Un an après sa promulgation, Pascale Boistard revient pour la Revue Politique et Parlementaire sur la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement.
Revue Politique et Parlementaire – Pouvez-vous nous rappeler les mesures phares de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement ?
Pascale Boistard – Il faut bien avoir à l’esprit que cette loi était attendue depuis dix ans. Toutes les familles sont à un moment concernées par le vieillissement d’un proche. Cette loi est porteuse de progrès concrets, en particulier pour les personnes et foyers les plus fragilisés, les plus modestes.
C’est une loi de justice et de progrès social pour les personnes âgées, leur entourage, qui facilite et améliore leur vie, leur quotidien. C’est une loi humaine qui favorise l’attention à l’autre et vise à construire une société où chacune et chacun peut bien vieillir. La question du vieillissement est aussi une question essentielle pour l’avenir de notre pays, et en cela, nous sommes au rendez-vous du défi démographique.
En 2050, un tiers des Français auront plus de 60 ans et en 2060, les personnes âgées de 80 ans et plus seront plus de 5 millions alors qu’elles sont 1,4 million aujourd’hui.
Cette loi apporte des solutions concrètes aux enjeux qui se présentent à nous aujourd’hui, mais c’est aussi une loi d’anticipation pour les générations futures.
Elle porte tout d’abord sur une revalorisation de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) à domicile. Douze ans après sa création par le gouvernement Jospin, l’APA nécessitait un « acte 2 » afin de renforcer l’accompagnement à domicile et de mieux prendre en compte les besoins des personnes fragilisées par l’âge ou la maladie. Le coût de la revalorisation de l’APA à domicile s’élève à 453,6 millions en année pleine. Cette revalorisation est entièrement financée par la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA). La réforme de l’APA à domicile permet aux personnes âgées de bénéficier de plans d’aide plus conséquents et davantage diversifiés, avec une participation financière de leur part largement réduite, notamment pour les personnes les plus modestes et les plus dépendantes.
La quasi-totalité des bénéficiaires de l’APA à domicile (740 000 personnes) profitent désormais d’une baisse de leur reste à charge.
La loi ASV prend également en compte, et c’est un de ses aspects essentiels, les aidants. Plus de quatre millions de personnes accompagnent au quotidien un proche âgé en situation de perte d’autonomie. Par ailleurs, 47 % des aidants concilient une activité professionnelle avec l’accompagnement d’un proche. La très grande majorité d’entre eux souhaite conserver son activité professionnelle pour des raisons financières, mais pas uniquement. Le congé « proche-aidant », mesure très attendue de la loi, sera effectif au 1er janvier 2017.
Ainsi, grâce à la loi ASV et pour la première fois dans notre pays, le statut des aidants est reconnu. Plus encore, ils bénéficient de nouveaux droits.
Le plan d’aide APA de la personne âgée peut ainsi être majoré jusqu’à près de 500 euros par an, pour financer, par exemple, le recours à de l’accueil temporaire en établissement ou en accueil familial, ou des heures d’aide à domicile supplémentaires. Cette mesure est entrée en vigueur le 1er mars 2016. Avec le relais en cas d’hospitalisation du proche aidant, le plan d’aide APA peut être ponctuellement revalorisé pour faire face à l’hospitalisation du proche aidant. Cette aide ponctuelle, dont le montant peut atteindre jusqu’à 992 euros au-delà des plafonds de l’APA, peut servir à financer un hébergement temporaire de la personne aidée, ou un relais à domicile. Cette mesure est, elle aussi, entrée en vigueur le 1er mars 2016. Enfin, la loi procède à la transformation de l’actuel congé de soutien familial en « congé de proche aidant ». Les proches aidants pourront bénéficier d’un congé de trois mois renouvelable pour s’occuper de leur proche. La mise en œuvre effective de cette mesure interviendra le 1er janvier 2017.
Mais nous avons voulu aller au-delà de la loi ASV, pour la prolonger grâce à des mesures budgétaires audacieuses et massives. Ainsi, dès 2017, les retraités non imposables bénéficieront d’un crédit d’impôt pour les emplois à domicile, cela a été voté lors du projet de loi de finances 2017 : c’est un milliard d’euros supplémentaires pour 1,3 million de ménages.
