Depuis quelques années, la “transition énergétique” est devenue un mot valise et apolitique utilisé par des acteurs disparates. La transition énergétique, après le développement durable, l’économie verte, circulaire ou collaborative, est souvent présentée comme la solution magique à tous nos problèmes. Plus le mot se banalise sous l’effet des discussions technicistes, plus il se dépolitise et se vide de son concept originel.
Ceux qui emploient cette expression ne lui donnent pas la même signification, que ce soit en termes d’objectifs, de moyens ou de conséquences. Le plus souvent, sa perception se réduit au financement de la rénovation thermique, à l’isolation des bâtiments et au développement des énergies renouvelables. En vidant de son sens le concept de transition, la langue de bois technocratique a brouillé les enjeux de ce qui devrait être le grand récit de ce passage à la troisième révolution industrielle.
La transition énergétique n’est pas un concept neutre, mais doit être envisagée comme une question politique et sociale à part entière. C’est à cette condition qu’elle pourra déboucher sur un débat public et des solutions qui ne seront pas, une fois de plus, des pansements sur une jambe de bois. Les acteurs de cette transition sont en grande partie d’accord avec ce constat. Ils ont rédigé plusieurs appels dans ce sens, avant 2012, puis en janvier et juin 2014. “Notre pays a dramatiquement besoin d’emplois, de solidarité, de justice sociale, écrivent-ils, il a aussi besoin de réduire les dépenses inutiles. La transition énergétique, dont les contours ont été dessinés à l’issue d’un débat qui a mobilisé tous les acteurs concernés et des milliers de citoyens, peut être une réponse à ces enjeux. Elle permettra aussi à notre société de sortir par le haut de la conjonction de crises, sociale, économique et écologique, qui paralyse notre pays.” Ce faisant, les acteurs de la transition – entreprises, éco-industries, syndicats, associations, collectivités locales, personnes ressources – souhaitent “une loi de programmation à la hauteur des enjeux, et (qui) mette en œuvre cette transition sans tarder !”. Pour autant, ces acteurs sont en butte à des lobbies qui ne désarment pas. Liés aux entreprises du pétrole et du nucléaire, ces derniers sont présents jusqu’au sein du gouvernement, comme l’avait justement noté Delphine Batho, la seconde ministre de l’Écologie du gouvernement Ayrault limogée en juillet 2013, pour avoir mis en cause leur intervention dans le débat sur la transition énergétique. La ministre accusait clairement le gouvernement d’avoir cédé à “certaines forces économiques qui n’acceptaient pas le niveau d’ambition que [je] fixais pour la transition énergétique”. “Ces forces ne se sont pas cachées de vouloir ma tête, mais si le gouvernement avait été solidaire, elles n’y seraient pas parvenues”. C’est ce jeu contradictoire d’acteurs qui explique largement l’enlisement de la loi sur la transition énergétique depuis 2012 et, plus généralement, le retard pris par la France dans ce domaine.
Ce poids des lobbies avait également condamné le processus législatif issu du Grenelle de l’environnement, en réduisant comme une peau de chagrin les acquis de cette Conférence qui avait pourtant inauguré un processus unique dans le monde : la coproduction d’une politique publique de l’énergie entre l’État et les acteurs de la société. Si nous voulons cette fois réussir la transition, il faut empêcher que le débat public soit étouffé dans l’œuf par les lobbies. D’autant que les grandes manœuvres ne font que commencer. Après la clôture du débat public et le projet de loi de Ségolène Royal, publié en juillet 2014, le Parlement est devenu le lieu essentiel de l’affrontement entre le mouvement pour la transition et les lobbies ; des alliances contre nature risquent d’être passées, par exemple entre les partisans du nucléaire de droite comme de gauche. Politiser le débat en faisant apparaître les vrais clivages, au-delà des hymnes à la “transition énergétique”, est donc essentiel pour débusquer les intentions de ces lobbies et les contraindre à afficher leurs véritables objectifs.
