La transition énergétique représente un défi social et économique. Comment transformer la prise en compte de la contrainte climatique pour en faire un levier d’efficacité, de ré-industrialisation et de création d’emplois de qualité ? Une stratégie cohérente suppose de faire évoluer les comportements comme les institutions et les organisations.
La transition énergétique peut se définir autour de la poursuite de trois objectifs :
- conduire vers un nouveau modèle énergétique dans lequel les énergies non carbonées seront dominantes ;
- marier des exigences d’efficacité productives et le besoin de sécuriser nos approvisionnements ;
- donner aux usagers et aux citoyens l’occasion de se réapproprier les choix énergétiques qui déterminent leur avenir collectif. Ces évolutions seront étalées dans le temps.
Amorcée dès aujourd’hui, et même en préjugeant une accélération du mouvement, la transition énergétique s’étalerait encore sur des décennies, peut-être près d’un siècle. La transition nécessitera des investissements considérables. Ce qui suppose que soient mobilisés les financements publics et privés correspondants. Cette dimension économico-financière a été jusqu’à présent négligée. Nous sommes pourtant au pied du mur comme le montrent les contradictions des chois allemands. Le coût financier et environnemental de la transition allemande, est pour l’instant un contre-modèle.
1 Un nouveau type de croissance à promouvoir
L’accès à l’énergie est, avec le problème du climat et avec quelques autres grandes questions comme celles de l’accès à l’eau, et aux matières premières, l’un des principaux défis posés à l’humanité.
Alors que la diminution du coût de l’énergie est depuis près de deux siècles au cœur des processus de développement des économies occidentales, nous sommes confrontés à la montée des tensions. Les pays émergents utilisent à leur tour ce levier de croissance. La demande mondiale en énergie ne cessera donc pas de croître alors que près de trois milliards d’habitants n’ont pas encore accès aux formes modernes d’énergie et doivent se contenter d’utiliser la biomasse de manière intensive. Enfin, la demande mondiale est satisfaite à 80 % par la consommation de pétrole, de gaz et de charbon.
Partant de là, le problème auquel nous sommes collectivement confrontés est double : comment va-t-on accroître les ressources énergétiques disponibles pour une politique durable de développement à l’échelon du globe ? Comment va-t-on en même temps limiter les rejets de CO2, facteur majeur du réchauffement climatique ?
Le modèle de croissance actuel est intenable. Il se heurte à deux contraintes. D’une part, à terme, la raréfaction des ressources de gaz et de pétrole conventionnels, les plus faciles à exploiter et exploitables au meilleur coût. D’autre part le réchauffement climatique qui appelle désormais une réponse à court terme. Si l’on vise à terme à diminuer de moitié les émissions de CO2 par habitant et si l’on se donne pour objectif de rapprocher ce niveau entre pays développés et pays émergents, il faut réduire par un facteur quatre les émissions des pays industrialisés. C’est l’objectif que s’était donnée la loi de programmation du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique française.
Viser un tel objectif suppose d’inventer un nouveau modèle de développement, de réorganiser notre vie économique avec de moins en moins d’énergie carbonée. C’est la condition d’une véritable relance économique et sociale soutenable.
Prendre conscience de toutes ces contraintes ne veut pas dire que nous soyons entrés dans “un monde fini” qui nous condamnerait à la “décroissance” comme l’accréditent certaines thèses. Bien des dimensions de notre monde n’ont pas encore été explorées ou seulement commencent à l’être comme l’espace, les océans, l’infiniment petit… Le fait nouveau, essentiel, est ailleurs. Il réside dans la prise de conscience, à l’échelon du monde, des défis communs qui sont posés en matière de développement. Le Monde est “Un”. Ce qui signifie que nul pays ne peut penser qu’il va pouvoir résoudre seul les défis auxquels il est confronté. Ce constat doit pousser à la solidarité.
