Léo Keller fin observateur des relations internationales dresse, pour la Revue Politique et Parlementaire, un état du monde. Où en sommes-nous ? Comment et vers quoi allons-nous ? C’est à ces questions que tente de répondre le directeur du blog géopolitique Blogazoi dans une tribune en cinq volets.
Un monde oxymore ! Tout sauf un hapax !
Thucydide rapportait dans la guerre du Péloponnèse les propos du stratège Hermocrate : « Tout se coalise sous l’effet de la crainte. » Il est toujours périlleux de convoquer l’Histoire et il est encore plus périlleux de vouloir en tirer une leçon car cela nous conduit bien souvent à des erreurs d’interprétation et donc à des décisions erronées. Karl Marx ne disait-il pas d’ailleurs que l’histoire se répète deux fois. « La première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce. » Même Thucydide ne s’y risquait pas. Pourtant, il existe outre la crainte comme moteur répulsif de l’histoire quelques constantes dont nous prétendons tirer, pour notre propos, des leçons pour deux d’entre elles et que nous devons à notre cher Thucydide : Phobos, Kerdos, Doxa ainsi que le Thucydide Trap.
L’on ne cesse de criailler, de fouailler à nos oreilles et d’embrumer nos esprits avec la représentation d’un monde qui s’abîmerait dans la décadence.
Décadence militaire des démocraties, décadence morale, décadence spirituelle, décadence des valeurs et dans la même logorrhée vers un monde se précipitant inéluctablement dans le chaos, dans la guerre. Le lecteur aura compris que nous prenons, loaf pour loaf, l’exact contre-pied de cette idée.
Que l’on permette à l’auteur de ces lignes de citer la regrettée Jacqueline de Romilly : « Car il est vrai que les Grecs n’ont jamais senti le temps comme une perspective ascendante ouverte aux créations humaines : le monde était pour eux essentiellement stable; et même sans faire intervenir la notion bien particulière du temps cyclique, il était sujet aux recommencements. De plus, s’ils parlaient d’évolution, il s’agissait en règle générale en générale de décadence.»1
On le voit l’idée d’évolution décadente est tout sauf nouvelle.
À la rescousse première de notre réflexion : l’Europe, notre si chère Europe, qui démontre chaque jour la victoire de l’intelligence et du rôle de la volition dans le cours du monde. Pour le dire autrement : où sommes-nous ? Comment et vers quoi allons-nous ? Allons-nous affronter le courroux et les foudres de Zeus, ou bien Hermès nous ramènera-t-il tel Ulysse vers les rives apaisées d’Ithaque où Pénélope l’attend sagement.
En somme les dangers géopolitiques qui nous menacent et nous assaillent à chaque instant, ne comporteraient-il pas des béances telles qui les rendraient beaucoup moins inquiétants et opérants qu’on ne veut bien le craindre. Le wilsonisme sagement botté va-t-il s’effacer devant un unilatéralisme carapacé et cuirassé prêt aux aventures les plus folles ?
Les leçons que nous devrons en tirer vont-elles nous amener en géopolitique à ce que les philosophes appellent : la « vie bonne ». Sans paraphraser Francis Fukuyama et sans prétendre à une fin de l’histoire géopolitique émettons une hypothèse : et si l’avenir géopolitique, tout sauf catastrophique, était la traduction de la dialectique hégélienne du « da sein » avec le « an sein. »
Léo Keller
Directeur du blog de géopolitique Blogazoi
Professeur à Kedge Business School
- Jacqueline de Romilly in l’invention de l’histoire politique chez Thucydide. ↩