Cette loi améliore très concrètement le quotidien des personnes âgées mais aussi de leur entourage.
RPP – D’aucuns reprochent à cette loi son manque d’ambition et notamment d’être principalement centrée sur le maintien des personnes âgées à domicile, laissant de côté le volet « établissements ». Que leur répondez-vous ?
Pascale Boistard – Le volet « établissements » n’a absolument pas été laissé de côté, bien au contraire. Depuis 2012, nous avons créé 25 000 places supplémentaires en Ehpad.
La loi donne aussi un nouveau souffle aux « logements-foyers », rebaptisés « résidence autonomie », transformant cette forme d’établissement médico-social en véritable atout de prévention de la perte d’autonomie. Ces résidences constituent désormais une réponse efficace dès l’apparition des premières fragilités, et surtout une alternative attendue aux Ehpad quand la personne âgée n’est pas dépendante.
Nous avons également développé les résidences services, qui sont le bon compromis entre l’établissement et le domicile, car, rappelons-le, 80 % des personnes âgées souhaitent pouvoir rester vivre le plus longtemps possible chez elles. Pour répondre à cette exigence sociale, nous avons adapté 80 000 logements pour permettent aux personnes âgées qui le souhaitent de rester à domicile et nous avons mobilisé 20 millions d’euros supplémentaires dans le projet de loi de finances 2017 pour porter ce chiffre à 100 000 en 2017. En ce qui concerne les établissements, la loi ASV prévoit aussi la rénovation du cadre de contractualisation des Ehpad à travers les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens. Le CPOM, pour les établissements et le personnel d’encadrement, est un cadre budgétaire qui accorde la souplesse nécessaire aux établissements pour innover, pour retrouver des marges de manœuvre… Par ailleurs, pour un groupe privé commercial, il est désormais possible de signer sur un même département un seul CPOM pour l’ensemble de ses établissements. Ainsi, quand hier un même groupe privé commercial possédant dix Ehpad sur un département devait signer dix CPOM, aujourd’hui, un seul CPOM peut être signé. Ce progrès indéniable va dans le sens de l’esprit de la loi ASV qui vise aussi la simplification des échanges entre les gestionnaires et les autorités de tarification que sont les agences régionales de santé (ARS) et les conseils départementaux.
Des mesures concernant la transparence de tarification en Ehpad ont été prises dès l’entrée en vigueur de la loi ASV et renforcent la transparence et l’information sur les prix pratiqués en Ehpad. Elles portent sur les prestations minimales relatives à l’hébergement délivrées par les Ehpad, à savoir les services qui doivent être assurés par chaque Ehpad, listés dans un décret, en matière d’hôtellerie, de restauration et de blanchissage. Cette disposition permet de garantir une prise en charge sans surcoût pour les familles des résidents, ainsi que des recherches de maisons de retraite simplifiées. Un second décret encadre le prix des établissements non habilités à accueillir des bénéficiaires de l’aide sociale.
Avec Marisol Touraine, nous allons présenter prochainement la nouvelle version du portail des personnes âgées de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), le site pour-les-personnesagees.fr, où seront inscrits l’ensemble des tarifs des Ehpad qui ont désormais, grâce à la loi ASV, obligation de faire remonter leurs tarifs. Ainsi, chacun, en fonction de ses revenus et de son lieu de résidence, pourra comparer les tarifs des établissements et calculer son reste à charge, sur le site, qui est très simple d’utilisation.
RPP – Les départements sont les pilotes sur leur territoire de la mise en œuvre de la loi d’adaptation de la société au vieillissement. L’Assemblée des départements de France (ADF) dénonce une « augmentation des charges et des dépenses obligatoires pour le compte de l’État », reproche au gouvernement de « se désengager et d’abandonner les départements face à leurs missions de services publics », affirmant notamment que demain « les départements ne pourront plus assurer une aide à domicile pour le quotidien des seniors ». Qu’en est-il vraiment ? Comment sont financées les mesures de la loi ASV ?