2 Le débat peine à prendre en compte les spécificités françaises
Après deux débats sur l’énergie en 1994 et 2003, débats dont les conclusions n’ont guère dépassé le cercle des initiés, le Grenelle de l’environnement qui s’est tenu de septembre à octobre 2007, a eu un effet structurant sur l’approche de différents problèmes écologiques dont celui de l’énergie. Il a permis à des porteurs d’intérêts et de points de vue différents de croiser leurs arguments tout en nourrissant les termes d’un constat qui s’est révélé plus partagé que l’on pouvait le penser a priori.
Mais quel que soit ce résultat positif, il est loin d’avoir défini “la voie française de la transition énergétique”. D’où l’enjeu du débat actuel sur la Loi de transition énergétique.
Il n’existe pas de solution miracle pour réaliser cette transition énergétique. Les contraintes techniques et économiques au cœur du processus sont importantes. Mais la dimension humaine et sociale est sans doute aussi essentielle car les ruptures vont affecter la consommation mais aussi les manières de produire et donc le travail. Il ne faut pas mésestimer les contradictions générées, d’autant que de nombreux besoins demeurent insatisfaits y compris dans les pays développés. La seule “pauvreté énergétique” concerne en France plus de trois millions de foyers et huit millions de personnes.
Le Centre d’analyse stratégique a fait dès 2007, de la lutte contre les gaspillages, une priorité. Cela paraît du bon sens, encore qu’il faille en définir la nature exacte. La liste des gaspillages est longue et mérite d’être dressée car elle évite les culpabilisations inutiles. Citons par priorité : les conséquences des délocalisations productives, les effets de la guerre économique entre firmes multinationales, le coût énergétique des dépenses militaires, le train de vie des couches sociales hyper privilégiées, les modes de consommation imposés aux couches populaires (logements énergétivores, transports contraints, biens de consommation à faible durée de vie…).
N’en déplaise à certains, il faudra s’appuyer sur les filières historiques dont le nucléaire. Notre pays n’est pas en mauvaise situation en matière de lutte contre les rejets de CO2. Les Français consomment moins de gaz, de fioul, de charbon que les ménages allemands. Résultat : la France émet 62 % de moins de CO2 que l’Allemagne. Ces filières énergétiques emploient plus de 400 000 salariés parmi les plus qualifiés du pays. Des dizaines de milliers d’emplois supplémentaires en dépendent directement. La pérennité de nombreuses industries (chimie, métallurgie, papier, ciment, verre…) dépend en effet de la mise à disposition d’une énergie peu chère, continue et de qualité. Mais le raisonnement appliqué aux activités industrielles doit maintenant être étendu à certains services délocalisables qui comme l’informatique et la gestion des données sont grosses consommatrices d’électricité.
Les réflexions sur la transition énergétique ont jusqu’à présent fait le choix de remettre à plus tard le traitement des contraintes économiques. Le coût financier et environnemental de la transition allemande, avec les hausses de prix pour les ménages, le gonflement des aides publiques à l’industrie et la hausse des émissions de CO2, mérite un examen approfondi.
L’introduction d’une valeur au carbone est en soi un bouleversement économique. On n’en mesure pas toujours les conséquences. Mais le marché du CO2 s’avère à l’évidence incapable de déterminer la “bonne valeur” à attribuer au carbone. Trop élevée cette valeur aboutit à la délocalisation d’activités. Trop basse, ou trop fluctuante, elle rend inefficace les efforts de recherche et de développement de nouvelles technologies décarbonées.
C’est pourquoi seule une combinaison des différents leviers disponibles peut permettre d’apporter les réponses indispensables à un coût acceptable par les différentes composantes de la société.
3 La première priorité doit être l’efficacité énergétique
La priorité est d’agir sur la demande et en même temps d’améliorer l’efficacité énergétique. Les deux dimensions du problème doivent être traitées en même temps.
