur des importations de ressources minières supplémentaires pour soutenir sa croissance économique.
En somme, le futur de l’Inde s’annonce sous les meilleurs auspices, car nombre d’éléments de réussite semblent être en place.
Mais, si elle bénéficie clairement d’une dynamique favorable, l’Inde a encore plusieurs défis à affronter, dans sa route vers le leadership international.
D’une part, l’Inde ne possède pas assez de grandes entreprises multinationales dans la plupart des secteurs clés de l’économie. Même si des entreprises de services technologiques sont en passe de devenir des puissances mondiales, le capitalisme indien, est avant tout familial et national. Les grandes entreprises comme Tatas, Ambanis, Godrej, Bajaj, Hindujas, Ruias, Mittlas, Thapars, Adanis, Birlas, Jindals, Mahindras, et bien d’autres sont toujours contrôlées par leurs dynasties respectives.
En fait, 90% des entreprises en Inde, qu’il s’agisse de PME ou de grands conglomérats, sont toujours détenues, contrôlées et gérées par des familles, très bien implantées localement, mais avec une ambition internationale trop limitée. Si ces entreprises familiales ont connu la réussite dans un environnement qu’elles maitrisent parfaitement, elles ne sont généralement pas encore prêtes à la concurrence avec des multinationales étrangères. D’où la nécessité d’une intensification des investissements pour améliorer la compétitivité des entreprises indiennes, dans un contexte d’économie plus ouverte.
D’autre part, le système indien manque cruellement de capital, alors même que des investissements gigantesques (estimés à 1 400 milliards de dollars, rien qu’à l’horizon 2025) sont nécessaires pour développer les infrastructures du pays.
Les marchés des capitaux jouent un rôle crucial dans le développement d’une économie, en facilitant les investissements à long terme et en canalisant l’épargne vers des investissements productifs.
Or, la disponibilité du capital en Inde est parmi les plus faibles au monde, relativement à la taille de son économie. Ainsi, de nouvelles réformes sont nécessaires pour rendre le marché des capitaux à la fois plus profond et plus accessible aux investisseurs internationaux.
L’accélération de la croissance économique indienne dépendra fortement de sa capacité à résorber son déficit d’infrastructures.
Dans un contexte d’insuffisance des ressources budgétaires publiques, le financement des infrastructures devra mobiliser non seulement l’épargne domestique, mais aussi des capitaux internationaux.
De fait, le vrai défi de l’internationalisation de l’Inde consiste avant tout à attirer des capitaux étrangers pour financer le nécessaire rattrapage des investissements dans les infrastructures, et permettre à son économie de réaliser enfin son énorme potentiel.
Guillaume du Cheyron
Spécialiste de la Finance d’Entreprise
Président de G2C Corporate Finance