Avant d’examiner quels sont les enjeux proprement politiques de cette transition, il est utile de comprendre dans quelles conditions elle est apparue. La transition énergétique est un concept né en Allemagne et en Autriche, sept ans avant la notion de “développement durable” (sustainable development) apparue avec la publication du rapport Brundtland par la “Commission mondiale sur l’environnement et le développement” de l’Organisation des Nations unies.
“Transition” était le titre d’un ensemble de prévisions et de propositions scientifiques, élaboré en 1980 par l’association allemande Öko-Institut, dans l’optique d’un abandon de la dépendance au pétrole et à l’atome. Ce contenu est alors publié sous la forme d’un livre blanc. C’est lors du “Congrès sur la transition énergétique, le retrait du nucléaire et la protection de l’environnement”, organisé par le ministère de l’Environnement allemand à Berlin, que l’expression sera officiellement poussée sur le devant de la scène. La notion de transition écologique va vite prendre son envol, car elle correspond à un triple débat de fond qui agite les enceintes internationales, mais aussi les ONG écologistes :
- la lutte contre le changement climatique et les négociations climat, qui sont devenues une affaire importante dans les années 2000 ;
- la baisse de l’approvisionnement en pétrole puis en gaz, implique une transition entre deux mondes ;
- les accidents de Tchernobyl et de Fukushima interrogent sur l’avenir du nucléaire et son remplacement par un autre cocktail énergétique.
Dès son origine il n’y a ni accord sur les objectifs ni sur les moyens à employer entre les différents acteurs. La transition énergétique apparaît, en creux, comme le triangle des Bermudes de l’incapacité des sociétés et des États à prendre des décisions pérennes face à la crise écologique et climatique annoncée par tous les chercheurs. La notion floue de transition permet en réalité de masquer des divergences sur l’avenir de notre civilisation, entre les court-termistes, qui considèrent qu’il ne faut fondamentalement rien changer au mode de développement et ceux qui jugent si grave la crise climatique et écologique qu’elle ne permet plus d’attendre plus longtemps l’arme au pied. Pour ces derniers, dont je fais partie, la transition énergétique est nécessaire et urgente. Les dommages humains et environnementaux des dérèglements climatiques s’amplifient en fréquence et en intensité. L’urgence est donc de mettre en perspective la transition, de lui redonner son sens originel, à la manière de Jeremy Rifkin qui théorise le passage entre deux mondes : celui de la révolution industrielle passée et celui du monde à venir, la troisième révolution industrielle. “Comme les deux précédentes, elle va changer radicalement tous les aspects de notre façon de travailler et de vivre. L’organisation verticale de la société, typique d’une si large part de la vie économique, sociale et politique des révolutions industrielles fondées sur l’énergie fossile, est en train de céder à des relations distribuées et coopératives dans l’ère industrielle verte émergente”1. La transition devient alors une vision émancipatrice de l’avenir du monde, et ne peut plus se résumer à un “camembert” nous présentant un mix énergétique où l’on a remplacé 10 % de nucléaire par de l’éolien et du solaire.
Trois éléments structurent le débat politique et – en définitive – toute la loi sur la transition énergétique :
La démocratisation de l’approvisionnement en énergie
Dans le modèle énergétique traditionnel, le marché est contrôlé par quelques grands groupes disposant de vastes centrales, aboutissant ainsi à une situation d’oligopole discutable sur les plans politique et concurrentiel. En France, la culture centraliste de l’État a renforcé ces oligopoles. Les filières nucléaire et pétrolière sont des États dans l’État disposant d’un pouvoir démesuré. Au contraire, les systèmes fondés sur les énergies renouvelables peuvent en général être déployés de manière décentralisée. À travers des modèles participatifs, tels que les parcs éoliens et les parcs solaires citoyens, les habitants peuvent être directement impliqués dans la production d’énergie. Le modèle du nucléaire, organisé autour d’un État dans l’État, devient obsolète. La contestation de la centralisation étatique implique la mobilisation de la société par en bas. Tel Tim Jackson, (“la prospérité sans croissance”) certains auteurs pensent que la transition ne viendra pas des États, mais des communautés locales qui devront prendre leurs responsabilités et évoluer vers des “Communautés locales bas-carbone”. Les installations photovoltaïques et d’autres alternatives peuvent impliquer des citoyens et des particuliers ainsi que des collectivités (exemple : bâtiments municipaux, de l’État, d’entreprises publiques, etc…) plus facilement que dans le modèle conventionnel, qui profite plutôt aux actionnaires.
