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dans Politique

Meurtre de Philippine : qu’est-ce qui dysfonctionne dans notre Etat de droit ?

Jean-Eric SchoettlParJean-Eric Schoettl
13 octobre 2025
Meurtre de Philippine : qu’est-ce qui dysfonctionne dans notre Etat de droit ?
Analyse

Le meurtre de Philippine révèle plusieurs dysfonctionnements  de l’Etat de droit : les textes, l’application de ceux-ci par les autorités administratives et juridictionnelles, ainsi que les contraintes constitutionnelles et européennes pesant sur le législateur. Mais aussi, de façon générale, la prévalence des droits individuels sur les intérêts collectifs dont sont imprégnés tous les acteurs de l’Etat de droit. Remédier à tout cela est-il possible dans le cadre constitutionnel et conventionnel actuel ?

L’atrocité du meurtre de Philippine nous submerge de peine et de colère. Elle devrait aussi nous inciter à comprendre et à agir. Qu’est-ce qui, dans l’organisation de la société et de l’Etat, permet que de telles choses surviennent ? Est-il possible, dans le cadre de ce qu’on nomme l’Etat de droit, de modifier cette organisation pour éviter la répétition de l’horreur ?

Qu’est-ce qui, dans l’organisation de la société et de l’Etat, a permis le meurtre de Philippine ?

Ce n’est pas de la « récupération » que de chercher à infléchir le cours des choses en tirant les enseignements d’une réalité qui nous interpelle. L’instrumentalisation idéologique des faits consisterait plutôt à éluder tout questionnement au nom de ces défausses sempiternellement ressassées : il n’y a pas de risque zéro ; il ne faut pas légiférer sous le coup de l’émotion ; nos démocraties s’honorent à brider l’Etat au nom de l’Etat de droit ; le temps du recueillement n’est pas celui des controverses ; bref : circulez il n’y a rien à voir, votre insistance a des relents xénophobes.

La recherche des dysfonctionnements doit être menée sans concession. Pour autant, elle ne doit pas être simpliste. Il est trop facile de tout imputer au « laxisme judiciaire ». Plusieurs choses peuvent en effet avoir dysfonctionné : la justice, certes, mais aussi l’application faite de la loi par les autorités administratives, la loi elle-même, les contraintes constitutionnelles et européennes pesant sur le législateur.

Première observation : nous savons que beaucoup de mineurs isolés venus du Maghreb et d’Afrique sub-sahélienne présentent un profil inquiétant. En l’espèce, un mineur non accompagné, qui violera dès l’âge de 17 ans, qui tuera et violera à nouveau cinq ans plus tard, est entré légalement en France et s’y est maintenu illégalement après l’expiration de son visa. N’y a-t-il pas lieu de réviser cette légalité là ? N’est-il pas temps de revoir les conditions d’attribution des visas par les Etats parties au système Schengen (qui sont bien sûr solidaires, puisque les entrées acceptées par les uns génèrent des entrées subies par les autres) ? N’est-il pas temps de réformer les accords Schengen pour limiter la liberté de circulation aux nationaux des Etats-membres (et de rematérialiser en conséquence nos frontières) ? Si cela avait été fait, Philippine serait toujours vivante.

Deuxième observation : le meurtrier de Philippine a été condamné pour viol à sept ans d’emprisonnement. Or le viol est passible de quinze ans de réclusion criminelle (article 222-23 du code pénal). Le violeur a bénéficié de l’excuse de minorité que prévoit la loi pénale (un mineur ne peut être condamné à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à la moitié de la peine encourue par un adulte). N’y a- t-il pas lieu de repenser la justice des mineurs en fonction de l’aggravation quantitative et qualitative de la délinquance juvénile ? Notre vision de celle-ci n’est-elle pas inadaptée aux mutations démographiques, culturelles et sociales que nous connaissons depuis une quarantaine d’années ? Une législation plus rigoureuse (s’agissant notamment des infractions sexuelles et des atteintes à l’intégrité physique) aurait conduit à une incarcération plus longue de Taha O et Philippine serait toujours vivante.

Troisième observation : comment cependant ignorer la responsabilité personnelle du juge pénal en l’espèce ?

