Charles Zorgbibe emprunte la plume de grands auteurs pour évoquer la vie à l’heure du Covid-19 et du confinement.
Légende cabbaliste
Le Golem de Wuhan
En l’an 5780 de la création du monde, l’an 2019 de la naissance du Christ, le Rabbi Loew, de la synagogue Vieille-Neuve de Wuhan, s’adressa au Très-Haut.
Il faut dire que la présence juive à Wuhan date de plus de sept siècles. Les juifs de Wuhan descendent des marchands du Ghetto de Venise qui accompagnèrent Marco Polo dans son exploration de l’Asie ; ils restèrent auprès de l’empereur mongol, Kubilai Khan, car ils furent séduits par la beauté des femmes de sa cour. Ils ont aujourd’hui la peau jaune et l’oeil bridé. La grande Pearl Buck a conté leurs nuits et leurs jours dans son célèbre roman « Pivoine ». Ils se comportent en Chinois disciplinés, soumis au régime de Pékin, mais ils respectent strictement la loi mosaïque.
Le Rabbi Loew s’adressa donc au Très-Haut :
– Seigneur, les jaloux et les méchants de tous les continents colportent des médisances sur nous. Les routes de la soie, qu’empruntèrent jadis nos pères et que nous retissons avec soin pour exporter nos productions, sont présentées comme les routes du démon. Seigneur, tu dois nous aider.
Le Très-Haut répondit par un message codé, – un assemblage de lettres hébraïques dans l’ordre alphabétique inversé -, qui signifiait : « Tu crées un Golem avec de l’argile et tu seras protégé contre la médisance. Et les routes de la soie ne seront plus diffamées ».
Le Rabbi Loew convoqua son gendre Jizchak ben Siméon et son plus jeune fils, le lévite Jacob ben Chajim et il leur confia le secret de la création du Golem, tel qu’il l’avait reçu du Très-Haut :
– Quatre éléments sont nécessaires pour cette création. Jizchak, tu seras le feu, Jacob l’eau et moi l’air. Puis nous créerons le Golem à partir de l’élément manquant, la terre.
Le jour dit, le jour de l’expiation de l’an 5780, les trois hommes se couvrirent de leurs châles rituels et récitèrent les psaumes et les louanges de minuit puis se rendirent aux portes de Wuhan, en quête d’argile. A la lumière des projecteurs, et tout en chantant des psaumes, ils façonnèrent dans l’argile un corps de trois aunes de long, avec tous ses membres. Le Golem gisait, sans vie, inerte, le visage tourné vers le Très-Haut.
Le Rabbi demanda à Jizchak de faire sept fois le tour du corps d’argile, en partant de la droite, tout en récitant la combinaison de lettres qui figurait dans le message du Très-Haut, puis il fit la même demande au lévite Jacob avant de procéder, lui aussi, aux sept tours. C’est ainsi que Jizchak embrasa le corps du Golem, qui devint d’un rouge intense ; avec Jacob, l’eau afflua dans le corps du Golem et le Rabbi Loew fit pénétrer un souffle dans ce corps.
Le feu, l’eau et l’air apportèrent ainsi la vie au quatrième élément, la terre. Le Golem ouvrit les yeux et regarda autour de lui d’un air étonné. Le Rabbi Loew lui dit de se lever et le Golem se leva.
Dans les premiers jours, le Golem accomplit à la perfection la mission qui lui était assignée par le Rabbi Loew. Ce géant de trois aunes de hauteur était muet mais le Rabbi ne manquait pas de le programmer chaque soir. Le lendemain, le Golem détruisait avec habileté les fausses informations que les jaloux et les méchants répandaient sur la Toile ; il assurait avec talent la propagande des Routes de la Soie.
Hélas ! Il advint que le vendredi après-midi, veille du Sabbat, le Rabbi Loew oublia de programmer le Golem. Le géant, désoeuvré, erra dans l’avenue centrale de Wuhan, détruisant tout sur son passage. Il en résulta une grande panique. Les habitants de Wuhan s’enfuirent en criant : « Le Golem est devenu fou ! »
On alerta le Rabbi Loew, qui était en prières à la synagogue Vieille-Neuve. Le Rabbi cria d’une voix forte : « Golem, reste où tu es ! » Le Golem se figea comme une statue de sel. Le Rabbi semblait avoir réussi à le maîtriser. Mais il était en alerte : il avait réalisé que le Golem aurait pu détruire Wuhan. Il s’adressa donc au Très-Haut :
– Seigneur, le Golem est devenu fou ! Il a accompli la mission que je lui avais assignée, avec ton appui. Il s’est très bien comporté sur la Toile. Mais il est devenu dangereux. Il a failli détruire notre ville. Seigneur, tu dois m’aider à le rendre à l’argile où nous l’avons pétri.
Le Très-Haut répondit par un message codé – un autre assemblage de lettres hébraïques – qui contenait le secret de la destruction du Golem.
C’est ainsi que le Rabbi Loew, assisté de son gendre Jizchak et de son plus jeune fils le lévite Jacob, couverts de leurs châles rituels et récitant les psaumes et les louanges de minuit, se rendirent aux portes de Wuhan. A la lumière des projecteurs, ils déposèrent le corps du géant endormi sur l’argile qui l’avait vu apparaître, firent chacun sept fois le tour du corps du Golem en partant de la gauche et, tout en récitant la combinaison de lettres qui figurait dans le nouveau message du Très-Haut, retirèrent au Golem le feu, l’eau et le souffle et le rendirent à l’argile d’où il était apparu.
Mais une rumeur courait déjà dans Wuhan : le géant de trois aunes de haut semblait s’être relevé de l’argile et s’être réfugié au laboratoire P4 de Wuhan.
La vengeance du Golem fut terrible. Une épidémie ravagea Wuhan, la Chine et le monde. Les cadavres s’entassaient – surtout ceux des plus âgés. Il n’était plus possible de prier le Très-Haut ni de trouver des sépultures.
Le Rabbi Loew interrogeait en vain ses livres afin d’y découvrir l’origine de l’épidémie et les moyens de la contrer. Désespéré, il se présenta, en pleine nuit, accompagné de ses élèves-talmudistes, à la synagogue Vieille-Neuve ; il avait décidé d’entrer par la petite porte, dans le fond du cimetière.
A sa surprise, la porte s’ouvrit avant qu’il n’arrive. Un homme triste, au visage rosacé, sortit, une très longue liste à la main. Le Rabbi Loew reconnut immédiatement l’Ange de la mort qui, chaque soir, sur tous les médias d’information continue, égrenait la longue liste des victimes du Golem. A son grand effroi, il devina son nom sur la liste ; il s’empara de la liste et la déchira en seize morceaux.
Le Rabbi Loew mourut dans l’heure qui suivit. Car on n’échappe pas à la colère du Golem, surtout lorsqu’il s’est réfugié au laboratoire P4 de Wuhan.
Charles Zorgbibe
Professeur honoraire à Paris1-Panthéon Sorbonne
Ancien recteur d’Aix-Marseille