L’idée du “débat citoyen sur la transition énergétique” trouve également son origine en Angleterre, avec la naissance du mouvement des “Initiatives de Transition”, créé en 2006 par Rob Hopkins, dont l’objectif visait à mobiliser la communauté afin de faire face à la pénurie des ressources énergétiques et aux impacts des changements climatiques. Aujourd’hui, plus de 400 villes à travers le monde participent à ce mouvement qui prône une transition énergétique par en bas, à travers des milliers d’initiatives concrètes des communautés locales, réalisées au sein de son village, de sa ville, de son quartier, pour construire dès maintenant des sociétés écologiques et résilientes, capables de s’adapter à la fin du pétrole et aux changements climatiques.
La décentralisation des énergies renouvelables peut aussi valoriser des régions et l’espace rural, tout en améliorant la balance commerciale grâce à la diminution des importations d’énergies. Ces énergies jouent un rôle croissant dans les stratégies énergétiques communales et leur développement est soutenu par les collectivités locales, notamment via les SRCAE (Schéma régional climat-air-énergie) et les plans climat en France.
La question de la justice sociale
Le contexte dans lequel s’inscrit la transition énergétique – celui d’une crise écologique – questionne aussi nos principes de justice sociale. Mais, derrière un quasi consensus sur la nécessité d’une telle transition, demeure l’idée que, face à l’urgence immédiate de l’emploi et du remboursement des dettes, il vaudrait mieux profiter de “l’aubaine” des gaz de schiste, attendre d’en savoir plus sur les risques climatiques et travailler à ce que le nucléaire devienne une technologie intrinsèquement sûre. Dans un contexte de crise économique et financière, les gouvernements hésitent à imposer des charges supplémentaires sur des ménages et des entreprises déjà fragilisés. Ce constat vaut à la fois pour les pays “développés” et pour les pays “émergents”, qui redoutent de voir freiner leur sortie de la pauvreté.
D’une part, les enjeux énergétiques mettent en relief des inégalités existantes au sein des pays (en termes de mobilité, de logement…) comme entre pays – certains consommant aux dépens d’autres qui en subissent les conséquences – et entre générations présentes et futures.
D’autre part, les politiques envisagées dans un but de financement, de maîtrise ou de réduction de la demande d’énergie, ont des impacts sociaux qui, sans une attention accrue, risquent d’exacerber des inégalités déjà présentes ou de créer de nouvelles poches de pauvreté.
