Le 7 Mai 2017 marquait le jour 1 d’un nouveau monde promis à la recomposition de la vie politique française. Alors que se déroule une certaine idée macroniste de la campagne présidentielle, ce rendez-vous d’exception est une nouvelle fois amputé de ses ambitions universelles par des perturbations extérieures impossibles à ignorer.
Aux bakchichs luxueux sous la forme de complet-veston hors de prix succèdent de menaçants uniformes de guerre après les blouses de la pandémie. La campagne politique fantasmée est sommée d’aller se rhabiller, réduisant la capacité des candidates et candidats à démontrer leurs aptitudes rhétoriques et la pertinence de leurs propositions. On tente d’analyser qui dispose du leadership idoine pour diriger la France, petit pays sur la carte, grande nation sur l’échelle de la science politique. Si la guerre et la pandémie renforcent la posture d’un homme davantage président que candidat, les échanges mondains organisés lundi 14 mars par TF1 l’ont cruellement révélé aux 4,2 millions de Français derrière leur poste de télévision, rien, pas même le dossier Corse qui pourrait ressembler à la triste et sanglante histoire de la « grotte d’Ouvéa » en Nouvelle Calédonie durant la campagne électorale de 1988, ne semble objectivement pouvoir faire diverger le cours d’une histoire qui se dessine, malgré les pochades parfois surréalistes de la classe politique prête à tout promettre pour conjurer les désillusions annoncées. S’impose à bas bruit une logique commune à toutes les équipes des compétiteurs. Du moins sur le tapis des sondeurs, chacun semblant ignorer la cristallisation du vote en faveur d’un candidat largement favori épaulé par les surenchères narratives d’une longue pandémie et d’une guerre traumatique.
« Et au milieu de tout ça il y a nous, il y a moi ». 1
Viendra alors le temps de peupler ou repeupler le temple législatif du palais Bourbon. La seule question que nous posera cette réélection du sortant sera, comme le voulait Macron en 2017, l’effet de l’explosion des résultats du 27 avril. Imaginons le réélu, le deuxième effet-souffle fissurera encore davantage la poutre selon l’expression d’Edouard Philippe ; pas seulement la charpente de la droite républicaine mais l’ensemble des soubassements des partis politiques aptes à constituer une force de terrain, notamment à l’assemblée nationale, lieu de la démocratie où se votent les lois. Seul enjeu, or sujet peu séduisant tant les partis apparaissent, le temps passant, honnis des Français dans les baromètres de la confiance politique présentés par le CEVIPOF.
Prenons dans l’ordre des pronostics du groupe de sondeurs, tous accordés sur la couleur des numéros du loto présidentiel, nonobstant quelques incertitudes à propos des chiffres finaux, chaque jour apportant son lot de modestes variations à mesure que sont annoncées dans les médias les mesures des instituts sous la forme de « rolling » quotidien.
Que Macron gagne et ce dernier devra immédiatement accompagner, d’une main sans doute plus faible en 2022 qu’elle ne l’avait été en 2017, son évanescent parti LREM. Difficile de profiter, une fois encore, de l’euphorie d’une nouvelle effraction électorale accompagné de 577 complices largement restés inconnus des Français durant 5 ans. Son parti et ses dirigeants sont, eux aussi, largement méconnus des français. Lui-même jupitérien ne cède que difficilement aux exigences d’une démocratie parlementaire socle de ce régime si rien ne vient s’y substituer ; ni hypothétique 6e République, ni RIC RIP ou autre forme de référendum. A peine réélu s’il était déjà privé de majorité à l’assemblée, ce serait nous promettre deux phénomènes rarissimes dans l’astrologie électorale ; deux faits historiques en moins de deux mois, et les deux tirant dans deux sens opposés.
Premier Président réélu de la 5e – hors cohabitation- cela plongerait immédiatement le pays dans une cohabitation transformant notre Président, Prince des contes de fées en une Grenouille Président-prostatique,2 inutile gardien d’une forme ressuscitée de la 3e République.
Et que dire, au sein de LREM et du MoDem, les 347 députés sortants effrayés à l’idée de faire les frais d’une recomposition de la majorité autour de récents transfuges. Quelles seraient les manœuvres obsidionales d’Édouard Philippe, fondateur d’un nouveau parti macroniste, Horizons, qui ne peut se permettre d’exister sans soldats-députés ?