Or la question est souvent réduite, dans le débat public, à l’objectif « d’économie d’énergie”. La Commission européenne fixe ainsi dans la directive de 2003, un objectif global, “à technologies données” de “réduction de la consommation primaire”. Curieuse formulation alors que la question des technologies et de leur évolution est essentielle ! Mais il est vrai que l’Europe ne voulait pas jusqu’à présent développer de politique industrielle !
Les scénarii de “décroissance énergétique absolue” pour les pays industrialisés ne sont guère crédibles et peuvent, par leurs excès, desservir l’objectif qu’ils affichent. L’idée même de “stabilité” se discute. Par contre il est souhaitable de ralentir le rythme de croissance de la demande d’énergie. On peut surtout diminuer structurellement la consommation énergétique pour un usage donné, par des innovations technologiques et d’organisation. Telle est la question centrale de l’efficacité.
Tous les secteurs économiques sont concernés, de l’habitat à l’industrie en passant par les transports. Mais là aussi la démarche que l’on va préconiser est essentielle. La recherche de l’efficacité est une question de système et de critères avant d’être un problème de comportement. La recherche d’économies d’énergie ne peut pas être essentiellement individuelle. Elle implique des mutations dans l’urbanisme, le schéma de développement des agglomérations, l’organisation des transports. Les entreprises, qu’elles soient industrielles ou de services, doivent être incitées à économiser l’énergie relativement à une production donnée. Cela implique une évolution de leurs critères de gestion.
Dans une perspective de développement humain durable, tout accroissement du produit intérieur brut devra être désormais moins intensif en énergie par emploi. Le processus est amorcé depuis vingt ans en France, mais son origine est plus une régression de l’industrie qu’une transformation de celle-ci. On est, pour l’instant, à l’échelon des pays développés, en échec sur cette question de l’efficacité énergétique. C’est pourtant sur cette dimension que doivent se concentrer les efforts de rupture.
4 Toutes les sources d’énergie vont devoir être mobilisées
Le deuxième levier est celui du “mix énergétique”, c’est-à-dire la combinaison optimale des différentes sources d’énergie, privilégiant les techniques peu ou pas émettrices de gaz à effet de serre : l’hydraulique, l’éolien, le photovoltaïque, sous certaines conditions la biomasse, le charbon avec la capture du CO2 et bien entendu le nucléaire.
Aujourd’hui, aucune des technologies ne peut à elle seule permettre de relever les défis que nous avons repérés. Privilégier tel ou tel type d’énergie n’a pas vraiment de sens. Chacune des énergies à un prix plus ou moins élevé, des avantages et des inconvénients suivant l’usage auquel il est destiné. Le prix du gaz conventionnel et du pétrole risque à long terme de demeurer élevé. Celui de l’électricité d’origine nucléaire sera plus cher compte tenu des coûts de sécurité. L’intermittence des énergies renouvelables sera un problème tant que les technologies de stockage de l’électricité ne seront pas au point, à un coût abordable.
Les contraintes économiques et financières seront longtemps prégnantes.
La France ne peut se permettre de déclasser hâtivement tel ou tel moyen de production ou renoncer à telle ou telle source d’approvisionnement. Laisser se fermer les installations de production d’électricité en “semi base” et en “pointe”, en se félicitant de la disparition progressive de la génération électrique carbonée aboutirait à ignorer la pointe de consommation hivernale. Il faut aussi examiner les conflits d’usage, produits du développement de telle ou telle technique de production. Il faut de même penser à la composition en emploi du recours à telle ou telle filière de production.
L’injection à grande échelle dans les réseaux d’une électricité intermittente dont la valeur d’usage est largement inconnue pose des problèmes techniques et économiques inédits. La production décentralisée induira pour sa part des coûts de réseaux et de régulation, sans doute importants, qui ne sont pour l’instant pas intégrés au “modèle électrique”. De lourds investissements d’interconnexion, entre 8 et 10 GWh, doivent être programmés pour les dix ans à venir, en France, afin d’assurer un équilibrage géographique entre offre et demande.