Comment articuler – en théorie et en pratique – la lutte contre les inégalités et l’impératif de transition énergétique ? Comment ne pas aggraver la facture énergétique pour les classes populaires ? La transition énergétique a pour premier objectif de protéger les classes populaires à travers le monde, car elles seront les premières impactées par le changement climatique et les conséquences de la fin des énergies carbonées. Il s’agit de protéger pour muter et de muter pour protéger. Les classes populaires sont l’enjeu de la transition écologique. Si elles se méfient de cette dernière, rien ne sera possible. C’est pourquoi, la lutte contre la précarité énergétique doit être une priorité. Mais celle-ci ne peut se réduire à un graphique représentant l’évolution de l’isolation thermique des bâtiments et la relance du BTP. La lutte contre la précarité correspond à un renforcement du pouvoir d’achat et donc du revenu des classes populaires, qu’il faut protéger dans une période de crise économique et sociale aiguë. L’explosion de la précarité énergétique résulte d’une augmentation de la pauvreté, d’un parc de logements non performant et d’une hausse inéluctable du coût des énergies. Lutter efficacement contre cette forme de précarité implique d’intervenir de manière coordonnée sur les logements et le budget des ménages. La France compte près de quatre millions de “logements passoires” dans lesquels vivent surtout des ménages modestes. Propriétaires ou locataires, les personnes qui subissent de telles conditions de logement sont prises au piège de dépenses contraintes beaucoup trop lourdes pour elles : loyer, énergie, eau… Elles représentent 50 % du budget des ménages pauvres et modestes (source : Insee – budget de famille, 2006). Autre donnée, le coût du chauffage dans les charges de copropriété a augmenté de 11,5 %, entre 2011 et 2012. C’est le poste qui a connu la plus forte augmentation. Qu’y a-t-il dans les articles du projet de loi actuel sur la transition énergétique pour soutenir spécifiquement ces familles ? Rien ou presque.
Croissance verte ou prospérité durable ?
La transition énergétique est présentée, notamment par Ségolène Royal, comme l’expression de la croissance verte. En voulant résumer la transition à la croissance, ce paradigme empêche de réfléchir sur le modèle de développement que nous souhaitons. Si la course à la croissance est la seule référence ultime, l’accent risque d’être mis non pas sur les efforts liés à la diminution de notre consommation d’énergie mais à la seule évolution de la production quantitative. Si nous ne réfléchissons pas au modèle de société dans lequel nous voulons vivre, au mode d’urbanisme, d’alimentation, de transport, qui doit être le nôtre dans cinquante ou cent ans, nous passerons à côté de la transition. Car elle suppose une nouvelle organisation de l’économie, une relocalisation des activités, un autre rapport à la gestion du temps, un nouveau mode de consommation et d’échanges. Dans un monde où la vitesse de circulation des marchandises et des biens est l’un des facteurs de l’accélération de la mondialisation, la transition énergétique propose un chemin différent.
Cette transition énergétique indispensable ne peut donc se faire que si nous engageons parallèlement la transformation écologique de l’économie. Cette conversion passe par trois éléments structurants :
- La relocalisation des activités et des industries : la course au profit a incité nombre d’entreprises multinationales ou françaises à délocaliser la partie productive de leur activité pour abaisser les coûts, notamment les salaires. Avec la crise, ce dogme est devenu insupportable. Nous devons réindustrialiser notre pays, notamment en nous appuyant sur les technologies vertes pour créer des centaines de milliers d’emplois durables et non délocalisables. La relocalisation doit redonner la priorité aux productions locales, soutenir le tissu économique des TPE, des PME, qui fondent une économie locale durable résistant aux chocs de la mondialisation.
- La reconversion de branches industrielles : la crise écologique va impacter l’économie, en substituant d’autres produits à ceux que nous avons connus durant les Trente Glorieuses. Des secteurs entiers, comme l’armement, l’automobile ou le BTP, devront s’adapter ou mourir. L’enjeu de la formation professionnelle adaptée, de la planification écologique des territoires, notamment à partir des régions, sera considérable.
- Un réaménagement du territoire, qui permette de développer le télé-travail, d’installer des PME dans des endroits en voie de désertification avancée, grâce à des infrastructures innovantes. De ce point de vue, l’absence de référence dans la loi sur la transition énergétique à la lutte contre l’étalement urbain est inquiétante. Elle démontre une impuissance de l’État à prendre en compte l’emprise urbaine sur les terres agricoles, la relégation des populations dans les zones péri-rurales où elles deviennent de plus en plus dépendantes de l’automobile.