Pascale Boistard – Ces affirmations sont fausses. En 2015, l’État finançait 46 % de la dépense APA des départements. 32 % par le concours CNSA et 14 % par les recettes fiscales, à savoir deux points de plus qu’en 2012. Et ce, avant même la création de l’APA 2 en 2016, qui est compensée à 100 % aux départements : 306 M€ en 2016, 453 M€ en 2017 et 453 M€ en 2018.
La loi ASV est entièrement financée par l’État. L’ensemble des dispositifs de la loi ASV et des dispositifs interministériels portent l’effort annuel pour les personnes âgées à un milliard d’euros, que nous devons ajouter au milliard de crédit d’impôt pour les retraités non imposables, pour financer, dès 2017, des services d’aide à domicile.
Au total, ce sont donc deux milliards par an supplémentaires qui sont consacrés à l’autonomie des personnes âgées.
Il faut être très audacieux dans ce contexte pour parler de « désengagement ». Il y a au contraire un engagement fort de la part du gouvernement. Avec le Premier ministre, nous en avons fait une question centrale, en particulier avec la loi ASV.
Dans le cadre de l’élaboration de la loi, je tiens à rappeler que ce sont des départements, à travers l’ADF, qui ont voulu être pilotes sur la mise en œuvre des mesures de la loi. Mon seul souci aujourd’hui est de mettre en œuvre la loi. Seule l’amélioration des conditions de vie des personnes âgées me préoccupe.
RPP – Dans le cadre de la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées, des conférences des financeurs se déploient sur l’ensemble des départements français. De quoi s’agit-il ?
Pascale Boistard – Les conférences des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées sont une mesure importante de la loi ASV, qui prouve une fois de plus l’engagement fort de l’État auprès des départements, pour revenir à la précédente question. Elles sont présidées par les présidents des conseils départementaux et fédèrent les acteurs dans chaque département pour programmer et coordonner les dépenses en matière de prévention de la perte d’autonomie, afin d’avoir une action plus efficace et une réponse adaptée à la réalité du terrain. Pour simplifier, elles apportent un cadre clair et efficace et des moyens d’action renforcés. Avant la loi ASV, chaque acteur sur le territoire départemental menait ses actions de prévention, sans concertation avec les autres acteurs. Désormais, ces actions sont concertées, mutualisées, coordonnées, donc plus efficientes. Les premiers bénéficiaires sont donc les personnes âgées.
Les conférences des financeurs ont bénéficié d’un concours financier de 102 millions d’euros versé le 19 avril 2016 et j’ai par ailleurs débloqué des crédits d’ingénierie complémentaires à hauteur de 60 000 euros pour chaque département, ce qui représente une enveloppe supplémentaire de 5,58 millions d’euros. Non seulement les départements disposent de davantage de moyens, mais ils sont accompagnés par l’État pour les mettre en œuvre le plus efficacement possible.
RPP – Afin d’assurer la participation des personnes âgées à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques de l’autonomie dans les départements, un conseil départemental de la citoyenneté et de l’autonomie (CDCA) est mis en place dans chaque département. Quelles sont ses missions et sa composition ?
Pascale Boistard – Les CDCA sont une nouvelle instance consultative présidée, là encore, par les présidents de conseils départementaux. Ils renforcent la démocratie participative au niveau local et facilitent la co-construction des politiques publiques territoriales en concertation avec les usagers et leurs proches, les représentants institutionnels locaux et les professionnels du secteur de l’âge et du handicap.
Les CDCA répondent en effet à la demande des acteurs d’avoir un véritable rôle à jouer dans la prise de décision locale. Cette instance permet d’allier l’expérience des usagers à l’expertise des professionnels afin d’évaluer les besoins puis de proposer des initiatives adaptées.
Afin de répondre aux spécificités propres à chaque public, l’instance est composée de deux formations spécialisées, l’une pour les questions relatives aux personnes handicapées et l’autre pour les personnes âgées. Par ailleurs, les CDCA créent un point de convergence fort entre les politiques d’autonomie visant les deux publics qui se rejoignent sur de nombreuses questions, notamment à travers la réunion plénière du CDCA qui rassemble les deux formations.
Leur mise en place rénove et simplifie la concertation entre ces différents acteurs au niveau départemental. Le CDCA se substitue effectivement aux deux instances préexistantes pour chacun des deux publics : les conseils départementaux consultatifs des personnes handicapées (CDCPH) et les comités départementaux des retraités et personnes âgées (Coderpa).
