Selon les propos rapportés par le Figaro magazine, début août, et largement partagés par la presse, le Président de la République aurait déclaré, à propos d’un projet de loi sur l’immigration que le Parlement doit examiner à la rentrée, qu’il n’exclut pas de devoir utiliser l’article 49.3 de la Constitution : « Je ne veux pas être bousculé par des majorités de fortune ou des blocages […]. J’utiliserai ce que la Constitution me permet de faire », aurait-il expliqué. Une telle déclaration, aussi précise que péremptoire, incite le lecteur curieux à rechercher ce qui l’autorise, d’après le texte de cette même Constitution dont ledit Président « doit veiller au respect ».
Et, là, ô surprise, le texte est tout aussi précis que la déclaration présidentielle, à savoir selon l’article 49, 3ème alinea, : « Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »
Ce dispositif, de plus en plus fréquemment utilisé au détriment du pouvoir légitime du Parlement, consiste en ce que Georges Burdeau avait décrit comme une « (…) nouvelle technique [qui] ne va pas sans bouleverser la vieille conception française de la loi expression de la volonté générale. C’est en effet une volonté tacite et présumée qui fera, du texte défendu par le Gouvernement, une loi que la représentation nationale n’aura pas votée. La loi sera l’expression de sa résignation plus que de sa volonté.[1] »
On sait ce qu’il en fut à propos de la réforme récente du régime des retraites…
Certes, le Président de la République préside le conseil des ministres, mais il n’appartient qu’au Premier ministre d’engager la responsabilité du Gouvernement et c’est même l’un des points cruciaux du Titre V « Des rapports entre le Parlement et le Gouvernement », dans lequel se trouve exposé ce dispositif. User du moyen autorisé par ce fameux 49.3 relève donc sans ambiguïté des mécanismes qui régissent le fonctionnement démocratique et constitutionnel du pays, sans que le Président n’y ait à voir quoi que ce soit…Et pourtant, l’actuel titulaire de la fonction estime que la Constitution lui permet de le faire ! Que peut-on, que doit-on en conclure ?
Puisque seul le chef du Gouvernement est habilité à mettre en œuvre l’article 49.3 et que le Président estime qu’il peut, lui, utiliser ce dernier, serait-ce que le premier s’est effacé derrière le second ?
Mais cette interprétation est manifestement contraire à la lettre et à l’esprit de la règle constitutionnelle. Une modification aussi fondamentale de cette dernière n’a pas été opérée en droit, sinon en fait. Le fait l’emporterait-il alors sur le droit, sur un sujet aussi important que l’expression de la volonté générale du peuple par ses seuls représentants légaux, les parlementaires ? S’agirait-il alors d’un profond changement dans nos institutions, non prévu par les textes qui les régissent, donc d’un « Acte d’autorité consistant en une atteinte réfléchie, illégale et brusque, portée aux règles d’organisation et de fonctionnement des autorités constituées, il constitue une rupture de l’ordre établi.» Autrement dit, d’un…coup d’État, puisque « Désormais, un coup d’État est défini comme « l’action d’une autorité qui viole les formes constitutionnelles. » [2] » ?
Inconcevable interprétation puisque les journalistes qui ont recueilli cette déclaration – pas plus que leurs confrères, ultérieurement – n’ont pas considéré qu’elle méritait, sinon une explication de son auteur, tout du moins une précision quant au vocabulaire employé.
D’ailleurs, qui, dans la « classe politique » s’en est offusqué a posteriori ? Qu’en conclure quant à l’état de notre société et de son fonctionnement politique et institutionnel ?
De deux choses l’une : ou bien les propos présidentiels ne présentent aucune importance à ce sujet et cela expliquerait que personne ne s’inquiète de leur nature et de leur portée ; ou bien, cette déclaration est réfléchie et formalise la volonté présidentielle, et cela ouvre la voie à une pratique irrespectueuse de nos institutions. Dans le premier cas, il serait inquiétant que la parole présidentielle puisse être aussi dévalorisée, dans le second, c’est de la santé de la République dont il conviendrait de s’inquiéter.
Heureusement, au coeur de l’été et au milieu de mille et une informations sans aucun intérêt, sauf à permettre aux media et autres réseaux asociaux d’agiter la surface des ondes, cette parole du Président doit probablement être déjà oubliée…sauf si !
Hugues Clepkens
[1]Georges Burdeau, Droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, 1974
[2]Jacky Hummel, Coup d’État in Dictionnaire encyclopédique de l’État, éditions Berger-Levrault, 2014