Il aura fallu six années à la France pour sensibiliser ses citoyens à la problématique de la transition énergétique, par le biais d’un “débat national” lancé à la suite du Grenelle de l’environnement. Le “débat national sur la transition énergétique (à horizon 2025/2050)” s’est organisé de façon décentralisée, en région, mais il a été brouillé par une logorrhée techniciste et réduit à une bataille de chiffres, qui a empêché, de fait, la population de s’emparer de cette question. Il était pourtant possible de travailler autrement, en prenant comme base de départ le scénario du “Manifeste Negawatt”, proposé par l’association du même nom. Il n’en a rien été.
Au moment où s’achève la discussion du projet de loi, présenté par Ségolène Royal, les lobbies ont remporté la première manche sur trois points déterminants.
- La fiscalité écologique est la grande absente de la loi. Il faut s’interroger sur cette disparition car, avec Ségolène Royal, elle a pris une dimension idéologique. La ministre de l’Écologie nous explique qu’elle refuse l’écologie “punitive” au nom de l’écologie “positive”. Ce discours assimile donc toutes les formes de fiscalité à une punition. Est ce la là tradition de la gauche ? L’impôt sert au contraire à réparer des injustices, à rééquilibrer la balance des inégalités en faveur des plus défavorisés, à favoriser de nouveaux investissements, à appliquer des principes de redistribution, comme celui du pollueur/payeur. Quand il est bien redistribué, l’impôt n’est pas punitif. Cette banalité de base a été remplacée par une vulgate néo-libérale qui réduit l’impôt à une taxe qu’un État prédateur collecterait sur le dos des contribuables. Cette pensée populiste empêche toute réflexion sur le financement. Or, l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) a estimé les besoins de financement de la transition écologique à 30 milliards d’euros. Il manque 20 milliards à ce jour. Ils pourraient être trouvés selon un mécanisme de transfert à prélèvement constant qui ne pénaliserait pas les plus défavorisés ou ceux qui, situés dans des zones rurales ou périphériques, ne peuvent pas se déplacer. Ségolène Royal tient le même discours sur l’écotaxe, qu’elle a détricoté au point de la faire quasiment disparaître. À ce compte, les politiques publiques ne seront ni punitives ni positives. Elles n’existeront plus que sur le papier pour justifier des effets d’annonce sans lendemain. La fiscalité écologique disparaît dans la loi mais réaffirme le soutien à l’industrie pétrolière, au détriment des énergies renouvelables qu’elle prétendait développer.
- La seconde grande absente du projet de loi est la politique des transports, qui représente pourtant 32 % de la consommation énergétique finale. Le transport collectif est à peine mentionné comme l’un des leviers de la transition. Quant aux lobbies du pétrole, ils ont pesé de tout leur poids pour passer sous silence la dédiélisation du parc automobile, qui est aussi une question de santé publique majeure, tout comme l’abaissement des limitations de vitesses.
- Le troisième chaînon manquant du projet de loi est bien entendu le nucléaire. Outre que le Premier ministre en a réaffirmé le caractère d’avenir, rien ne garantit pour le moment la promesse de fermer la centrale de Fessenheim avant la fin de la mandature. Si la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité est actée dans le nouveau projet de loi, les moyens pour atteindre cet objectif sont différés, avec une planification soumise à la volonté d’EDF. Le projet aborde la question de la capacité nucléaire du parc, qui sera plafonnée à son niveau actuel (93,2 gigawatts), ce qui implique des fermetures de réacteurs pour compenser l’entrée en service de l’EPR de Flamanville en 2016. Quant aux moyens et à la date avancée, rien n’est affiché. L’engagement de fermer Fessenheim avant le 31 décembre 2016 ne sera pas tenu. Plus que le souci de l’avenir des salariés – informés du projet de fermeture depuis 2012 par le candidat Hollande –, la fermeture de Fessenheim doit faire face à un détail de calendrier : le délai nécessaire pour le processus de fermeture d’un réacteur atomique, à savoir le moment où EDF déciderait de monter son dossier et le décret d’arrêt définitif, est de cinq ans et, selon l’Autorité de sûreté nucléaire. il n’est pas compressible. Ensuite seulement, le démantèlement de la centrale pourrait débuter. Si l’affichage de limiter à 50 % en 2025 la part du nucléaire dans la production électrique est maintenu, rien ne permet de comprendre comment cet objectif pourra réellement être atteint alors qu’est réaffirmée la mise en service de l’EPR de Flamanville dont le coût ne cesse pourtant de grandir. Et pour faire bonne mesure, au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, on nous annonce la création de sept millions de bornes de recharges électriques. Outre le coût démesuré d’une telle mesure, à quoi servira-t-elle d’autre qu’à alimenter la consommation du nucléaire et donc aller à l’encontre des objectifs proclamés ?