RPP – Onze mois après son vote, quelles sont les principales avancées de la loi ASV ?
Pascale Boistard – Je ne vais pas rentrer dans le détail des décrets, mais aujourd’hui chacun peut noter que la loi se met en œuvre dans les temps. Dès le mois d’avril, les départements ont reçu l’ensemble des financements pour mettre en œuvre les mesures de la loi sur le terrain. En effet, dès le 26 février, les décrets relatifs à l’aide à domicile et au financement des mesures de la loi étaient publiés. Comme nous l’avons évoqué au cours de l’entretien, cette loi reconnaît pour la première fois le statut des aidants, et leur donne des droits. Des centaines de milliers de personnes sont concernées, c’est une avancée sociale très significative, qui incarne l’esprit de cette loi : faire progresser la République du respect, changer concrètement la vie de nos concitoyennes et concitoyens. Mais la loi a surtout enclenché une dynamique. La loi mobilise la société pour la faire avancer, pour permettre à la France d’être au rendez-vous du défi démographique, un défi historique, qu’il nous est interdit de ne pas réussir.
Pour terminer cet entretien, je voudrais insister sur la silver économie pour laquelle je m’engage pleinement depuis ma prise de fonction.
La révolution démographique nous oblige en effet à appréhender autrement le vieillissement, à réfléchir et à inventer de nouvelles réponses, de nouveaux modes de vie, de gouvernance, de soins et d’attentions. Elle nous oblige à moderniser notre approche du vieillissement.
Avec la silver économie, il s’agit d’apporter une réponse ambitieuse et humaine au défi démographique.
C’est aussi bien sûr un impératif économique. La France a l’opportunité de développer une industrie d’anticipation, mêlant performance technologique et intelligence humaine. Elle a l’opportunité, grâce à l’ensemble des solutions qu’elle a su développer au fil des décennies en matière d’autonomie, au dynamisme de ses universités, laboratoires de recherche et entreprises innovantes, d’être la puissance leader en la matière.
C’est pourquoi, dès 2012, nous avons engagé d’importants travaux pour structurer la filière, débouchant sur l’installation d’un comité de filière et la signature d’un contrat de filière dès 2013.
Cette filière arrive aujourd’hui à un stade de structuration qui nécessite de faire le bilan de ses réalisations, pour mieux poser et réunir les conditions de sa poursuite.
Ma conviction est que la constitution de cette industrie ne pourra se faire efficacement dans la durée que si les acteurs en présence partagent une même ambition, celle de mettre la personne au centre du système : s’intéresser à ses besoins, à ses envies, à ses moyens, et lui proposer des solutions globales, en ayant toujours à l’esprit ses droits fondamentaux de citoyens.
Les régions sont l’échelon pertinent de développement de filières locales, elles sont le territoire d’élaboration et de structuration de l’offre qui a vocation à rayonner sur tout le territoire national ou à l’international. Les départements sont, quant à eux, le territoire de la demande où se structure la politique de prévention et d’accompagnement de la perte d’autonomie. La rencontre de l’offre et de la demande dépend de la rencontre de ces écosystèmes. Dans cette optique, nous avons installé une première silver région en Corse. Nous en installerons bientôt une autre en Nouvelle Aquitaine et d’autres, qui nous ont fait part de leur intérêt et avec qui nous travaillons, suivront. Par ailleurs, avec Christophe Sirugue, secrétaire d’État à l’Industrie, nous avons signé le 17 novembre une lettre de mission à l’union des groupements d’achat public (UGAP), qui gère des achats publics à hauteur de 2,5 milliards d’euros par an. L’achat public pourra ainsi être un levier important de développement de la silver économie, au service de nos entreprises et des emplois de demain, en accélérant le rapprochement de l’offre et de la demande. Avec la silver économie, c’est l’économie qui rejoint l’humain, qui met la personne et ses aspirations au centre de son développement. La France est au rendez-vous et l’État, avec ce que nous mettons en place, se comporte en stratège sur cette question.
Pascale Boistard
Secrétaire d’Etat chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie
Propos recueillis par Florence Delivertoux