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dans N° 1089, Politique

Pédagogies alternatives : à la recherche d’une autre école

Marie-Laure ViaudParMarie-Laure Viaud
7 décembre 2018
Pédagogies alternatives : à la recherche d’une autre école

Les écoles dites « différentes » ou « alternatives », c’est-à-dire celles qui se réfèrent aux pédagogues de l’Éducation nouvelle comme Freinet, Montessori ou Steiner, suscitent un intérêt croissant depuis une dizaine d’années au moins. 

Les médias multiplient les reportages, la demande des parents est devenue importante et les enseignants sont de plus en plus nombreux à déclarer vouloir mettre en œuvre ces pratiques. En témoignent par exemple, dans l’enseignement public, la médiatisation de Céline Alvarez et l’intérêt accru pour les techniques Montessori qui l’ont accompagnée, et dans l’enseignement privé hors contrat, le développement du nombre d’écoles concernées : cinq à dix écoles alternatives ouvraient chaque année dans les années 2000, alors qu’aujourd’hui, il s’en crée entre cinquante et cent par an1.

Quels sont les points communs et les différences entre les principales pédagogies (Montessori, Freinet, Steiner…) ? Combien d’écoles les mettent aujourd’hui en œuvre ? Que sait-on sur la réussite scolaire et le devenir des élèves qui les fréquentent ?… C’est à ces quelques questions que nous nous proposons de répondre ici en nous appuyant sur les recherches en sciences de l’éducation et en sociologie de l’éducation, et sur le travail de valorisation et de diffusion de ces travaux que nous
réalisons depuis plusieurs années2.

Points communs et différences

Les pédagogies alternatives les plus répandues en France sont les pédagogies Freinet, Montessori et Steiner-Waldorf, ainsi que les écoles dites « plurielles » qui s’inspirent de plusieurs de ces courants. Bien qu’elles soient qualifiées de « nouvelles », ces pédagogies ont vu le jour il y a près d’un siècle : le premier congrès international d’Éducation nouvelle s’est tenu en 1921.

Toutes ont en commun la mise en œuvre de méthodes actives à partir des intérêts et des questionnements de l’élève, une approche globale des savoirs, le respect des rythmes de chacun, le développement de l’autonomie et la responsabilisation.

Les enseignants se considèrent comme des enseignants et des éducateurs : ils veulent transmettre des savoirs académiques mais aussi favoriser l’épanouissement de toutes les facettes de la personne, la créativité, les capacités d’expression, la confiance et l’estime de soi.

Les classes Montessori se distinguent par l’importance du travail autonome. Pour Maria Montessori, chaque enfant passe, selon un rythme qui lui est propre, par des « périodes sensibles » pendant lesquelles il peut apprendre très rapidement à condition d’en avoir l’occasion. Pour permettre à chacun de progresser à sa vitesse, les classes sont toujours d’âges mélangés (3-6 ans, 6-9 ans) et plusieurs heures chaque jour sont consacrées à un temps de « travail individuel » durant lequel les enfants choisissent librement des activités et les réalisent en autonomie grâce à un matériel spécifique fondé sur la manipulation.

Les enseignants Freinet, eux, partent du principe que les élèves sont motivés lorsqu’ils travaillent sur des projets de réalisations dans des situations de communication réelle. C’est parce que les apprentissages sont fondés sur des situations « vraies » que les enfants en comprennent le sens et l’utilité. Ainsi, les enfants s’exercent à l’expression écrite, non pour faire une rédaction, mais pour rédiger un article pour le journal de l’école ; ils apprennent à compter, non pour résoudre un problème, mais pour savoir combien d’exemplaires de ce journal ont été vendus, etc. Les classes Freinet comportent aussi des temps de travail personnalisé et individualisé pour permettre à chacun d’avancer à son rythme et selon ses intérêts, à raison d’une ou deux heures quotidiennes, mais l’essentiel est la construction du collectif qui se décline par la mise en œuvre de pratiques telles que la démocratie scolaire, la réalisation de projets collectifs, la coopération et l’entraide.

Quant à la pédagogie Steiner, elle est, pour les 3-7 ans, fondée sur le jeu libre et créatif, les travaux manuels, les contes et les rondes, l’utilisation de jeux et de matériaux peu structurés favorisant le développement de l’imagination. L’ambiance est familiale et les enfants ne réalisent aucun apprentissage formalisé. Le niveau élémentaire se caractérise surtout par la recherche d’un équilibre entre le travail intellectuel et manuel, et par l’attention accordée à chacun.

