Rarement la nomination d’un ministre de l’Education nationale aura fait couler autant d’encre, aura suscité autant d’invectives sur les plateaux d’ordinaire policés des chaînes d’information en continu. Que la nomination à un tel poste de l’historien flirtant avec le racialisme Pap NDiaye suscite des interrogations, voire des craintes pour l’avenir d’une institution républicaine au délitement continu, chacun le comprendra, mais on aurait apprécié que la nomination de Rima Abdul-Malak au ministère de la Culture en suscite tout autant. Car elle sera, peut-être plus que tout autre, le véritable outil macronien de la manipulation mémorielle.
On fait peser sur les épaules de NDiaye un fardeau qui n’est pas le sien, un fardeau politique, trop lourd et trop exclusif. Car l’historien, certes victime de ses ambivalences idéologiques, demeure un chercheur universitaire honnête, soucieux d’opérer une lecture de l’histoire de France plus conforme à ce qui lui apparaît probablement comme les véritables déterminants historiques, parmi lesquels on compte la notion de race, les origines ethniques, la couleur de la peau, etc. – autant de concepts hier instrumentalisés par une droite nationaliste raciste, d’obédience völkisch, et aujourd’hui revendiqués par une gauche aux prétentions universalistes et humanistes. Pour le dire autrement : le problème n’est pas ce que pense NDiaye, chacun l’aura bien compris, mais l’utilisation politique qu’il est possible de faire de sa pensée. Quelle est-elle ?
Le quinquennat Macron I nous a montré qu’un pouvoir politique qui se prétend libéral et modéré peut aisément, sous prétexte de situations d’exception, sanitaires ou autres, se muer en démocrature.
Invoquer la raison d’Etat – reconvertie en Conseil de défense classifié – pour mettre en œuvre une propagande et une action politiques irrespectueuses des libertés fondamentales, qui seront pourtant largement relayées par des médias complaisants et constitutionnellement validées par des institutions déviantes (le terme « déviation » étant à prendre dans le sens qu’Aristote utilise pour sa classification des régimes politiques corrompus, c’est-à-dire ceux qui visent les avantages d’une caste et plutôt que le bien commun).
Ce qui est visé par Emmanuel Macron en ce début de quinquennat, c’est l’instrumentalisation politique d’une idéologie à laquelle il adhère pleinement – adhésion peut-être due à une interprétation fautive de la réflexion de Ricœur sur la condition historique, mais les raisons importent peu. Emmanuel Macron, en institutionnalisant la pensée de Pap NDiaye, fait entrer la France dans le champ de ce que Ricœur nomme « la mémoire manipulée ». Officialisation d’une lecture idéologisée de l’histoire de France qui, demain, s’imposera à tous, par l’autorité des institutions. Réécriture du passé, « configuration et refiguration narrative, depuis la constitution de l’identité personnelle jusqu’à celle des identités communautaires qui structurent nos liens d’appartenance » pour citer Ricœur, c’est-à-dire reconfiguration du mythe national en un mythe post-national et post-moderne que non seulement les petits écoliers, mais tous les Français quel que soit leur âge avaleront.
Car cette manipulation de la mémoire n’est pas opérée uniquement par la promotion de NDiaye à l’Education nationale, mais bien plus largement encore par la promotion au ministère de la Culture de celle qui a été le vecteur – à en croire Le Figaro – de l’idéologie décolonialiste à l’Elysée, Rima Abdul-Malak.
Par la promotion de personalités en somme, sans réel bilan intellectuel certifié – ils n’ont peu ou pas écrit autre que celui de collaborateurs politiques qui, de conseiller d’un adjoint à la mairie de Paris se trouvent propulsés au rang de ministre de « l’éducation du peuple et de la propagande », et qui, demain, via Radio France, France Télévision et tous les canaux culturels dont notre pays dispose, travailleront à effacer ce qu’ils considèrent comme une histoire officielle patriarcale et oppressive vis-à-vis des minorités, dans le but d’en créer une autre, artificielle et allogène.
Ricœur disait qu’une « forme retorse d’oubli est à l’œuvre ici, résultant de la dépossession des acteurs sociaux de leur pouvoir originaire de se raconter eux-mêmes. » Le quinquennat Macron II s’ouvre ainsi sur l’articulation de la dépossession et de l’oubli d’une France qui sent le rance et dont l’élite médiatique et intellectuelle ne veut plus, dépossession et oubli opérés par un « Président nouveau » pour un « peuple nouveau », lequel prend désormais tout son sens, et ce, avec l’assentiment d’une classe bourgeoise satisfaite d’elle-même, toujours soucieuse d’adhérer au récit officiel, quel qu’il soit.
Frédéric Saint Clair
Ecrivain, Politologue