La loi permet d’écarter l’excuse de minorité en cas de circonstances particulières et au regard de la personnalité du mineur, ainsi que de sa situation. C’est ce que pouvait faire ici la cour d’assise des mineurs compte tenu de l’âge du prévenu (17 ans au moment des faits, donc quasi majeur) et de la gravité de son acte. Si elle l’avait fait, Philippine serait toujours vivante.

On ne comprend pas non plus que la condamnation n’ait pas été assortie d’une interdiction judiciaire du territoire. Si cela avait été le cas, les services pénitentiaires et préfectoraux auraient été naturellement conduits à se rapprocher beaucoup plus tôt afin de mettre à exécution l’expulsion de Taha O vers le Maroc. Celle-ci aurait pu se faire dès son élargissement, sans passage en centre de rétention. Dans ce cas aussi, Philippine serait toujours parmi nous.

Quatrième observation : la peine d’emprisonnement de sept ans a été ramenée à un peu moins de cinq ans par la combinaison des divers mécanismes de réduction (automatiques et conditionnels) prévus par le code de procédure pénale. Depuis le 1er janvier 2023, les réductions automatiques ex ante n’ont plus cours, ce dont il faut rendre grâce à M Dupont-Moretti (et ce qui montre que la législation répressive peut, quand on le veut, être modifiée dans l’intérêt de la société, fût-ce au détriment des auteurs d’infraction). Si cette réduction de peine automatique n’avait pas existé lors du procès de Taha O, Philippine serait toujours vivante.

Cinquième observation : les services préfectoraux n’ont pas anticipé correctement l’éloignement de l’intéressé. Ils n’ont pas demandé en temps utile aux autorités marocaines de délivrer un laissez-passer consulaire. Or il n’y avait pas de refus de principe de ces autorités, puisque le laissez-passer est finalement parvenu à la préfecture. Mais il ne lui est parvenu  que peu après la sortie de Taha O du centre de rétention administratif. Faute de pouvoir être expulsé vers le Maroc dès sa sortie de prison, Taha O a été placé en centre de rétention administrative et il y a été maintenu 75 jours, du fait de trois prolongations successives autorisées par le juge des libertés et de la rétention (JLD). Son expulsion aurait dû être réalisée à partir de la prison, sans passer par la case « rétention administrative », si aléatoire pour l’administration. Si l’éloignement avait été préparé par l’administration, Philippine serait toujours vivante.

Sixième observation : les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) relatives à la rétention administrative des étrangers en instance d’éloignement sont complexes et contraignantes : délais limités (90 jours au maximum, moitié moins que ce que prévoit l’article 15 de la « directive retour ») ; segmentation de la rétention, au-delà des quatre premiers jours, en plusieurs périodes (26 jours, puis 30 jours au maximum, puis 15 jours et enfin 15 autres jours) appelant chacune une autorisation de prolongation du JLD subordonnée à des conditions chaque fois plus restrictives ; non prise en compte du passé infractionnel de l’étranger concerné (sauf, il est vrai, pour les terroristes) ; multiplicité des vices de procédure entraînant la sortie du centre.

En l’espèce, le JLD ne pouvait pas autoriser la quatrième prolongation de la rétention, car il était ligoté par les termes de l’art L 742-5 du CESEDA : la préfecture n’établissait pas que le laissez-passer consulaire allait arriver à bref délai (3° de L742-5) ; la menace pour l’ordre public que constituait le risque de récidive de viol (risque relevé par le JLD lui-même dans son ordonnance) n’était pas « survenue » au cours des quinze jours de la précédente prolongation (7eme et 10 ème alinéas de L742-5). Il aurait suffi de modifier peu de chose dans ce texte pour que Philippine soit encore vivante : que le JLD puisse autoriser une troisième prolongation plus longue (30 jours au lieu de 15, comme pour la deuxième) ; qu’il soit habilité à prendre en compte, à tous les stades, le passé infractionnel de l’intéressé, le risque de réitération et la menace de trouble futur à l’ordre public ; qu’il n’ait pas à exiger de l’administration, au dernier stade, la preuve de l’arrivée imminente du laissez-passer consulaire. L’une quelconque de ces retouches aurait sauvé la vie de la jeune fille.