Les médias présentent généralement  Freinet, Montessori et Steiner comme un tout, en insistant sur leurs ressemblances au risque de confusions : de fait, ces pédagogies et les écoles qui s’en réclament ne partagent pas le même projet de société.

Les écoles Montessori et Steiner sont majoritairement des écoles privées hors contrat, au coût élevé (environ 350 euros par mois en province et 700 euros à Paris). Certes, plusieurs d’entre elles réservent des places aux élèves boursiers ou indexent le coût de la scolarité sur le quotient familial ; cependant, ces écoles reçoivent majoritairement des élèves de classes sociales moyennes ou favorisées, ne serait-ce que parce que seuls les parents d’un petit monde d’interconnaissance ont accès aux connaissances leur permettant de choisir d’y scolariser leur enfant et les moyens de financer ces modes de scolarisation. Comme le souligne Philippe Meirieu, la montée de la pédagogie Montessori « est très liée à celle du “développement personnel”: quand il n’y a plus de projet collectif, que les autres et le monde apparaissent comme des dangers, le souci de soi devient primordial. On devient alors très attentif à son corps, à son alimentation, à sa capacité à “être heureux” en revenant en soi. (…) “Être soi-même” devient le maître-mot »3.

Le projet des écoles qui se réclament de Freinet est tout autre : les enseignants Freinet exercent généralement dans l’enseignement public et/ou dans des quartiers défavorisés avec une volonté de transformation sociale : pour eux, l’essentiel est de développer chez les enfants l’esprit critique, la coopération et la capacité à mettre en œuvre des projets collectifs. Il s’agit de former des citoyens concernés par le bien commun et la marche des affaires collectives.

Les résultats de ces écoles

Au cours des dix dernières années, des programmes de recherche ont analysé le fonctionnement de ces écoles et évalué leurs résultats4.

Ces études s’accordent sur le constat que, de la maternelle au lycée, ces pédagogies parviennent à susciter le plaisir d’apprendre à tous les niveaux.

Les élèves disent y venir avec plaisir, et l’ambiance est positive : pas de violence, très peu d’incivilités et de dégradations.

Plusieurs de ces recherches, en comparant les performances des élèves des écoles alternatives avec celles des élèves d’écoles standard, apportent la preuve que, pour l’enseignement primaire au moins5, elles réussissent aussi bien, et souvent mieux, que les écoles standard en ce qui concerne les acquis scolaires.

L’étude la plus ambitieuse menée en France dans ce domaine a porté sur une école Freinet située en Réseau d’éducation prioritaire dans la banlieue de Lille et accueillant des enfants de milieux populaires, dont certains en situation de grande précarité6. En 2001, l’Éducation nationale a accepté que les enseignants de cette école, qui souhaitaient tous leur mutation en raison du climat d’incivilités de l’établissement, soient remplacés par une équipe du mouvement Freinet. L’ensemble d’une cohorte d’enfants entrant en CP a été suivie pendant cinq ans par l’équipe du CIREL (université Lille-III). Des sociologues, des pédagogues, des psychologues, des didacticiens du français, des mathématiques et des sciences… ont comparé régulièrement et systématiquement leurs acquis avec ceux d’une population témoin composée des élèves de CP de trois écoles voisines accueillant des élèves de milieux équivalents. Au bout de cinq années, les élèves du CM2 « Freinet » avaient des résultats nettement meilleurs en français et équivalents7 en mathématiques et en sciences : « Leurs écrits sont bien plus longs (le double lors de la quatrième année de l’expérience). Leurs performances sont meilleures en matière de langue […]. Ils développent et diversifient plus les éléments qui ont trait à l’imaginaire » et ils respectent mieux la consigne, écrivent les chercheurs. En matière d’orthographe, « la supériorité est quasi constante du CP au CM2 » et les tests menés en français montrent que les performances des élèves de l’école Freinet « dépassent sur la quasi-totalité des indicateurs retenus celles des élèves de milieux équivalents ». Durant ces cinq années, la violence avait également considérablement diminué et dans l’ensemble, tous les indicateurs (climat de l’école, diminution de l’évitement scolaire…) étaient favorables à la pédagogie Freinet.

