Il est des conflits auxquels on ne voit poindre aucune solution à court et moyen terme. Les situations, les positions sont à ce point figées que les principales parties, qui ne trouvent plus de terrain d’entente, se livrent à des affrontements et des guerres en permanence, outre les luttes d’influence entre les grandes puissances mondiales et régionales.
L’impuissance de l’ONU dans le conflit israélo-arabe
Il en est ainsi du conflit israélo-arabe dans lequel l’ONU prend, depuis plus de soixante ans, des délibérations qui jusqu’à présent restent lettre morte. Au lendemain de la création de l’État d’Israël en 1948 (le pays vient de célébrer son 75èmeanniversaire marqué par une visite du chef de l’État Isaac Herzog à Washington au mois de juillet et une allocution devant le Congrès américain), les communautés qui étaient présentes en Palestine avant la création de l’État et furent dans l’obligation de partir, pensaient pouvoir revenir, notamment les musulmans. Elles n’y sont jamais revenues et sont allées rejoindre des camps de réfugiés, dont pour une grande partie, au Liban où les réfugiés sont au nombre de 250 000.
Plusieurs centaines de résolutions ont été adoptées sur cette question, notamment la résolution 242, intervenue après le conflit israélo-arabe de 1967 prévoyant le retrait d’Israël des territoires occupés et la nécessité d’établir une paix durable garantissant la sécurité de tous, ainsi que la résolution 338 adoptée dans la foulée de la guerre de 1973 et la guerre du Kippour appelant à un cessez-le-feu immédiat, à des négociations pour une paix juste et durable au Moyen-Orient, enfin réaffirmant la validité de la résolution 242.
En décembre 2016, le Conseil de sécurité adoptait la résolution n°2334, exigeant la fin de la politique de colonisation des territoires palestiniens, y compris à Jérusalem-Est.
Ces résolutions n’ont pas eu d’effet sur la politique des gouvernements successifs en Israël, surtout depuis les gouvernements dirigés par Benjamin Netanyahou, trois fois Premier ministre sur une période globale de quinze ans et qui l’est de nouveau depuis le mois de décembre 2022.
Aujourd’hui, plus que jamais, la situation est bloquée et, de l’avis d’un certain nombre de responsables politiques et de diplomates, la perspective de la création d’un État palestinien vivant pacifiquement à côté d’Israël, s’éloigne toujours davantage.
Ce serait pourtant la seule perspective réaliste en vue d’une paix durable.
L’absence des conditions d’une paix durable ?
Les facteurs de l’équation sont également connus : l’État palestinien n’existe toujours pas, bien que reconnu en tant que tel par 135 pays, et l’Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas est de plus en plus contestée. Il ne parvient pas à contrôler ses troupes dans la bande de Gaza où le Hamas, organisation classée terroriste, règne et gère de fait le territoire, abrite des terroristes djihadistes qui utilisent la population civile pour envoyer des roquettes sur le territoire d’Israël qui riposte, entraînant un cycle de violence qui ne parvient pas à s’arrêter.
La sécurité d’Israël est constamment menacée par ces actes terroristes non seulement dans les colonies implantées dans les territoires dits « occupés », par exemple en Cisjordanie, mais aussi à Jérusalem ou à Tel Aviv lors de l’attentat terroriste qui a coûté la vie à un policier israélien dimanche 6 août 2023.
De son côté, l’armée israélienne est accusée de se livrer à des opérations de violence aveugle. On peut citer celle du 3 juillet 2023 que Tsahal, l’armée nationale israélienne, a lancée dans le cadre d’une opération « antiterroriste » à Jénine au nord de la Cisjordanie et qualifiée de « crime de guerre » par l’Autorité palestinienne, suscitant aussi les plus vives inquiétudes de la communauté internationale dont les Etats-Unis et la France.
Un apaisement et un progrès significatif en vue d’une paix durable devraient débuter par un dialogue approfondi entre le gouvernement d’Israël et l’Autorité palestinienne, lequel n’existe plus aujourd’hui, mais pas exclusivement.
