L’institut Pollingvox réalise pour nous un sondage sur les français et la liberté, qui sera présenté par Jérôme Sainte-Marie à la Cité des débats – L’événement de la Revue Politique et Parlementaire ce jour.
Dans la trilogie officielle des valeurs républicaines, les Français chérissent avant tout la liberté. Si le mot se prête aux plus vastes considérations philosophiques, l’article 5 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 en donne une signification politique très claire : « tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ». Reste la possibilité évidente de lois liberticides, tant et si bien que la liberté est en permanence menacée par les forces extérieures au Droit tout aussi bien que par une extension abusive de celui-ci. Comme le sondage le montre, si les Français mettent si haut la liberté, c’est bien qu’ils ne la jugent pas toujours solidement établie. Enfant tardif de notre devise nationale, la fraternité suscite un moindre attachement, souffrant de son imprécision.
Quant à l’égalité, choisie par un quart des répondants, elle subit une forte connotation partisane, la rattachant à l’univers idéologique de la gauche.
La liberté se déclinant en l’exercice de droits, le pluriel s’impose. Les libertés, donc, apparaissent aux Français comme étant en recul dans leur pays. Si les partisans de l’actuel président de la République se distinguent en considérant leur situation stable, voire en progrès, ceux des diverses oppositions, et notamment des plus déterminées, affirment que les libertés régressent. Qu’ont-ils à l’esprit en formulant ce diagnostic ? Surtout deux libertés fortement liées entre elles, la liberté d’expression et la liberté d’opinion. Parmi les onze droits proposés, ce sont ceux-ci qui arrivent en tête, cependant que l’on trouve en bas de classement certaines libertés – celles de se syndiquer, d’entreprendre ou d’inscrire ses enfants à l’école de son choix – autrefois au centre des polémiques entre la gauche et la droite. L’opinion publique perçoit donc une menace qui porte un nom très simple, la censure.
Dans un tout autre registre, une liberté apparaît menacée à un nombre significatif de Français, la liberté de vaccination, ce qui souligne l’impact important de la crise sanitaire depuis deux ans, sans que l’on puisse aujourd’hui en estimer sa durabilité.
Quant à l’inquiétude sur les libertés d’opinion et d’expression, elle se lit avant tout selon des clivages partisans. Ce sont les sympathisants de droite et du Rassemblement national qui l’éprouvent le plus. Du côté des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, l’attention se porte singulièrement sur la liberté de manifestation, tandis que ceux de Valérie Pécresse placent en troisième position des libertés les plus menacées celle d’entreprendre. Il est donc possible de décrypter les résultats de l’étude aussi comme la concurrence de deux couples antagonistes : celui, enraciné, de la gauche et la droite, et l’autre, aujourd’hui prévalent, entre une France optimiste et sûre de son droit, et une autre se vivant ignorée ou censurée.
L’origine perçue des menaces pesant sur les libertés s’avère multiple. L’une vient de la société, le communautarisme religieux, et sur ce point les électeurs de Pécresse et de Zemmour convergent pleinement. Un autre péril serait constitué par le pouvoir d’État, et là les partisans de Mélenchon s’accordent avec ceux de Le Pen. Un troisième résiderait dans l’extrémisme politique, ce qu’identifient bien plus que les autres et en toute logique les électeurs de Macron. La carte des libertés et de leurs adversaires est donc dessinée par l’opinion publique en fonction, avant tout, des préférences politiques. Quant aux nouvelles technologies de type internet ou intelligence artificielle, leur impact sur les libertés est ambivalent, et si une forte minorité y voient une source de crainte, beaucoup considèrent leur impact comme neutre à ce sujet. Sur ce dernier point, il existe un net effet d’âge, avec des seniors bien plus inquiets que les plus jeunes.
Un autre enseignement de l’étude réside dans l’estompement de l’opposition schématique entre liberté et sécurité. La formule faisant de cette dernière « la première des libertés » rencontre l’assentiment de 72% des Français, sans guère de clivages générationnels ou sociaux. Accueillie avec enthousiasme à droite, elle est également appréciée à gauche. Il n’y a guère que chez les sympathisants de l’écologie politique que l’on trouve une désapprobation majoritaire de cette idée.
Dès lors, on constate sans trop de surprise qu’entre les deux-tiers et les trois-quarts des Français accepteraient volontiers une réduction des libertés pour contenir le risque d’attentats, de manifestions violentes, d’actes délinquants ou bien d’épidémie.
Se dessine ainsi cette situation où, dans une liste de dix acteurs auxquels on pourrait faire confiance pour défendre les libertés en France, la première place est occupée par les forces de l’ordre, police ou gendarmerie, avant les associations de défense des droits. Les institutions officielles suscitent à ce sujet une défiance majoritaire, pour ne rien dire du président de la République ou du Parlement. Se retrouve ici la déliaison entre l’opinion publique et le système politique observée dans d’autres études, notamment celles menées par le Cevipof.
L’enseignement principal de cette enquête réside dans une forte appréhension à l’égard de la censure des opinions, c’est-à-dire de leur expression. L’incessante mise en cause des réseaux sociaux au nom d’une parole légitime atteint peut-être ici sa limite. Cette hypothèse souligne que la défense revendiquée par tous du premier terme de la devise républicaine s’inscrit dans un contexte social et culturel marqué par un profond dissensus.
Jérôme Sainte-Marie
Président de Pollingvox