La valse-hésitation autour des articles sur l’enfouissement des déchets radioactifs en profondeur (projet Cigeo), est une démonstration supplémentaire de ce tropisme bien français qui empêche le gouvernement de rejoindre la dynamique européenne de sortie du nucléaire engagée par l’Allemagne.
Enfin, rien n’est prévu dans le texte de loi afin de sécuriser les financements nécessaires pour faire face au démantèlement des centrales nucléaires. Le rapport de la Cour des comptes de 2012 et le tout récent rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les coûts de la filière du nucléaire, ont montré que les provisions pour les charges futures du démantèlement étaient insuffisantes, opaques, volatiles et peu diversifiées. De même, aucun élément tangible n’a été délivré sur un changement de gouvernance de l’énergie nucléaire en France.
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Le choix d’un modèle énergétique n’est pas neutre : il est une composante essentielle de la paix et de la solidarité. Il s’agit aujourd’hui, pour la société comme pour l’État et les décideurs, de passer de la parole aux actes. Puisque le texte de loi se résume à une augmentation de l’investissement dans les énergies renouvelables et au soutien à la filière industrielle du bâtiment et travaux publics, en ne s’attaquant ni au lobby du nucléaire, ni à celui des énergies fossiles, nous sommes loin du compte. Les conférences environnementales, les innombrables discours sur le développement durable et la transition, mots valises et magiques, n’apparaîtront que pour ce qu’ils sont : du vent ou, pour parler à la manière de Ségolène, de la “ventitude”.
Le bras de fer continue entre le libéral-productivisme au pouvoir et les partisans de la rupture avec ce modèle énergétique qui a atteint ses limites. Entre les milliards d’euros nécessaires à la baisse de la consommation d’énergie et à l’investissement dans les énergies renouvelables et l’augmentation sans fin des coûts de la filière nucléaire, l’État a déjà choisi, nous semble-t-il, de capituler devant les lobbies et d’acter un nouveau recul stratégique en matière énergétique.
Les leurres qu’il nous brandit à travers les articles du projet de loi ne doivent pas faire illusion. Nous approchons du moment de vérité, que l’on peut d’ores et déjà dater. Comme l’a dit Nicolas Hulot, le report à nouveau des promesses, à la veille de la COP21 à Paris, serait le renoncement de trop. Hélas, j’ai bien peur qu’il ait raison. Pire, j’ai le sentiment que la loi votée avec plus d’un an de retard au printemps 2015, n’a été pensée qu’en fonction de cette échéance. Le monde regardera la France. Elle devra afficher la conformité des objectifs annoncés dans la loi avec la volonté de faire de notre pays l’un des États les plus engagés dans la transition écologique. Le résultat politico médiatique sera peut-être obtenu au forceps, mais la réalité en sera-t-elle impactée ? On peut en douter.
Noël Mamère, député de la Gironde
Photo : Marie-Lan Nguyen/Wikimedia Commons
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(1) La troisième révolution industrielle, Jeremy Rifkin, Les Liens qui libèrent (LLL), 2012.
- La troisième révolution industrielle, Jeremy Rifkin, Les Liens qui libèrent (LLL), 2012. ↩