Les grandes puissances régionales et mondiales sont là aussi particulièrement concernées. On se rappelle que toute progression vers une négociation en vue d’un traité de paix a toujours été rendue possible grâce à une forte implication des Etats-Unis. On peut citer les accords de Camp David entre le premier ministre Menahem Begin et le dirigeant égyptien Anouar el Sadat en 1978 sous l’égide du président américain Jimmy Carter, les accords d’Oslo conclus en 1993 à la Maison-Blanche lors de la présidence de Bill Clinton entre le premier ministre Yitzhak Rabin et le chef de l’autorité palestinienne Yasser Arafat en vue de concrétiser les résolutions déjà citées des Nations-unies. A l’issue de cet accord, l’OLP accepte le droit d’Israël à une existence en paix et sécurité ; en contrepartie, le gouvernement israélien reconnaît l’OLP comme représentante légitime du peuple palestinien, négociation qui se conclut par une déclaration de principe entre les deux parties.
L’espoir déçu des Accords d’Abraham ?
Il convient également de citer les accords d’Abraham rédigés en 2020, consistant en deux traités de paix conclus entre Israël et les Émirats Arabes Unis d’une part, puis entre Israël et l’émirat de Bahreïn d’autre part, signés le 15 septembre 2020 lors d’une cérémonie historique à la Maison-Blanche, accompagnés d’une déclaration tripartite, également signée par le président américain Donald Trump.
Ces deux traités montrent que la paix au Proche-Orient passe nécessairement par des rapprochements diplomatiques entre Israël et ses voisins de la région.
Les Premiers ministres israéliens ont ensuite rendu des visites aux pays avec lesquels ils avaient renoué des relations diplomatiques. Toutefois, ces accords n’ont à ce jour pas confirmé l’espoir qui avait été placé en eux. Tout d’abord, les Palestiniens n’y ont pas été associés. Ces derniers ont eu la sensation d’avoir été trahis dans la mesure où les pays arabes, historiquement, avaient décidé qu’aucune paix ou solution ne serait possible sans résolution préalable du conflit israélo-arabe et donc la création d’un État palestinien. D’autre part, Donald Trump n’a proposé aucune solution à long terme pour la création d’un tel État.
En se bornant, par l’intermédiaire de son gendre très impliqué dans ces négociations, Jared Kushner, à proposer de déverser une manne financière considérable sur les territoires palestiniens sans aucune visibilité sur la finalité et la consistance de cette proposition, le projet n’a évidemment pas convaincu la partie palestinienne qui a aussi accusé le négociateur d’être manifestement plus favorable aux israéliens, d’autant plus que Jared Kushner avait assisté, en 2018, à l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem en dépit des résolutions de l’ONU qui ne reconnaît pas Jérusalem comme capitale de cet État. Finalement, si ces accords d’Abraham ont permis à Israël de normaliser ses relations avec un certain nombre d’États dont ultérieurement le Maroc et le Soudan, ils n’ont en rien fait avancer la piste de la solution à deux États. Un sondage paru deux ans plus tard montre que la dynamique des accords d’Abraham est en train de s’essouffler notamment auprès de la population arabe mais aussi auprès des pays qui avaient souscrit à cette démarche prometteuse.
Toutefois, les autorités palestiniennes ne sont pas, en ce qui les concernent, à l’abri de graves critiques. Il est reproché à Mahmoud Abbas de ne pas avoir réalisé que la situation au Proche-Orient avait changé et que le contexte n’était plus nécessairement favorable à la solution à deux États, au moment où plusieurs d’entre eux ont d’ores et déjà reconnu Jérusalem comme la capitale d’Israël, même si l’Australie est revenue sur la décision du précédent gouvernement sur cette question sensible. La situation évolue à vive allure et semble aujourd’hui plus favorable à Israël. Toutefois, le cycle de violences continue et la situation est toujours plus explosive.
A ce jour, aucune condition n’est véritablement remplie pour aller plus avant : la sécurité d’Israël n’est toujours pas assurée, des puissances lui sont hostiles notamment l’Iran, sans oublier les tirs du Hamas depuis Gaza et la capacité de nuisance du Hezbollah depuis le sud-Liban.