C’est pourquoi la fixation a priori de la structure du mix énergétique, prédéterminant, même à moyen terme, pour 2030, 2040, les proportions des différents types d’énergie, n’a pas beaucoup de sens compte tenu à la fois de ce qui est acquis aujourd’hui et des évolutions technologiques. Si l’on sait évaluer les coûts de production des sources d’énergies fossiles, ce n’est pas le cas en ce qui concerne l’électricité pour laquelle il faut construire un nouveau système de régulation. Il faut alors se donner du temps pour bâtir la meilleure combinaison de solutions, celle qui permettra de réduire les émissions de CO2 à un coût acceptable tout en préservant l’indépendance nationale et la sécurité d’approvisionnement.
5 Le prix de l’énergie doit demeurer acceptable
Le coût de l’énergie et l’indépendance énergétique nationale représentent deux questions stratégiques. Les prix du gaz et du pétrole ont connu des hausses importantes. On annonce un relèvement à terme de 30 % du prix de l’électricité. En matière de gaz et de charbon, de fortes fluctuations sont probables. Les énergies ont de larges domaines de substitution possibles, ce qui explique que leurs prix évoluent généralement dans le même sens.
Ajoutons que gaz, pétrole et électricité sont assujettis à des taxes importantes au profit du budget général ou affectées à des usages particuliers comme la CSPE ce qui renchérit déjà considérablement le prix de l’énergie pour les utilisateurs.
La France fournit pourtant un mix énergétique à un prix moyen inférieur à celui de ses voisins européens en raison principalement de la place occupée par la production nucléaire. Le prix de l’électricité aux particuliers est en France de 40 % à 50 % plus bas qu’en Allemagne. Pour les entreprises il est de 25 % plus bas que la moyenne européenne. La balance commerciale française n’est déficitaire qu’en raison du pétrole et du gaz quasi totalement importés.
La limite du “signal prix” est évidente. Les prix de l’énergie augmentent. Mais pour qu’ils soient incitatifs aux investissements et aux économies, ils devraient croître beaucoup plus et plus vite! De l’incitation on passerait vite au rationnement ce qui est bien sûr inconcevable.
L’énergie rentre en moyenne pour plus de 8,4 % dans le budget des ménages. Cette part est restée stable au cours des vingt dernières années. Mais elle est beaucoup plus importante et peut atteindre 20 % pour les ménages modestes.
Les taxes qui frappent l’énergie sont déjà lourdes et pas forcément réparties de manière adéquate. Elles représentent de un tiers à trois quarts du prix payé par le consommateur final. Elles ne pourront se cumuler pour nombre de consommateurs, avec une imposition supplémentaire au titre du CO2. Le maintien de choix énergétiques assurant une énergie accessible à tous est une priorité. Une tarification adaptée doit permettre d’éradiquer la “précarité énergétique”.
6 Nucléaire civil : des réalités incontournables
Après Fukushima, plusieurs pays s’interrogent sur l’avenir du nucléaire. Certains comme l’Allemagne avaient décidé depuis plusieurs années de sortir du nucléaire. Ils ont brutalement anticipé le terme initialement prévu. Cet abandon s’accompagne pour une longue période du recours aux énergies fossiles. D’autre pays confirment au contraire leur option, réinvestissant dans de nouvelles centrales nucléaires. La France avec un parc nucléaire qui fournit 75 % de l’électricité n’échappe pas à ce débat.
Le contexte a bien sûr changé. Quelle leçon doit-on tirer des graves accidents survenus dans le nucléaire civil ? Il y a « un avant et un après Fukushima ».
