Il semblerait que les cartes soient légèrement rebattues au sein du camp de la droite de gouvernement pour la plus grande excitation des instituts de sondages et des professionnels de la prédiction politique dans les médias hexagonaux, au fil d’une actualité recentrée autour de la campagne d’ores et déjà entamée en vue de la présidentielle d’avril prochain où le choix sera en définitive soit de tourner réellement la page soit de poursuivre encore cinq ans le malentendu actuel, le faux-semblant du « en même temps » qui ne répond plus à la gravité de la situation… En attendant des propositions de programmes plus construites que les esquisses actuelles des uns ou les promesses électoralistes démagogiques des autres, ceux qui ne sont rien apprécient à leur juste valeur les échanges musclés au mieux, haineux au pire, entre candidats déclarés ou non et les petites phrases glanées au fil des annonces, propices à polémique comme la dernière en date, l’assertion selon laquelle la France serait un pays qui travaille moins que les autres, peu conciliable avec les efforts fournis dans d’innombrables secteurs d’activité comme celui de la santé pour lutter contre la pandémie notamment. Difficile dans un tel contexte de prendre de la hauteur, de se mobiliser et de se projeter dans un futur encourageant pour une vaste majorité de Françaises et de Français confrontés à des problèmes bien concrets de pouvoir d’achat ou d’insécurité, en ne retenant que deux des grands thèmes avec le débat récurrent sur l’immigration qui reviennent en boucle et composent la trame de la sonate d’octobre 2021…
Il reste heureusement des occasions de porter son regard au delà de cette ligne d’horizon bouchée et de s’évader un peu, et comme souvent dans notre pays qui demeure malgré tout attaché à sa grande histoire et résiste aux assauts de ceux qui veulent la déconstruire, les commémorations fournissent ample matière à réflexion dans une atmosphère automnale propre au retour sur un passé qui doit se prendre comme un tout, avec ses zones d’ombre et de lumière, oscillant entre ténèbres, clairs obscurs ou plein soleil.
La célébration du quarantième anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France en octobre, mois qui s’est souvent avéré fertile en révolutions et journées insurrectionnelles, illustre assez bien la difficile conciliation entre les idéaux les plus nobles et les luttes pour imposer un changement de société – le plus souvent l’acte de violence par lequel une classe en renverse une autre… -.
Digne représentant du siècle des Lumières, Voltaire a prôné cette abolition au profit de l’esclavage « perpétuel » en guise de peine de substitution pour les condamnés à mort et on retiendra que Robespierre dans les premiers temps de l’Assemblée constituante, quand il était encore dans le camp dit des démocrates, réclamait lui aussi la suppression de la peine de mort en même temps que celle de l’esclavage. L’instigateur de la Terreur plus tard se faisait en même temps l’avocat du droit de vote pour les gens de couleur, les Juifs et les comédiens, autre temps, autre vocable pour l’énumération d’une revendication de la fin du XVIIIe siècle qui nous permet de mesurer le long chemin parcouru en France afin d’y instaurer une société plus juste. Et pourtant, c’est ce même Robespierre qui donnera l’occasion à Chateaubriand d’écrire que le premier crime de la Révolution fut la mort de Louis XVI mais le plus affreux fut la mort de la Reine…
Le 16 octobre 1793, à midi et quart, aux termes d’un long calvaire entamé le 10 août 1792 au donjon du Temple avec la famille royale, puis seule dans sa cellule de la Conciergerie, et d’un procès bâclé en toute hâte où aucune preuve de l ‘accusation de haute trahison ne fut jamais apportée, Marie-Antoinette, dernière Souveraine d’Ancien Régime était guillotinée, la Terreur s’étant installée depuis septembre de l’année précédente avec son cortège de massacres, balayant toute référence aux idéaux et souhaits du siècle des Lumières, notablement l’abolition de la peine de mort… Mais qui mieux que Napoléon a résumé ce paradoxe ?
« …Une femme qui n’avait rien que des honneurs sans pouvoir, une princesse étrangère, le plus sacré des otages, la traîner d’un trône à l’échafaud, à travers tous les genres d’outrages, il y a là quelque chose de pis encore que le régicide… ». Des chatoyants et flatteurs portraits de Louise-Elisabeth Vigee-Lebrun au terrible croquis de Jacques Louis David où la Souveraine toute de blanc vêtue – le deuil des Reines – les mains liées dans le dos, est assise en sens inverse de la marche de la charrette qui la conduit au supplice et à la mort place de la Révolution (Notre Concorde actuelle), on mesure combien le temps des épreuves a pu conférer à cette victime expiatoire la grandeur qui transparaît dans sa lettre testament avant tout maternelle, rédigée à quatre heures du matin le 16 octobre 1793, destinée à ses enfants et à sa belle-soeur, jamais remise à Louis XVII, Marie-Thérèse de France et Madame Élisabeth, mais miraculeusement retrouvée en 1816 pour passer à la postérité et témoigner à quel point l’histoire convenue (politiquement correcte !) a pu charrier une image injuste et déformée de cette femme née un 2 novembre au lendemain du tremblement de terre de Lisbonne en 1755, funeste auspice pour un destin hors norme… Alors qu’elle était gravement malade et épuisée par des hémorragies qui lui laissaient vraisemblablement peu de temps à vivre, la raison d’Etat (ou la folie de Robespierre) imposait ce crime aux maîtres des horloges de l’heure.
De l’écrin glorieux de Versailles et du petit Trianon à la fosse commune de la Madeleine, Marie-Antoinette de Habsbourg Lorraine, dernière Reine de France, a gagné sa rédemption, le pardon des erreurs qu’on a pu lui attribuer et sa place dans la légende universelle, mais il n’est pas totalement insensé en ces temps de commémoration automnale, à l’approche bientôt de la Toussaint d’éprouver une sorte de remords et de se prendre à rêver pour elle et toutes les victimes de la grande Révolution d’une abolition de la peine de mort par ceux qui se prétendaient avocats et héritiers des Lumières, pères de la Déclaration des droits de l’Homme, au début de ce qui se voulait l’avènement de l’ère illusoire – on l’a vu depuis… – de tous les bonheurs et de la réparation de toutes les injustices…
Eric Cerf Mayer