Septième observation : les services de la préfecture de l’Yonne – par manque de moyens – n’ont pas surveillé diligemment Taha O lorsqu’il a été remis en liberté le 3 septembre 2024 avec obligation de pointage et assignation à résidence dans un hôtel du département.  Résultat : il s’est évanoui dans la nature, sans même se présenter dans cet hôtel. Si l’assignation à résidence avait été bien encadrée, Philippine serait toujours vivante.

Huitième observation : si les dispositions du CESEDA relatives à la rétention administrative des étrangers sont aussi compliquées et restrictives, ce n’est pas seulement parce que le législateur a privilégié leurs droits sur l’intérêt national. C’est aussi parce qu’il y était contraint par le droit européen et la jurisprudence constitutionnelle.

La directive européenne du 16 décembre 2008 « relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier », dite « directive retour », est en effet inspirée, à toutes les lignes, par la hantise de la coercition : le départ doit être, sauf exception, volontaire ; la rétention n’est possible que s’il existe un risque de fuite ou d’obstruction ; le maintien en rétention doit être réexaminé à intervalles réguliers ; ces réexamens doivent faire l’objet d’un contrôle judiciaire ; l’intéressé doit être libéré dès qu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement. La directive retour se désintéresse des problèmes que cette libération peut poser à l’Etat-membre, notamment dans le cas où le maintien de l’étranger sur le territoire national présente une menace pour l’ordre public.

Plus généralement, la directive retour, d’inspiration irénique, fait prévaloir les droits individuels des étrangers sur les intérêts supérieurs des Etats-membres. L’action de ceux-ci est bridée par les termes de la directive, comme par son interprétation maximaliste par la CJUE. L’affaire du délit de séjour irrégulier est édifiante à cet égard. Dans un arrêt du 28 avril 2011 (El Dridi), la Cour de justice de l’Union européenne tire (prétoriennement) de la directive retour qu’un État membre ne peut pas sanctionner le séjour irrégulier d’un étranger par une peine d’emprisonnement. La Cour de cassation juge alors impossible de placer en garde à vue une personne du seul fait de sa situation irrégulière. Ces jurisprudences conduisent à l’abrogation du délit de séjour irrégulier sous la présidence de François Hollande par la loi du 31 décembre 2012. On peut en dire autant de l’impossibilité de refoulement des immigrants illégaux à la frontière intérieure, même quand celle-ci est momentanément rétablie en raison des circonstances, comme le permet le système Schengen. La jurisprudence récente de la CJUE a mis à mal le contrôle effectué à la frontière italienne. La renégociation de la directive retour est urgente. Le contexte est favorable compte tenu de l’évolution des politiques migratoires des Etats membres.

Quant à la jurisprudence constitutionnelle, elle régit prétoriennement – et plus strictement encore que la directive retour – la durée de rétention administrative des étrangers entre deux interventions du juge judicaire. Le Conseil n’a-t-il pas censuré, en 1986 (86-216 DC du 3 septembre 1986, cons 22) comme en 1993 (93-325 DC du 13 août 1993, cons 100), un allongement de sept à dix jours ?  Lors du délibéré de cette dernière affaire, comme le révèlent les archives du Conseil, le président Badinter manifestait, avec une candeur significative, la prétention du juge constitutionnel à faire la loi et la primauté qu’il accorde aux droits individuels des étrangers sur l’intérêt national : « Même placée sous le contrôle du juge judiciaire une telle prolongation (de sept à dix jours) me paraît porter atteinte à la liberté individuelle. Si nous l’autorisons, où nous arrêterons-nous ? … ». Si le droit européen et la jurisprudence constitutionnelle n’étaient pas ce qu’ils sont, Philippine serait toujours vivante.

Résumons. Ce n’est pas le laxisme du JLD qui a permis le meurtre de Philippine, mais tout ce qui vient d’être évoqué : la liquidation de la frontière résultant des accords Schengen, la délivrance inconsidérée de visas, l’excuse de minorité systématique, les réductions automatiques de peines d’emprisonnement, les insuffisances logistiques de l’administration préfectorale, le caractère restrictif et complexe des règles de rétention administrative des étrangers en instance d’éloignement, enfin, last but not least, la primauté que le droit constitutionnel et le droit européen accordent aux droits individuels des étrangers sur la sécurité publique et sur les intérêts supérieurs de la nation.