La catastrophe japonaise, montre, comme l’a écrit l’Autorité française de sécurité nucléaire (ASN), que « l’improbable est toujours possible ». Accepter cette idée ne veut pas dire qu’il faille abandonner la filière, mais elle justifie une nouvelle approche de la sécurité des centrales et du cycle du combustible. Le rôle des autorités de sûreté indépendantes est décisif. Leurs analyses et préconisations doivent être respectées. Mais il faut être clair : le nucléaire n’est pas un boulet que traînerait notre pays. Il peut au contraire être une composante de la révolution industrielle accompagnant cette transition énergétique.
L’évolution de la filière nucléaire va de pair avec une recherche scientifique active et permanente. Du fait du montant des investissements, de la durée de vie des installations, de leur complexité, de la mise en œuvre de matières radioactives dont la durée de vie peut atteindre des centaines de milliers d’années, les recherches d’aujourd’hui concernent les siècles à venir. Certains problèmes identifiés aujourd’hui n’ont pas encore été techniquement résolus. Il n’y a là rien d’irrationnel. C’est le propre de la science, s’appuyant sur une véritable démocratie, que d’apporter progressivement des réponses aux défis sociétaux.
Mais cela ouvre aussi d’autres questions : la capacité de la société à s’engager sur du long terme, à accepter de porter des risques économiques et à maîtriser des risques industriels. D’où une condition incontournable dans le débat qui doit conduire aux choix ultérieurs : la possibilité pour l’opinion publique de s’approprier les options nucléaires et les enjeux considérables de cette filière.
Là aussi il faut revaloriser le “facteur humain”. Les agents travaillant dans le secteur ont un sens aigu du service public et de l’intérêt général. Les garanties obtenues par les personnels sont une condition de la sécurité. Les dizaines de milliers d’ouvriers, techniciens, ingénieurs travaillant dans la sous-traitance, souvent hautement qualifiés, doivent bénéficier du même niveau de garanties que les personnels statutaires.
7 La transition énergétique est un projet collectif
Le principal enjeu est de passer progressivement d’un système à un autre, en minimisant les coûts économiques et sociaux associés. Le marché s’avère incapable d’organiser ce passage. La prolongation de la crise financière, qui se développe depuis plus de six ans, montre cette incapacité fondamentale à gérer de manière autonome des grandes mutations de systèmes. Le marché peut sans doute gérer des fluctuations nombreuses associées à des risques limités. Mais il ne prend pas en compte le risque majeur dont l’occurrence est faible. Or avec la transition énergétique nous sommes entrés dans une telle période de risque systémique. En matière d’énergie, “ça marche ou c’est la rupture”. Or le marché va avoir tendance à limiter ses investissements. Ou à exiger des subventionnements considérables pour rentabiliser artificiellement les différents étages de la filière.
Le rôle des États et des collectivités publiques sera donc déterminant. La maîtrise publique du secteur de l’énergie est une nécessité pour modifier les critères de gestion. Nous changeons en effet de modèle économique notamment pour l’électricité. Le modèle de marché électrique actuel basé sur le prix “spot”, volatil et court-termiste, ne permet pas d’investissement à long et très long terme. C’est un nouveau “modèle économique” de l’énergie qu’il faut construire. Le “modèle fossile” qui est aussi celui de l’approche “marginaliste”, où les prix sont donnés par les coûts variables du combustible, ne devrait pas être accepté quand on vise une production décarbonée où les coûts fixes sont prédominants.
Dans le contexte d’États aux budgets asséchés, d’entreprises qui ont avant tout le souci de leur rentabilité financière, avec des ménages durement touchés par la crise, il s’agit de mobiliser 270 milliards d’€ par an pour financer la “transition énergétique” ne serait-ce qu’en Europe. Il faudrait mobiliser des fonds privés considérables pour un projet qui se justifie avant tout par ses externalités, donc ses bienfaits collectifs. La transition énergétique doit relever d’un projet collectif qui entraînera des changements profonds dans l’aménagement du territoire, la fiscalité, les filières industrielles et le système de formation.