D’autres études ont porté sur l’adaptation des élèves d’écoles alternatives au système scolaire traditionnel en suivant des cohortes d’élèves pendant plusieurs années.

Il en ressort qu’à l’issue d’un trimestre de transition parfois pénible, leur adaptation à leur nouvel environnement est aussi bonne, voire meilleure, que celle de leurs camarades issus du système standard.

Par exemple, Rebecca Shankland8 a suivi pendant deux ans une cohorte de 277 anciens élèves de lycées alternatifs pour étudier leur intégration dans l’enseignement supérieur. Leurs résultats aux examens sont meilleurs et leur niveau de bien-être est plus élevé (moindre niveau d’anxiété et de dépression et meilleure niveau de satisfaction par rapport à la vie d’étudiant). 70 % ont réellement choisi leur orientation, contre 40 % des étudiants ordinaires ; et ils sont plus nombreux à s’engager dans les études avec l’idée d’un métier bien défini : c’est le cas de 39 % des élèves des écoles nouvelles et Montessori, de 18 % de ceux issus des écoles Steiner, mais seulement de 10 % de ceux issus de l’enseignement dit « traditionnel »9. Cette bonne adaptation est attribuée par la chercheuse au fait que les élèves sont habitués à organiser eux-mêmes leur travail et le réaliser en autonomie, à s’auto-évaluer, et que leur confiance en eux est importante.

D’autres recherches10 ont aussi mis l’accent sur leur aisance orale, leur créativité, leur intérêt pour les questions sociales, leur capacité à travailler en équipe, leur sens des responsabilités, et sur l’importance qu’ils accordent aux valeurs d’entraide et de coopération.

Le développement récent des pédagogies alternatives

Bien que leur nombre soit difficile à mesurer – d’une part, il n’existe pas ni de liste, ni de label permettant d’affirmer que telle école appartient ou non à cette catégorie, d’autre part, des écoles ouvrent – ou ferment – chaque année, voire en cours d’année –, on peut estimer que l’ensemble des classes « différentes » scolarisent entre 30 000 à 70 000 enfants11.

Elles se répartissent en trois catégories :

  • Au sein de l’enseignement public, on compte une soixantaine d’établissements expérimentaux : 27 écoles maternelles et primaires « Freinet », quelques écoles « historiques » comme Decroly12 ou Vitruve13, une dizaine de collèges et lycées expérimentaux, une dizaine d’écoles à « aires ouvertes », ainsi que des structures d’accueil pour décrocheurs.
  • Quelques milliers d’enseignants du public utilisent également ces pédagogies dans leurs classes tout en exerçant dans une école ordinaire : 3 000 d’entre eux sont fédérés dans le mouvement Freinet14 et un nombre croissant de professeurs des écoles revendiquent des pratiques Montessori, surtout en maternelle15.
  • Dans l’enseignement privé, on recense 300 à 400 écoles « alternatives », majoritairement hors contrat. Près de 170 se réclament de la pédagogie Montessori, 25 sont labellisées Steiner-Waldorf et 14 écoles appartiennent au courant des « écoles démocratiques ». Les autres se référent à des pédagogies moins médiatisées (pédagogie Pierre Faure, pédagogie Reggia…) ou se réclament de pratiques hybrides.

Le nombre d’élèves, de classes et d’écoles concernés est donc très faible au regard des 12 millions d’élèves français. C’est bien moins que dans les pays d’Europe du Nord ou les États-Unis : à titre de comparaison, il existe près de 1 000 écoles Montessori en Allemagne.

Cette situation est en train d’évoluer : on observe un intérêt grandissant pour les pédagogies alternatives.

L’essor des nouvelles technologies a favorisé leur diffusion au delà du cercle restreint dans lequel elles étaient cantonnées. Les réseaux de diffusion des connaissances sur Internet, comme Le Printemps de l’éducation16 créé en 2012, la réalisation et la diffusion plus aisées de films17, ont permis aux acteurs qui militent pour des modes de scolarisation nouveaux et/ou alternatifs de se connaître et de se faire connaître. Le développement de formes nouvelles de parentalité dites « positives », dans un souci d’écoute et de respect des enfants, a aussi diffusé l’idée que la « bienveillance éducative » devait tenir une place plus importante dans l’éducation, à la maison comme à l’école. Le développement des « initiatives citoyennes » à l’échelle locale, incitant chacun à « faire sa part » à son niveau, a certainement incité un certain nombre de citoyens, parents et enseignants, à fonder des écoles. Enfin, dans une société où la réalisation de soi et le développement personnel ont une place de plus en plus importante, où l’individu prend le pas sur le collectif, les familles sont demandeuses d’un suivi plus personnalisé de leurs enfants : les pédagogies nouvelles, qui accordent une importance particulière au respect des rythmes individuels et à l’épanouissement de tous les aspects de la personnalité, sont devenues très attrayantes de ce point de vue.