Au fondement de tout cela, il y a des traités, des lois, des jurisprudences, des décisions juridictionnelles, une organisation administrative et surtout un état d’esprit. Normes nationales et européennes, jurisprudences nationales et européennes sont toutes imprégnées d’un fondamentalisme droits-de-l’hommiste qui, par ses conséquences pratiques, sacrifie les intérêts cruciaux des hommes réels aux prérogatives de l’homme abstrait, aux droits de l’habitant de la planète. Qui assujettit la nation à un altruisme sans frontières excédant les moyens du pays et récusé par la grande majorité de nos compatriotes.

A défaut de pouvoir reprogrammer tout cela pour prévenir le meurtre ou le viol de toutes les futures Philippines, deux mesures auraient chacune suffi à éviter l’horreur du bois de Boulogne : revoir dans un sens plus sévère la législation pénale des mineurs ; modifier les dispositions du CESEDA relatives à la prolongation de la rétention dans un sens favorable à la sécurité publique.

Il est vrai que, de manière générale, il ne faut pas légiférer à chaud. Il est non moins vrai qu’il faut parfois un drame pour que certaines questions soient enfin posées. Enfin traitées ? Mais peuvent-elles l’être dans le cadre actuel de ce que l’on nomme – avec tremblement  – l’Etat de droit ? Là encore, le cas Philippine est tristement éclairant.

Est-il possible, dans le cadre de ce qu’on nomme l’Etat de droit, de modifier le fonctionnement de l’Etat pour éviter la répétition de l’horreur ? 

Depuis le drame, deux tentatives ont été faites par le législateur pour traiter certains maillons de l’enchaînement causal ayant conduit au meurtre de Philippine : ces deux tentatives ont été censurées par le Conseil constitutionnel.

1. La justice des mineurs

Face à la montée de la violence des mineurs, face à une radicalité qui séduit si souvent la jeunesse, nous ne pouvons plus nous payer de mots. Il nous faut revoir de fond en comble plusieurs de nos politiques publiques et non des moindres : éducation, logement social, politique de la ville, immigration, sécurité intérieure. Il nous faut aussi adapter la justice pénale des mineurs au nouveau profil des délinquants et répondre à l’appel de détresse d’une population qui perd confiance en son Etat. C’est ce à quoi s’employait – en déplaçant quelques curseurs – la proposition de loi (dite Attal) quasiment réduite à néant par le Conseil constitutionnel le 19 juin 2025.

Les mesures censurées visaient à casser les vocations délinquantes en rendant plus rapides et plus effectives qu’aujourd’hui les sanctions appliquées aux mineurs engagés dans de tels parcours : comparution immédiate, audience unique, renversement de l’excuse de minorité, sanction de la méconnaissance des mesures éducatives. Ces mesures ne se substituaient pas aux règles antérieures (absence de comparution immédiate, « césure » entre la décision statuant sur la culpabilité et celle prononçant la condamnation, excuse de minorité…) : elles se bornaient à y déroger dans des cas exceptionnels caractérisés par l’âge du mineur, la gravité des faits ou leur réitération. Mais le Conseil, pratiquant un « contrôle de proportionnalité » qui le conduit à substituer son appréciation à celle du législateur, juge ces quelques déplacements de curseur incompatibles avec un « principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à la justice pénale des mineurs » qu’il a « découvert » dans une décision du 29 août 2002.

Que la liberté d’association, pourtant non mentionnée dans la Constitution, ait pu être regardée par le Conseil en 1971 comme un « principe fondamental reconnu par les lois de la République », on peut le comprendre. Mais est-il normal, comme ici, que soit érigé au niveau constitutionnel – sans aucune assise dans le texte de la Constitution – le principe de l’absolue priorité des mesures éducatives sur la sanction ? Alors que celle-ci a aussi une vertu éducative ?  Et qu’une répression pénale plus ferme n’exclut pas (et facilite même) une prévention impliquant tout particulièrement le rétablissement de l’autorité des enseignants et son acceptation par les parents ?

