Revue Politique et Parlementaire – Vous venez de déclarer que les mesures prises par le gouvernement afin d’affronter les risques de pénurie électrique cet hiver n’étaient pas sérieuses et relevaient du plan de communication. Pourquoi ce constat ? Et quelles sont les dispositions qu’il conviendrait de prendre ?
Loïk Le Floch-Prigent – Effectivement la sobriété prônée avec les « petits gestes » individuels n’a aucun impact réel sur la consommation du pays, elle habitue la population à l’idéologie de la décroissance, du déclin, le télétravail a un impact mais on connait désormais les conséquences négatives sur la production si on va trop loin et enfin l’appel aux « grands consommateurs » conduit aux arrêts industriels et donc à la désindustrialisation, au déménagement vers des pays plus accueillants, ce n’est pas ce que le pays peut souhaiter !
Le sujet est par conséquent celui de la nécessité pour notre pays d’avoir une production électrique abondante, bon marché et souveraine, le plan doit donc être de dire combien de centrales seront disponibles le 1er janvier 2023, puis 2024, 2025… puisque depuis très longtemps toutes les centrales étaient en fonctionnement en France le 1er janvier ce qui permettait à la fois de satisfaire les consommateurs individuels et industriels et d’exporter chez nos voisins. Pour ma part, je pense que depuis plus de deux ans on parle et on ne fait pas grand-chose, on n’a pas pris la mesure de l’urgence de remettre en production tout ce qui peut l’être, on s’est endormi sur des projets de communication sur la gestion de la pénurie. Pour produire plus il faut ouvrir rapidement plus de centrales, Flamanville 3 ?, les centrales arrêtées par « précaution » à cause de la contagion de la corrosion sous contrainte de circuit secondaire, les centrales à charbon (Le Havre) à fioul (Porcheville)…
Sans retour à l’énergie abondante on peut, en mettant quelques cierges pour Noël, passer 2023, mais 2024 et les suivantes ? Et ensuite ?
Pour s’en sortir il faut reconstruire en urgence de nouvelles centrales nucléaires, en cinq ans comme le font les Chinois et non en quinze ans comme on nous le dit. Enfin, sur le long terme il faut retrouver notre point fort, les réacteurs à neutrons rapides (RNR) comme l’a si bien démontré Yves Bréchet devant l’Assemblée nationale.
On peut rajouter que le programme parlementaire qui propose une loi « d’urgence » sur la limitation des recours pour les constructions des éoliennes et des panneaux solaires est mal informé, il n’y a pas urgence, pendant l’hiver il n’y a ni vent ni soleil, et ces énergies sont intermittentes, par conséquent très largement inutiles sauf pour les circuits courts locaux qui ne posent pas de problèmes de recours intempestifs ! Ce ne sont pas les usines éoliennes en mer qui vont résoudre nos problèmes actuels, elles ne viennent que le compliquer avec leur intermittence.
RPP – L’ancien Haut-commissaire au CEA vient de déclarer devant les députés qui l’auditionnaient sur la perte de souveraineté énergétique que « l’Etat bavard s’était substitué à l’Etat stratège ». Partagez-vous cette analyse ?
Loïk Le Floch-Prigent – On ne peut guère dire mieux que ce que vient de déclarer Yves Bréchet, j’aurais tendance à être plus brutal, il est plus diplomatique.
L’Etat a désormais disparu des radars de l’action, il communique et n’a même pas été capable de revenir sur le programme RNR et sur la loi qui ramène à 50 % la production nucléaire alors que depuis plus de deux ans il peut observer que nous allons dans le mur à très grande vitesse.
Nous y sommes désormais quelle est l’action, non le discours ? Combien de centrales disponibles le 1er janvier ? Nous avons un mois ! L’Etat est déjà dans le foie gras ? Les industriels sont anxieux non pas à propos des coupures (abondance) mais à propos du prix (bon marché) puisqu’on leur fait signer des contrats à 3, 5, 6 fois plus que les années précédentes sans que cela émeuve le moins du monde les commentateurs, il y a le problème du marché de l’électricité, nous produisons l’énergie électrique la moins chère d’Europe et ce sont nos industriels qui la paient le plus cher, au moins trois fois plus que nos concurrents voisins et personne ne peut expliquer qui l’on paie ainsi !
RPP – La question de la maintenance des réacteurs est aussi l’un des sujets de cette crise. Pensez-vous que les politiques mises en œuvre sur le plan budgétaire par l’Etat actionnaire, notamment avec la RGPP, sont comptables aussi de ce défaut de maintenance ou faut-il y voir d’autres causes ?
Loïk Le Floch-Prigent – Pour moi la cause essentielle c’est dans tous les services de l’Etat un principe de précaution attisé par les anti-nucléaires et les anti-industries, les apôtres de la décroissance et les nostalgiques de la nature fantasmée. Je suis profondément écologiste, soucieux de la biodiversité et de la préservation des écosystèmes, je suis pour une industrie responsable et soucieuse de la qualité de ses produits comme de la sérénité de leur fabrication, mais notre société toujours plus nombreuse a besoin que l’on produise et donc que l’on dispose d’une énergie.
La manière dont on a coupé les budgets, critiqué les ingénieurs, retardé les programmes, inventé des appels d’offres léonins, coupé dans toutes les dépenses essentielles à la survie du pays est un drame.
Nous en vivons les conséquences aujourd’hui mais le temps passé à rechercher les coupables est un temps perdu, il y a mieux à faire, chercher les moyens de nous en sortir et cela va passer d’abord par un examen des contraintes réelles de la remise en route des centrales nucléaires en dégageant tous les esprits chagrins qui ont construit jour après jour des obstacles inutiles pour aider à la disparition de l’industrie nucléaire, tous ces « conseillers » ignorants qui sont heureux de retarder tous les jours les investissements dans l’énergie et dans l’industrie au nom d’une préservation de l’environnement dont ils ne connaissent rien. L’Etat actionnaire a été défaillant, ainsi aussi ses courtisans, il faut donc désormais agir, retrouver notre liberté de produire, retrouver nos coûts, retrouver notre fierté. Pour les centrales nucléaires le programme de maintenance est clair, elles doivent fonctionner toutes comme autrefois le 1er janvier de chaque année !