Ce « boom » récent de l’éducation alternative est pourtant limité au développement de deux types de structures : les écoles privées hors contrat, d’une part, et les classes « ordinaires » de l’Éducation nationale, d’autre part. Les écoles, collèges ou lycées de l’Éducation nationale mettant en œuvre des pédagogies différentes à l’échelle d’un établissement sont toujours extrêmement peu nombreux. Comme nous l’avons montré dans une étude longitudinale18, dans l’Éducation nationale, les rares ouvertures d’établissements expérimentaux ont toujours été contrebalancées par des fermetures. Ainsi, les collèges et lycées différents publics étaient au nombre de 9 en 1983, 10 en 1998 et 9 en 2016 ; quant aux écoles primaires Freinet, il en existait 20 en 2001, et 23 en 2013. Seules les structures alternatives pour décrocheurs de plus de seize ans, qui n’existaient pas en 1983, se sont multipliées19.

La politique officielle d’encouragement à l’innovation menée depuis plus d’une dizaine d’années (ainsi, en 2005, l’article 34 de la loi d’orientation pour l’avenir de l’école a permis, au nom de l’autonomie pédagogique, de conduire des expérimentations dans tous les établissements) n’a pas eu d’incidence sur le développement numérique des écoles différentes. Plusieurs structures expérimentales ont certes vu le jour ces dernières années. La politique de décentralisation et la déconcentration, en permettant aux Recteurs d’autoriser ou non les expérimentations, et en investissant les chefs d’établissement des EPLE20 de nouvelles responsabilités, a rendu possible l’ouverture de plusieurs structures expérimentales. Ainsi, la rectrice de Créteil a porté le projet du collège international de Noisy-le-Grand ouvert en septembre 2014 : dans cet établissement, l’évaluation est conduite à l’échelle de l’établissement tout entier, par compétences et sans notes, et le souci de responsabiliser les élèves en évitant les sanctions est très prégnant21. Autre exemple : à Mons-en-Barœul, des « classes Freinet » ont été implantées à partir de septembre 2013 au collège Rabelais. La marge de manœuvre du Principal lui a permis d’autoriser une réorganisation de l’emploi du temps pour intégrer, en plus des cours disciplinaires, des temps de travail individualisé, de projets, d’expression et de participation à la vie de la classe22. Mais les projets de ces nouveaux établissements expérimentaux sont moins radicaux que ceux des établissements « différents » existant jusqu’à présent. Ils ne remettent en cause ni leur fonctionnement hiérarchique, ni leur fonction première (préparer aux examens, acquérir des savoirs scolaires) : ils « ne peuvent être appelés “alternatifs”, n’ont pas de revendication politique spécifique et se sont mis en place au cœur du système scolaire et non dans sa marge », écrit Éric de Saint-Denis23. En outre, si ces structures ont pu ouvrir, d’autres ont dû mettre fin à leur existence dans le même temps : c’est le cas du collège expérimental public Anne Franck du Mans. Ce projet très novateur fondé sur le remplacement des classes de 6e, 5e, 4e et 3e par des groupes de besoin et de niveau, variables selon les disciplines et adaptables de façon très souple aux besoins de chaque collégien, a été arrêté contre le souhait de la majorité de l’équipe enseignante. Par ailleurs, de nombreuses équipes, porteuses de projets d’expérimentations à l’échelle d’un établissement public, ne parviennent pas à obtenir ces ouvertures24.

On peut se demander si la multiplication des échelons intermédiaires décisionnaires n’a pas multiplié les risques de blocage et limité la possibilité d’ouvrir des établissements différents.