La décision du 19 juin 2025 n’ouvre guère de porte de sortie au législateur. Ainsi, le Conseil a censuré l’article 7 (sur l’excuse de minorité) de la proposition de loi, comme « inversant la logique selon laquelle l’atténuation des peines applicables aux mineurs était le principe et l’absence d’atténuation l’exception ». Cet article s’appliquait aux mineurs âgés de plus de seize ans ayant commis un crime ou un délit puni de cinq ans d’emprisonnement en situation de récidive légale. En prévoyant que, dans leur cas, la juridiction ne pouvait atténuer la peine que par une décision spécialement motivée, l’article 7, juge le Conseil, « exclut, du seul fait de l’état de récidive légale, l’application des règles d’atténuation des peines pour un grand nombre d’infractions commises par des mineurs de plus de seize ans ». Raisonnement doublement discutable, puisque, d’une part, l’effet de l’art 7 était d’imposer au juge une motivation spéciale et non de faire disparaître l’excuse de minorité et que, d’autre part, le Conseil tient à tort pour acquis que l’art 7 (calibré par la loi Attal pour ne s’appliquer qu’à des cas très graves et peu courants) aurait concerné un grand nombre de cas. Mais la décision est tellement catégorique dans son principe qu’on ne voit pas comment lui trouver une parade.

Cette décision comme tant d’autres – qu’elles émanent du Conseil constitutionnel lui-même (par exemple celle du 12 juin 2025, qui censure plusieurs dispositions importantes de la loi relative à la lutte contre le narcotrafic) ou d’autres cours suprêmes, nationales ou supranationales – montrent combien l’action, pourtant résolue, des actuels (septembre 2025) ministres de l’intérieur et de la justice est contrecarrée par un carcan de jurisprudences incapacitantes inspirées d’un droits-de-l’hommisme abstrait.

Rétablir l’autorité de l’Etat commande de retrouver une forme de séparation des pouvoirs plus respectueuse de la volonté générale. Le droit des citoyens à la sécurité est au fondement du pacte social. Si, en cette matière, cruciale pour notre avenir, nous renonçons aux moyens de nos fins, il ne faudra plus larmoyer sur l’état de décivilisation dans lequel s’abîme notre pays.

2. La durée de rétention administrative

Une censure peut en éclipser une autre. Des cinq décisions rendues le 7 août 2025 par le Conseil constitutionnel, on n’aura retenu (du moins sur le moment) que celle frappant la loi Duplomb – s’agissant des dérogations à l’interdiction des néonicotinoïdes.  Mais la censure la plus retentissante – et la plus problématique – atteint le texte relatif aux possibilités d’extension de la durée maximale de rétention d’un étranger en situation irrégulière.

Interprétant à leur gré la Constitution, les traités ou les lois, les décisions des Cours suprêmes – qu’elles émanent du Conseil constitutionnel lui-même (comme celle tendue  le 19 juin 2025 sur la justice des mineurs) ou d’autres cours suprêmes, nationales ou supranationales – enserrent aujourd’hui l’action de l’Etat régalien dans un carcan de jurisprudences incapacitantes inspirées d’un droits-de-l’hommisme abstrait insensible aux aspirations du peuple souverain comme aux intérêts supérieurs de la nation.

Certains curseurs paraissaient néanmoins pouvoir être déplacés par le législateur, à l’intersection des domaines de la sécurité et de l’immigration, sans ne se heurter ni à la Constitution, ni aux traités, tel qu’interprétés par les Cours.  Ainsi, une modification limitée des dispositions législatives du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives à la prolongation de la rétention des étrangers en instance d’éloignement paraissait à la portée du Parlement et de nature à éviter, dans nombre de cas, la répétition d’un drame comme celui de Philippine.

Les dispositions actuelles du CESEDA relatives à la rétention administrative des étrangers en instance d’éloignement, on l’a dit plus haut, sont complexes, contraignantes et d’application aléatoire. Il suffisait de modifier peu de chose dans ces dispositions pour que Philippine soit encore vivante : que le JLD puisse autoriser une troisième prolongation plus longue (30 jours au lieu de 15, comme pour la deuxième) ; qu’il soit habilité à prendre en compte, à tous les stades, le passé infractionnel de l’intéressé, le risque de réitération et la menace de trouble futur à l’ordre public ; qu’il n’ait pas à exiger de l’administration, au dernier stade, la preuve de l’arrivée imminente du laissez-passer consulaire.