8 Pour une agence européenne de l’énergie
La politique énergétique est à un tournant : il faut réduire le recours aux énergies fossiles et engager une transition énergétique vers une économie bas carbone. Cette transition est elle-même une composante de la révolution écologique qui s’amorce. Elle ne s’accomplira pas sans une forme de coopération renforcée en Europe.
Pour des raisons multiples dont des motifs stratégiques, le choix du mix énergétique restera l’apanage des États. Il peut en résulter un sous optimum économique global important et des déséquilibres insupportables. C’est le cas actuellement de la relation énergétique bilatérale entre la France et l’Allemagne qui est tout sauf efficiente. C’est pourquoi cette liberté nationale de choix doit s’accompagner de coopérations renforcées visant à réduire les coûts en les partageant. L’analyse des risques propres au nucléaire civil devrait conduire à une approche commune de la sûreté qui devrait elle-même être l’occasion de partager ses coûts. L’exploration pour les stockages géologiques, leur exploitation, les réseaux de transport peuvent aussi être partagés entre ceux qui investissent dans le charbon ou le gaz propre. Les coopérations doivent également impérativement exister dans le domaine de la recherche. Ces coopérations renforcées doivent ouvrir droit à un soutien communautaire à certaines conditions, elles aussi négociées.
L’accord des États membres sur un mix diversifié et efficient implique un ajustement et une transformation du modèle actuel de marché intérieur. En effet, la reconnaissance de toutes les sources d’énergie resterait formelle si les règles communes ne permettaient pas les bons choix d’investissement et une certaine optimisation du parc européen. Il en va de l’indépendance énergétique de l’Europe et de sa sûreté d’approvisionnement.
Toutes ces évolutions imposent une maîtrise sociale nouvelle de l’industrie, un contrôle des marchés ainsi qu’un besoin de coopérations inédit à l’échelon européen. Il serait pour cela opportun de créer une Agence européenne de l’énergie pour mettre en œuvre ces solidarités.
9 Quel pilotage de cette transition ?
Même si l’on peut souhaiter une coordination poussée au plan européen, faute de vision commune sur le choix du “mix énergétique”, l’investissement de production reste et restera sans doute de la compétence nationale. Les principaux financeurs seront les consommateurs, d’où les hausses de prix qu’anticipent les opérateurs et qui poseront des problèmes politiques importants. L’investissement dans le transport et les réseaux communicants pour l’électricité, l’investissement dans le stockage et l’interconnexion pour le gaz, généreront un besoin non finançable par les mécanismes de marché et les tarifs de transports.
Le paradoxe de la gouvernance de cette transition réside dans l’exigence d’une détermination plus décentralisée des besoins au niveau local et la nécessité d’une réponse efficace qui s’appuie sur l’effet de réseau et la mutualisation des coûts, donc un effet de système. La péréquation tarifaire est un atout pour gérer cette transition sans qu’elle génère des disparités territoriales insupportables. L’exemple de l’eau où cette péréquation n’existe pas, comme celui du gaz où elle est limitée à certaines zones, illustrent le danger.
La régulation risque d’être écartelée entre d’un côté une logique de marché et de l’autre l’intervention politique. Comment va-t-elle viser le long terme et s’exercer dans un tel contexte ? Les décisions structurantes ne doivent pas être prises sur la base des critères de la rentabilité mais sur la base d’une nouvelle modélisation économique et après un débat politique éclairé, à la portée de tous les citoyens.
La constitution d’un “pôle public de l’énergie” est par ailleurs la garantie pour développer une filière multi-énergie performante, favoriser la sécurité et les recherches fondamentales et appliquées, sous contrôle de la puissance publique à tous les niveaux.
Espérons que les débats sur la mise en œuvre de la loi “Transition énergétique et croissance verte” permettent d’avancer sur ces importantes questions qui sont pour le moment loin d’être définitivement tranchées.
Jean-Christophe Le Duigou, économiste, syndicaliste CGT, commissaire à la Régulation de l’énergie (2008-2013)