Depuis que les académies s’emparent des propositions ministérielles tout en développant des approches diversifiées, s’« ajoute une seconde strate d’injonctions » qui peut être défavorable à certaines initiatives, écrivent Condette, Reuter et Szajda-Boulanger25. En « balisant » l’espace dévolu aux expérimentations, l’article 34 de la loi Fillon de 2005 a aussi aggravé le sort des établissements les plus éloignés de la norme, estiment certains auteurs26.

Les écoles existantes, quant à elles, se disent fréquemment aux prises avec des tracasseries administratives et des tentatives de « normalisation » de leurs différences » : remise en cause de l’existence d’une équipe d’enseignants volontaires ou de l’absence de hiérarchie, demandes de mise aux normes…

Au delà, cette situation tient aussi au fait que les pédagogies nouvelles souffrent, en France, d’une représentation défavorable27.

Une partie de l’opinion les assimile aux « écoles parallèles » issues de mai 68, imaginant qu’elles n’offrent à leurs élèves ni les repères, ni les connaissances dont ils auraient besoin.

En raison de la faiblesse de la recherche en éducation en France et de son peu d’audience, les travaux universitaires étudiant ces pédagogies sont généralement ignorés du grand public. Les enseignants connaissent peu ces pédagogies qui leur sont rarement présentées durant leur formation. Nombreux sont donc ceux qui doutent de leur efficacité et préfèrent le maintien de routines professionnelles qui présentent l’avantage d’être familières à tous, enseignants, parents, élèves. L’opinion publique semble attachée à des représentations nostalgiques de l’école républicaine et en particulier au mythe d’une égalité qui consisterait à offrir à tous la même pédagogie et le même enseignement, alors même qu’on sait aujourd’hui que ce fonctionnement contribue à approfondir les inégalités entre les élèves. Enfin, les décideurs et les hommes (et femmes) politiques sont majoritairement d’anciens bon élèves : ils sont donc moins enclins à remettre en cause un système qui leur a permis de réussir.

*

*        *

Le constat est double : d’une part, les écoles fondées sur les pédagogies nouvelles ont fait la preuve de leur efficacité ; d’autre part, elles se développent aujourd’hui dans l’enseignement privé hors contrat alors qu’elles sont toujours bien peu nombreuses dans l’enseignement public.

Dans le contexte actuel de consumérisme scolaire, le risque existe alors de voir, au moins dans certains quartiers des grandes villes, se développer des écoles privées à « pédagogie nouvelle » favorisant la créativité, l’épanouissement, les apprentissages précoces mais aussi l’entre-soi d’enfants issus de familles pouvant assumer des frais de scolarité élevés. Or rien ne justifie que les apports démontrés des pédagogies nouvelles en termes de bien-être et d’efficacité des apprentissages, soient réservés à des groupes sociaux disposant déjà de ressources culturelles et financières importantes. À l’inverse, il nous semble que favoriser l’ouverture d’écoles publiques s’inspirant également des pédagogies nouvelles permettrait de faire vivre une école de la République capable d’éduquer ensemble tous les élèves, quelles que soient leurs singularités et leurs origines et de développer les valeurs de coopération et de solidarité.

Dans une société menacée par la pression des individualismes, les questions pédagogiques sont aussi des questions politiques.

Marie-Anne Hugon                                                           
Professeure émérite en Sciences de l’Éducation, Centre de recherche en éducation et en formation (CREF)                      
Équipe « crise, école, terrains sensibles », Université Paris-Nanterre 

et

Marie-Laure Viaud        
Maître de conférences en Sciences de l’Éducation, Équipe RECIFES, Université d’Artois