Il aurait suffi aussi que les étrangers en instance d’éloignement auteurs de crime ou de délits graves soient soumis aux dispositions prévues pour les terroristes par les articles L 742-6 et L742-7 du CESEDA. C’est cette conviction qui inspirait la proposition de loi dont l’essentiel a été mis à néant par le Conseil constitutionnel le 7 août 2025. Force est donc de constater, au vu de cette décision, que même une voie d’action aussi modeste que l’aménagement limité des conditions de la rétention administrative se trouve bouchée par la jurisprudence constitutionnelle.

En l’état des textes, la durée totale de la rétention administrative des étrangers sous le coup d’une OQTF, d’un arrêté d’expulsion ou d’une interdiction judiciaire de territoire est limitée à 60 jours (dans certains cas à 90 jours). Depuis la loi du 16 juin 2011 sur l’immigration, l’intégration et la nationalité (article 56) les étrangers condamnés à une peine d’interdiction du territoire français pour un acte de terrorisme ou ceux faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion pour activité terroriste peuvent cependant être retenus jusqu’à180 jours (210 jours à titre exceptionnel). Le Conseil a admis ce régime particulier de rétention dans sa décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011.

Aussi la proposition de loi « visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive », déposée au Sénat le 3 février 2025, étendait-elle la possibilité de retenir des étrangers jusqu’à 210 jours à ceux définitivement condamnés pour certains crimes ou délits (viol, meurtre, trafic d’êtres humains ou de drogue, proxénétisme, atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, concours à une organisation criminelle…), ainsi qu’à ceux dont le comportement constituait « une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ». La proposition prévoyait en outre que, dans ces cas – et comme il en est aujourd’hui en matière de terrorisme -, l’appel formé par l’administration contre la décision du juge mettant fin à la rétention aurait un effet suspensif.

Compte tenu du précédent de 2011 – ainsi que du nombre d’actes criminels commis par des étrangers sous OQTF ces dernières années – l’application aux étrangers dangereux définis par la proposition de loi (appelons les « étrangers simplement dangereux » pour les distinguer des étrangers présentant un danger terroriste) du régime de rétention administrative aujourd’hui applicable aux terroristes ne semblait pas faire de difficulté. La dangerosité des premiers est comparable à celle des seconds, comme en attestent les évènements tragiques qui hantent notre actualité. Un même intérêt général éminent s’attache donc à ce, dans le cas des étrangers dangereux visés par la proposition de loi, comme dans celui des terroristes, aucune chance d’éloignement ne soit perdue et à ce que, en attendant leur possible éloignement, la société soit mise à l’abri de leurs agissements …

Le Conseil constitutionnel ne l’a pas entendu ainsi. Au nom du principe (en soi indiscutable) selon lequel la liberté individuelle, placée sous la protection du juge judiciaire par l’article 66 de la Constitution, « ne doit pas être entravée par une rigueur qui ne soit pas nécessaire », la décision du 7 août 2025 opère entre les deux catégories d’étrangers (les terroristes et les « simplement » dangereux) une différenciation d’un total impressionnisme.

Il censure en effet les dispositions déférées en tant qu’elles s’appliquent à l’étranger qui a fait l’objet d’une condamnation définitive pour certains crimes et délits, si graves soient-ils, « sans que l’administration ait à établir que le comportement de ce dernier, qui a exécuté sa peine, continue de constituer une menace actuelle et d’une particulière gravité pour l’ordre public ». Ainsi, alors que, dans le cas du terrorisme, le Conseil avait admis en 2011 (et admet encore dans la présente décision) que la menace pour l’ordre public va en quelques sorte de soi, sans avoir à être autrement documentée, il juge ici qu’elle doit être « établie » par l’administration.

Mais comment considérer que l’étranger définitivement condamné – pour viol par exemple – ne présente pas une dangerosité permanente au même titre que l’étranger définitivement condamné pour terrorisme ? Pourquoi présumer l’une et pas l’autre ? Le meurtrier de Philippine avait déjà été condamné définitivement pour viol à sept ans d’emprisonnement avant de récidiver et de tuer à la sortie du centre de rétention. Aurait-il fallu, pour prolonger sa rétention, « établir que le comportement de ce dernier, qui a exécuté sa peine, continue de constituer une menace actuelle et d’une particulière gravité pour l’ordre public » ? Mais est-il possible d’ « établir » la persistance d’une telle menace ? Avec la solution du Conseil constitutionnel Philippine serait une seconde fois assassinée.