Et Marine le Pen. Imaginons qu’elle perde. La détentrice d’une historique prétention à avoir été la première femme redoublante de l’accessit verra son Front National imploser. Lassées que seront ses troupes par une troisième défaite au concours de premier médecin d’un pays convalescent.
En ce qui concerne Les Républicains, échouer au pied du podium à la très mauvaise place, 4e ou 5e, c’est-à-dire celle occupée désormais par Valérie Pécresse, scellerait la promesse d’un printemps précoce mais sanglant, aux asperges « Ciottistes-wauquiézistes » sortant de terre pour afficher un turion aux couleurs du jardin potager du cultivateur Zemmour, chantre de l’union des droites. Ce dernier saura-t-il donner de la consistance partisane à une aventure assurément réussie s’il reste au-dessus des 10% que peu d’entre nous auraient prédit aux aurores de son aventure.
Quant à Mélenchon : l’aventure insoumise peut se targuer de mener une campagne qui progresse méthodiquement et régulièrement. Difficile toutefois, restons sur les prévisions des sondeurs, de prédire que ce parcours efficace se transforme en victoire finale. Viendra alors pour lui aussi le temps d’énoncer les enjeux de son avenir partisan. Qui alors pour endosser le costume d’opposant en chef durant les 5 prochaines années ? Impossible d’imaginer des désirs du vieux grognard s’orienter dans la direction d’une candidature en 2027 et la conquête dès juin 2022 d’une nouvelle circonscription, tant son épisode marseillais s’inscrit dans la liste des erreurs de casting.
La succession sera-t-elle paisible ou prétexte à une lutte acharnée entre le jeune personnel politique dont on peut dire qu’il n’est pas du menu fretin puisqu’il a su, le constat est unanime, proposer un travail technique précis et profond et se jeter sur toutes les balles médiatiques du quinquennat en voie d’achèvement. Toutefois, à la différence d’autres formations politiques, la succession promet de se faire dans la famille insoumise et pourquoi pas rabibocher avec ses anciens camarades communistes.
Permettez-moi de faire l’impasse sur les partis de M. Dupont-Aignan et de Mme Hidalgo tant les avis de décès ont déjà été abondamment décrits dans la correspondance médiatique adressée aux électeurs.
A quoi servent les partis dans la vie politique ?
Le rôle essentiel des partis politiques est de participer à l’animation de la vie politique. L’article 4 de la Constitution dispose : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage ». Toutefois ils ont été asséchés de leur « fonction tribunitienne » selon l’expression célèbre du politologue Georges Lavau, qui renvoie aux “tribuns de la plèbe” sous l’Antiquité romaine. Quant à savoir, comme le mentionne le site de référence Vie-Publique.fr : « les partis ont aussi une fonction de direction. Ils ont pour objectif la conquête et l’exercice du pouvoir afin de mettre en œuvre la politique annoncée », poser la question renseigne déjà sur l’aporie de cette assertion.
Résumons ! A une campagne présidentielle habituellement fondamentale dans la vie démocratique, mais cette fois-ci volée aux Français parce que le COVID et la Guerre en Ukraine ont entraîné la sidération de l’espace public, occasionnant des ruptures narratives faisant de la conquête du pouvoir un sujet, au mieux qui n’imprime pas au pire sans intérêt, va succéder une deuxième campagne, législative cette fois, dont l’intérêt, également stratégique, sera de définir le niveau de puissance de chaque parti à l’assemblée nationale. Quel est, dans ce contexte, l’avenir de notre modèle démocratique puisque le rapport de force entre les partis indiffère la grande majorité de nos concitoyens, comme nous le rappelle chaque année le CEVIPOF dans son enquête si précieuse ? Avec Marcel Gauchet dans l’édition du Figaro datée du 16 mars, nous pouvons affirmer : « en fait de recomposition, j’ai surtout vu dans l’élection d’Emmanuel Macron le déclenchement d’un processus de décomposition ».
Jacky Isabello
Cofondateur de l’agence de communication Coriolink