———-

  1.  Il s’agit d’une estimation : donner un chiffre est toujours délicat. Le ministère de l’Éducation nationale indique que dans l’ensemble des établissements privés hors contrat, indépendamment de leur pédagogie, près de 14 000 enfants de primaire étaient scolarisés en 2005, contre 28 000 en 2016, soit un doublement des effectifs en une dizaine d’années : https://www.education.gouv.fr/cid103081/garantir-le-droit-a-l-education-pour-tous-les-enfants ; htmlhttps://www.senat.fr/rap/l97-504/l97-5040.html ↩
  2.  Voir le site que nous animons : recherchespedagogiesdifferentes.com ↩
  3.  « La pédagogie Montessori en France : le sens d’un succès », entretien de Philippe Meirieu avec Enrico Bottero (https://www.meirieu.com) ; Philippe Meirieu, La riposte, éditions Autrement, 2018. ↩
  4.  Marie-Anne Hugon et Marie-Laure Viaud (dir.), Les établissements scolaires « différents » et la recherche en éducation. Problèmes méthodologiques et épistémologiques, Arras, Artois Presses université, 2016. ↩
  5.  Pour les collèges et lycées « différents », les travaux sont moins nombreux et plus nuancés. Il semble que les acquis scolaires des élèves sont, à ce niveau, moins dépendants des choix pédagogiques de l’équipe. ↩
  6.  Yves Reuter (dir.), Une école Freinet. Fonctionnements et effets d’une pédagogie alternative en milieu populaire, Paris, L’Harmattan, 2007. ↩
  7.  Pour toutes ces citations, cf. Yves Reuter, op. cit. ↩
  8.  Rebecca Shankland, Pédagogies nouvelles et compétences psychosociales, Paris, L’Harmattan, 2009. ↩
  9.  Rebecca Shankland, op. cit. ↩
  10.  Par exemple : – Pierric Bergeron, Anciens-nes élèves du lycée pilote innovant de Jaunay-Clan trajectoires et constructions identitaires, thèse de sciences de l’éducation, Université de Paris-Nanterre, 2013. – Isabelle Pawlotsky, Le devenir des anciens élèves de l’école La Source, thèse de sciences de l’éducation, Université de Paris-Nanterre, 2015. – Henri Peyronie, « Quelles traces de leur scolarité chez d’anciens élèves de classes Freinet ? », in Henri Peyronie (dir.), Freinet 70 ans après. Une pédagogie du travail et de la dédicace ?, Caen, Presses Universitaires de Caen, 1998. ↩
  11.  La fourchette basse correspond à 400 écoles comptant chacune 50 élèves, et la fourchette haute à 500 établissements de 100 élèves (ces écoles comptent souvent un nombre réduit d’élèves) ; chiffres auquel on peut ajouter les élèves dans les classes Freinet ou Montessori des écoles ordinaires.  ↩
  12. https://www.decroly.fr/ ↩
  13. https://associationvitruve.blogspot.com/ ↩
  14. www.icem.org ↩
  15. https://www.celinealvarez.org/carte ↩
  16. https://printemps-education.org ↩
  17.  Par exemple : Une journée dans la classe de Sophie (Claire Lebrun, 2016) ; C’est d’apprendre qui est sacré (Delphine Pinson, 2016) ; École en Vie (Mathilde Syre, 2016) ; Alphabet (Erwin Wagenhofer, 2015) ; Être et devenir (Clara Bellar, 2012). ↩
  18.  Marie-Laure Viaud, « Le développement des écoles et pédagogies différentes en France depuis le début des années 2000 : état des lieux et perspectives », revue en ligne Spécificités, n° 11, 2017. Les paragraphes qui suivent reprennent les données de cet article.  ↩
  19.  Marie-Anne Hugon, Philippe Goéme, Philippe Taburet, Le décrochage scolaire, des pistes pédagogiques pour agir, Paris, CRDP, 2012. ↩
  20.  EPLE : établissement public local d’enseignement. ↩
  21.  Collège international de Noisy-Le-Grand : fiche technique n° 5-A.  ↩
  22.  Visite de terrain, printemps 2015.  ↩
  23.  Éric de Saint-Denis, « Les structures scolaires alternatives, toujours à la marge de l’institution ? » Revue en ligne Spécificités, n° 11, 2016. ↩
  24.  Voir par exemple sur le site de la Fédération des établissements secondaires publics innovants (FESPI) : https://www.fespi.fr ↩
  25.  Sylvie Condette, Yves Reuter et Liliane Szajda-Boulanger, Les expérimentations « article 34 de la loi de 2005 » : Bilan et discussions d’une recherche sur des pratiques scolaires « innovantes ». Les sciences de l’Éducation pour l’ère nouvelle, vol 46, n° 3, 2013, p. 13-39. ↩
  26.  Éric Demougin, « Le cas du collège expérimental Anne Frank. Une aventure arrêtée », revue en ligne Spécificités, n° 11, 2017. ↩
  27.  Marie-Anne Hugon et Marie-Laure Viaud, « L’éducation nouvelle et l’enseignement secondaire français : de rencontres improbables en rendez-vous manqués », Informations sociales, n° 116, 2004, p. 114-124. ↩

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