Mahmoud Abbas, président de l’autorité palestinienne depuis 2005, âgé de 88 ans, a perdu la main. Sa crédibilité est diminuée s’agissant du fonctionnement de l’Autorité palestinienne de plus en plus opaque. Aucune élection au conseil législatif n’a eu lieu depuis 2006, le Hamas y détenant le nombre de sièges le plus important dans cette assemblée. Si des élections étaient organisées aujourd’hui, le paysage politique serait certainement différent. Des soupçons de corruption pèsent également sur l’institution qui est largement financée de l’étranger, notamment l’Union européenne qui en est le principal bailleur de fonds. L’administration Biden n’a pris aucune initiative dans le conflit israélo-arabe et, en outre, le président américain qui a reporté la visite du premier ministre Netanyahou à Washington, n’entretient pas de bonnes relations avec ce dernier non seulement sur cette question mais aussi en raison de sa très controversée réforme sur la justice.
Les Etats-Unis durcissent aujourd’hui le ton face à Israël et, par la voie de Matthew Miller porte-parole du département d’État, ont qualifié de « terroriste » l’attaque de colons israéliens du vendredi 4 août 2023 qui a causé la mort d’un palestinien de dix-neuf ans à l’est de Ramallah siège de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie occupée, un représentant de l’armée israélienne ayant lui aussi qualifié ce meurtre d’acte de « nationalisme terroriste ». Les deux suspects ont été inculpés par la justice israélienne pour homicide délibéré « à motivation raciste » selon le journal Haaretz.
On attend toujours aujourd’hui une initiative majeure des Etats-Unis, pays qui est toutefois déjà entré en campagne électorale en vue de l’élection présidentielle de 2024. Elle devient pourtant urgente et indispensable.
La situation du Sahara occidental
Bien que moins médiatique, la situation qui prévaut au Sahara occidental montre également que plus la situation s’éternise, plus elle risque de se bloquer et de s’arcbouter sur les positions des différentes parties.
Le Sahara occidental est une ancienne colonie espagnole que l’Espagne avait placé sous son protectorat dès 1884. Il s’appelle alors le « Sahara espagnol ».
Entre 1957 et 1958, le Maroc tente de récupérer une partie du territoire mais l’opération conjointe entre la France et l’Espagne dite « opération Écouvillon » met en échec cette tentative.
La reconnaissance par le Maroc de la Mauritanie en 1969, puis la mort du dictateur espagnol Francisco Franco le 20 novembre 1975, fragilisent durablement l’Espagne jusqu’à la décolonisation, évènements suivis par la guerre entre le Maroc et la Mauritanie puis entre le Maroc et le Front Polisario créant la République arabe sahraouie démocratique.
Là aussi, la situation y est figée depuis la proclamation unilatérale de la République arabe sahraouie démocratique par le Front Polisario (RASD) en 1976, alors que le même territoire est revendiqué par le Maroc depuis cette date. La RASD est reconnue par l’Algérie et se prévaut aussi du soutien de sa population en vue d’une indépendance totale. Le Maroc s’appuie quant à lui sur les accords dits de Madrid, signés le 14 novembre 1975 par l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie par lesquels il a été décidé de la partition du territoire après le retrait de l’Espagne. La Mauritanie a rapidement quitté le Sahara occidental après le traité de 1975, ce pays cédant la partie qu’elle occupait au Front Polisario, provoquant dans la foulée son annexion par le Maroc le 14 août 1979.
De fait, depuis 1991 et le cessez le feu intervenu entre la RASD et le Maroc, ce dernier contrôle et administre environ 80 % et le Front Polisario 20 %. La zone qui constitue la RASD se trouve derrière une longue ceinture de sécurité du côté Est, alors que le Maroc occupe la partie Ouest.
Le problème semble aujourd’hui insoluble : les Marocains s’accrochent aux accords de Madrid qui datent de 1975 soit dans une période agitée marquée par l’abandon d’une partie du territoire par la Mauritanie.
Ils se prévalent aussi des « liens d’allégeance » passés entre les tribus sahraouies et les sultans du Maroc. Sans nier l’existence de règles ancestrales et tribales, d’une coutume liée à une culture du désert, tout cela semble aujourd’hui dépassé par les règles du droit international qui peuvent se résumer en une expression « le droit à l’autodétermination des peuples » lequel devrait en toute logique déboucher sur un référendum du peuple sahraoui constamment reporté jusqu’à présent.
