Pour Eric de Fenoyl, avocat associé au sein du cabinet d’avocats Deloitte | Taj, il convient dès à présent de préparer l’après dans le secteur public local en mobilisant les marges de manœuvre existantes. Explications.
Depuis le début du confinement nous avons oublié de nous étonner que les déchets soient collectés, les rues nettoyées, que l’eau coule dans les robinets puis soit évacuée. Pendant le confinement, les services publics locaux essentiels à la population continuent de remplir leur rôle malgré les risques que le virus fait peser sur les hommes et les femmes qui les font fonctionner. Et il y a là aussi un exploit lorsque sont apportés à la population les services sans lesquels le confinement serait insupportable et le délitement de l’état sanitaire serait total.
Une mobilisation extraordinaire des services publics locaux… et des finances locales
Pour continuer à fonctionner dans cette période extraordinaire, les collectivités font preuve d’une extraordinaire réactivité et agilité. Elles sont parvenues à trouver des masques, des gants et du gel sur le marché international. Il faudra d’ailleurs analyser cette période dans quelques mois pour comparer l’efficacité de cette commande publique sans cadre à celle de la commande publique encadrée, en temps de paix, par le code de la commande publique.
Le coût de cette période sera astronomique : heures supplémentaires des soignants, des policiers, des services publics locaux, primes, autres surcoûts de production des services, indemnisation du chômage partiel, défaillances d’entreprises…
La dette aura explosé et pendant un temps certain les recettes fiscales seront atones.
La reconstruction sera un chantier considérable mais les moyens feront défaut.
Pourtant des marges de financement existent et pour sortir de cette crise, il convient d’identifier dès aujourd’hui les gisements d’économies.
Des marges de manœuvre financières à identifier dès aujourd’hui pour financer l’après
Les coûts de production des services publics vitaux qui fonctionnent aujourd’hui sont plus élevés compte-tenu des indispensables mesures de protection. Mais certains services publics fonctionnent désormais en mode « allégé », mode adapté à un besoin moindre. C’est le cas des transports publics. Et d’autres services publics sont suspendus dans leur fonctionnement : restauration scolaire, crèches (hors enfants des soignants), périscolaire, culture, sport, congrès, expositions…
Pour ces services publics non vitaux fonctionnant au ralenti ou dont le fonctionnement est suspendu les coûts ont diminué.
L’ordonnance du 15 avril 2020 en tire les conséquences en imposant la prise de jours de RTT et de congés aux agents de l’Etat en autorisation spéciale d’absence ou en télétravail et en permettant aux collectivités d’appliquer ce régime à leurs agents dans cette situation.
Les contributions publiques diverses versées à des prestataires, délégataires ou associations sous la forme de prix, compensation ou subvention, qui sont calibrées en « mode normal » devraient être ajustées en « mode allégé » ou en « mode suspendu ». Elles pourraient l’être sans que cet ajustement n’affecte aucunement l’économie des prestataires, délégataires ou associations. Car les opérateurs vigilants auront rapidement mis en œuvre les mesures d’ajustement de leurs charges à leur niveau d’activité : chômage partiel, diminution des coûts de fluides et énergies, le cas échéant mobilisation des assurances… Ceux qui, moins vigilants, auraient tardé à ajuster leurs charges devraient être invités à le faire.
Il ne saurait évidemment s’agir en aucun cas de mettre en péril des opérateurs économiques en ne versant pas ce qui leur est dû. Cela reviendrait à ajouter de la crise à la crise. Il s’agit en réalité d’identifier ce qui aujourd’hui reste strictement dû par la collectivité en mode allégé ou suspendu. A contrario, pour les services « vitaux » dont le fonctionnement induit des surcoûts, ces surcoûts seront supportés par les collectivités qui ont souvent dès le 16 mars été sollicitées à cet effet par les opérateurs.
L’utilisation des marges de manœuvre qui pourront être identifiées relève d’une décision politique : ajustement à due concurrence de la contribution publique pour financer « l’effort de guerre », mise en « réserve » des économies chez l’opérateur pour offrir des services plus importants dont la population « déconfinée » aura besoin après, panachage des deux…
Pour qu’une décision politique puisse intervenir, le travail d’identification de ces marges de manœuvre doit être mené sans attendre parce que les marges de manœuvre non identifiées ont une fâcheuse tendance à disparaitre.
Ne pas mener ce travail serait priver la collectivité de ressources dont elle aura besoin et les décideurs de leur pouvoir de décision dans l’affectation de ces ressources.
Par leur réactivité et leur agilité dans la production des services vitaux, les collectivités prennent une part essentielle dans la victoire à venir. Les coûts induits sont astronomiques mais légitimes. Des ressources considérables seront nécessaires pour supporter ces coûts. Si toutes les marges de manœuvre ont été mobilisées, les efforts nécessaires seront acceptés avec la conviction que l’indispensable contribution commune est également ou au moins justement répartie entre tous.
Eric de Fenoyl
Avocat associé au sein du cabinet d’avocats Deloitte | Taj
Photo : Dana Ward, Shutterstock