Au moment où l’on engage les réflexions sur l’après Covid-19 et ses impacts, pour Jean-Claude Szaleniec, consultant Habitat & Urbanisme, ancien élu local, la fuite des Parisiens vers des lieux choisis de confinement interroge fortement sur les politiques d’aménagement et d’urbanisme menées depuis plusieurs décennies.
Beaucoup de Parisiens rêvent aujourd’hui de ne plus revenir à Paris où ils logent, par obligation, à proximité de leur travail.
La concentration des activités, notamment tertiaires, en zone d’habitat très peuplé, renforce la densité perçue et vécue quotidiennement. Paris avec des arrondissements particulièrement denses vit mal cette forme de surpopulation qui agrège en journée la population résidante, ceux qui viennent y travailler ou étudier et les flux de touristes. Avec 41 536 habitants au km2 le 11ème arrondissement en est un bon exemple. C’est l’arrondissement le plus densément peuplé de Paris et le district urbain le plus dense d’Europe.
Pourtant les politiques d’aménagement et d’urbanisme menées à Paris depuis plusieurs mandats visent toutes à renforcer la densité en construisant de nouveaux quartiers sur des friches industrielles, ferroviaires ou militaires, de nouveaux logements, de nouveaux immeubles de bureaux, des nouveaux entrepôts logistiques et de nouveaux hôtels. Les aspects écologiques de ces documents d’urbanisme n’ont servi, jusqu’à présent, qu’à s’assurer des voix nécessaires à l’adoption de ces nouvelles règles au Conseil de Paris.
Dès qu’un terrain se libère il faut impérativement construire la ville sur la ville et surtout construire plus. On surveille également les surélévations possibles, les « emplacements réservés » des squares à grignoter, des dents creuses pour y couler du béton ou construire en bois pour une bonne conscience écologique.
C’est l’équipe de Bertrand Delanoe qui avait ouvert le bal en augmentant fortement le COS dans de nombreux secteurs de Paris via le PLU de 2006. Lui-même et ses successeurs ont prolongé cette politique, modification de PLU après modification de PLU, en lançant de nouvelles ZAC avec des hauteurs de bâtiment toujours plus importantes et de nouvelles politiques de préemption pour densifier la ville au prétexte que cette densité aurait un bienfait écologique certain.
L’expérience montre que ce postulat est probablement exact dans les secteurs pavillonnaires issus de l’aménagement de l’Ile de France entre les deux guerres mondiales du siècle dernier. Le développement du Grand Paris Express et son maillage sera un atout dans les secteurs géographiques concernés.
En revanche il est faux en zone dense.
Les Parisiens ne s’y sont pas trompés en protestant avec véhémence et en s’opposant à des projets de construction qui voulaient densifier chaque micro-secteur de respiration dans les quartiers.
A Paris comme dans les villes les plus peuplées de France la vraie question est sans doute inverse : quelle est la valeur sociale actuelle d’un m2 d’espace non construit en secteur dense ?
Une politique d’urbanisme qui prendrait en compte la qualité de vie, notamment sous ses aspects sanitaires, est-elle capable d’identifier des « emplacements réservés » ciblant des immeubles anciens qui n’auront jamais le niveau de confort et de performance énergétique attendu aujourd’hui ? La préemption permettrait l’acquisition de ces immeubles obsolètes sur le plan constructif et énergétique, dans l’objectif de les détruire et de ne pas reconstruire à leur emplacement.
Les fonds investis dans ces espaces ouverts à la bio-diversité, judicieusement répartis dans la ville, sont-ils plus ou moins bénéfiques pour la collectivité que la création d’un nouvel équipement ou de logements, le lancement de nouveaux services pour les futurs habitants ou le renforcement de la police municipale en raison de l’augmentation de la délinquance et des incivilités dans une ville qui a abandonné ses espaces de respiration ? Où les enfants n’ont plus d’espaces pour jouer ou simplement rêvasser.
La question va se poser de façon accrue quand il sera temps de passer à l’action pour la construction du monde de demain.
Les futures entreprises ayant vocation à fabriquer localement des biens vitaux doivent-elles être localisées en zone urbaine ? Avec obligation de densifier pour permettre la construction de logements au plus près des lieux d’activités ? La réponse est clairement non.
Ces investissements productifs devraient être fléchés vers les villes moyennes, correctement desservies par les transports, où la densité de population est plus faible, le niveau d’équipements collectifs satisfaisant et le marché immobilier détendu.
La revitalisation de ces villes moyennes créera progressivement un écosystème économique qui attirera des populations urbaines aspirant à un meilleur cadre de vie.
Une partie des Parisiens pourra alors vivre et travailler au « pays » choisi. Les immeubles les plus vétustes et les plus énergivores de Paris seront progressivement disqualifiés, préemptés par la ville puis démolis pour faire place aux nécessaires espaces de respiration de la ville de demain.
Jean-Claude Szaleniec
Consultant Habitat & Urbanisme, ancien élu local