La crise actuelle des services diplomatiques français est l’aboutissement d’une longue maladie interne au quai d’Orsay mettant aux prises une technocratie opportuniste pilotée depuis l’extérieur et un corps de serviteurs de l’État enraciné dans une expertise linguistique et culturelle de premier plan.
Si l’on considère la longue durée historique, ce qui fit la force de la diplomatie française fut de réussir à combiner la puissance des armes à celle des lettres afin de perpétuer l’influence française vers l’étranger. A cet art si singulier se sont substituées différentes impasses prétendant transformer les diplomates en commis voyageurs aptes à vendre de la pacotille outre-mer ou bien en simples relais idéologique d’une diplomatie morte transposant les divagations intellectuelles abstraites de la métropole aux cinq continents.
Au cours de la dernière décennie, tout débat interne a été soigneusement évacué au sein des services diplomatiques.
Or la numérisation du monde rend plus que jamais nécessaire l’existence d’une voix réfléchie, en contact direct avec les pays étrangers, connaissant à la fois leur langue, leur histoire et surtout leur vision du monde afin d’éviter les maladresses inhérentes aux prises de position irréfléchies. En effet, la nature a horreur du vide et sitôt que la diplomatie officielle échoue fleurissent inévitablement les diplomaties secondes, qu’elles soient économiques, universitaires ou marines, désireuses de renouer les liens permettant d’irriguer avec efficacité les relations internationales dans la longue durée.
D’un point de vue historique, l’on sait en effet que la naissance d’un État bureaucratique et cloisonné favorise l’émergence d’une diplomatie parallèle. La stratégie de cabinet, instituée à compter de 1674, permet par exemple à Louvois de pratiquer une diplomatie secrète sur ordre du Roi. Un demi-siècle plus tard (1722) nait le secret du Roi, service encadrant la diplomatie parallèle. Celui-ci mise alors sur l’Autriche et la Russie alors que la France se déclare officiellement pour la Prusse et l’Angleterre. Pour Albert de Broglie, Louis XV déguise le meilleur de sa politique. Mettant en miroir la diplomatie officielle et officieuse, l’historien note : « D’un côté régneront presque sans partage la légèreté et l’imprévoyance, de l’autre de sages inconnus feront entendre tout bas un langage sévère qui devance le jugement de la postérité. Une frivolité licencieuse s’étale sur le devant de la scène, le bon sens, la moralité et le patriotisme paraîtront souvent réfugiés dans les coulisses ».
Au cours du XVIIIe siècle, les usages conjugués de la diplomatie officielle et officieuse, se perfectionnent.
Un diplomate comme Guillaume Bonnecarère (1754-1825) appartient par exemple aux agents qui effectuent des missions de diplomatie secrète au Pays-Bas et en Allemagne. En 1786, le système de la tenaille diplomatique – dotée d’une pince apparente et d’une pince invisible – s’est perfectionné. Son équilibre est néanmoins subtil, si l’une des branches l’emporte, l’instrument diplomatique s’effondre.
Thomas Flichy de La Neuville
Professeur d’université