Un référendum d’autodétermination incertain
Les accords de Madrid ont certainement été interprétés trop largement : en effet, ils n’avaient en aucune manière transféré quelque souveraineté que ce soit, mais avaient fixé les modalités du retrait de l’Espagne. La question de la souveraineté devait être réglée ultérieurement par les autres parties signataires. En d’autres termes, selon l’ONU, il n’existe pas d’éléments objectifs ou juridiques qui octroierait une légitimité au Maroc pour clamer sa souveraineté sur le Sahara occidental.
C’est à la demande des autorités marocaines d’ailleurs que l’ONU avait inscrit la RASD sur la liste des territoires non autonomes dès 1963, soit avant les accords de 1975, ce qui fait que cette décision ancienne ne semble plus être utile et effective aujourd’hui pour la résolution du conflit du Sahara occidental.
Ce n’est pas faute pour l’ONU d’avoir voté de nouvelles résolutions, comme celle du mois d’avril 2007 (n°1754), par laquelle le conseil de sécurité appelle à négocier « en vue de parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui permette l’autodétermination du peuple du Sahara occidental ». L’envoyé spécial de l’ONU sur cette question avait déclaré en 2008 que l’indépendance du Sahara occidental, n’était plus « un objectif atteignable ». Le 30 avril 2008, le conseil de sécurité avait estimé que les parties devaient faire preuve de « réalisme et d’un esprit de compromis afin de maintenir l’élan imprimé au processus de négociation » qui devrait donc passer par un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui ainsi que le Maroc s’y était déjà engagé en 1989, bien que les modalités d’organisation d’un tel référendum soient très difficiles en présence notamment d’une population nomade importante.
Une situation humanitaire catastrophique
Mais cette difficulté ne devrait pas être insurmontable. Il est non moins vrai qu’il est devenu impossible au Maroc au sein de la classe politique soutenue en cela par une écrasante majorité des Marocains, de remettre en cause le droit inébranlable du Maroc d’exercer sa souveraineté sur l’ensemble du Sahara occidental. Quant à l’Algérie, il est constant que ce pays soutient la République arabe démocratique sahraouie, ce qui est l’objet d’un contentieux permanent avec le Maroc, même si l’Algérie réaffirme régulièrement qu’elle n’est pas concernée par le conflit, n’ayant à ce sujet aucune revendication territoriale.
Il n’en demeure pas moins que la situation sur le plan humanitaire est une catastrophe : des dizaines de milliers de réfugiés vivent toujours dans le camp de Tindouf en Algérie dans des conditions extrêmement précaires en plein désert et dont l’accès est difficile.
Si aujourd’hui, dans le cadre d’un effort fait par le Maroc, des réfugiés ont accepté de revenir dans la partie du territoire sous gestion marocaine, la situation reste très fragile.
La RASD, par ailleurs membre de l’Union africaine, n’est pas soutenue par les grandes puissances, notamment les Etats-Unis qui, au mois de décembre 2020, par une décision du président Donald Trump, ont reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en échange de l’établissement de relations diplomatiques entre le Maroc et Israël. La France et d’autres puissances sont sur la même longueur d’ondes, qui n’appuient pas non plus la création d’un nouvel Etat indépendant.
La situation est aujourd’hui figée non seulement sur le plan diplomatique, mais aussi sur le plan géographique : une frontière sous la forme de deux murs de sable d’une longueur de 2 000 kilomètres et de trois mètres de hauteur sépare les deux entités.
A proximité sont déposées des mines anti personnelles outre des fortifications environ tous les 5 kilomètres.
En l’état, tous les paramètres montrent que le statu quo perdurera tant que l’ONU n’aura pas décidé d’une nouvelle initiative majeure. Si l’on sait que le Conseil de sécurité des Nations-Unies est aujourd’hui paralysé par le véto des grandes puissances, qui oserait s’opposer à une résolution en vue d’un référendum d’autodétermination qui est pourtant à la base de la Charte et des principes des Nations-Unies ?
Patrick Martin-Genier
Photographie : Source : abu adel – photo / Shutterstock.com