Le Conseil reproche en outre aux dispositions contestées de permettre de maintenir un étranger en rétention pour une durée particulièrement longue « sans prévoir qu’une telle mesure n’est possible qu’à titre exceptionnel ». Mais, d’une part, les dispositions censurées circonscrivaient précisément les cas de prolongation au-delà de 90 jours, d’autre part, une telle condition n’est pas exigée en matière de terrorisme.

Et surtout, comment le Conseil peut-il fixer de son propre chef la durée au-delà de laquelle une rétention serait trop longue (90 jours) ? N’est-ce pas là s’ériger en constituant, et non faire respecter une Constitution parfaitement muette sur ce point ?

Il est vrai que ce travers est ancien. Lors du délibéré de la décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, dont le centième considérant censurait un allongement de sept à dix jours de la durée de rétention administrative des étrangers en situation irrégulière, le président Badinter exprimait avec candeur (comme le révèlent les archives du Conseil) la prétention du juge constitutionnel à mettre le législateur sous tutelle et à faire primer, sans base constitutionnelle, les droits individuels des étrangers sur l’intérêt national : « Même placée sous le contrôle du juge judiciaire une telle prolongation (de sept à dix jours) me paraît porter atteinte à la liberté individuelle. Si nous l’autorisons, où nous arrêterons-nous ? … ».

Dans sa décision du 7 août 2025, le Conseil reproche encore aux dispositions déférées de pouvoir s’appliquer à des étrangers condamnés par une juridiction qui n’aurait pas estimé nécessaire de prononcer une peine d’interdiction du territoire. Mais, d’une part (comme dans l’affaire Philippine), le juge pénal peut négliger à tort de prononcer cette peine, d’autre part, les appréciations du juge judiciaire et de l’administration, portées indépendantes les unes des autres, ne convergent pas nécessairement.

Le Conseil reproche enfin au texte de s’appliquer à des étrangers dont le comportement est jugé dangereux par la seule administration, ce qui est pourtant le droit commun des arrêtés d’expulsion.

Sans s’arrêter au fait que l’intéressé n’est pas dépourvu de voies de recours (puisqu’il peut à tout moment demander au JLD de mettre fin à sa rétention), le Conseil constitutionnel censure en totalité les dispositions relatives à la durée de rétention en considérant que « l’élargissement auquel procède la loi du champ des personnes pouvant être maintenues en rétention pour une durée particulièrement longue n’est pas proportionné à l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière poursuivi ».

Du même mouvement, le Conseil censure les dispositions de la loi déférée conférant un effet suspensif automatique à l’appel du ministère public lorsque le juge prononce la remise en liberté des étrangers « simplement dangereux », alors qu’il admet cet effet suspensif automatique pour les terroristes.

Que peut faire le législateur s’il veut « reprendre sa copie » sans la voir censurée à nouveau ?

Il lui faudrait résoudre deux problèmes quasi insolubles, sans même être assuré de la sécurité juridique du nouveau dispositif : limiter la liste des infractions aux plus graves (mais où passe la frontière de la gravité ?) et respecter l’obligation faite par le Conseil à l’administration d’« établir » le caractère persistant de la menace que fait peser la présence de l’étranger (mais comment administrer une telle preuve ?). Il lui faudrait aussi renoncer à l’extension du délai de rétention aux étrangers dont le comportement est jugé par l’administration constituer « une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public », ainsi qu’à l’effet suspensif de l’appel des décisions du JLD mettant fin à la rétention.

La rétention administrative apparaissait comme un des rares curseurs à la disposition du législateur. Le Conseil l’a bloqué le 7 août 2025.

Des décisions comme celles-ci posent à la démocratie française un problème essentiel : est-il possible aux pouvoirs publics issus de l’élection de rétablir l’autorité de l’État, comme le leur demandent nos compatriotes dans leur grande majorité, sans se heurter à des décisions inspirées par une vision à la fois abstraite et irénique des droits de l’homme ? Aucun drame n’est-il susceptible de faire évoluer la règle de droit ?

Jean-Eric Schoettl
Ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel

Photo : EQRoy/Shutterstock.com

Jean-Eric Schoettl

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