A l’heure où l’on se presse d’oublier le score microscopique réalisé par le candidat écologiste à l’élection présidentielle – pourtant prévisible lorsqu’on examinait attentivement les pseudos « victoires » obtenues aux élections municipales de 2020 – voilà que la question de l’indépendance énergétique combinée à la protection de l’environnement est appelée à occuper le devant de la scène politique.
Après tout, comme les dispositions à prendre pour permettre à la France de remplir ses obligations en la matière relèvent exclusivement de décisions parlementaires, il est assez normal que le débat s’ouvre en même temps que la campagne pour les prochaines élections législatives. Or, deux rapports officiels ont été publiés depuis le début de l’année, qui pourront utilement alimenter une réflexion politique bien faible dans ce domaine. L’un vise à favoriser l’acceptabilité des infrastructures énergétiques1, l’autre propose des mesures concrètes en vue de rétablir la confiance des français dans la vie démocratique2. À l’évidence, le délabrement dans lequel se trouve le pays à l’issue de cette fastidieuse et navrante campagne présidentielle crée les conditions favorables pour que l’on prenne en compte ces doctes recommandations.
Peu de sujets permettent aux français de s’entendre à propos de l’énergie et de l’écologie, sinon ce constat a minima, sorte de « plus petit dénominateur commun », à savoir que nous devons impérativement accroître notre indépendance énergétique tout en évitant de dégrader le climat.
Ensuite, les avis divergent tellement quant aux solutions que l’on assiste de plus en plus souvent, à des confrontations inquiétantes entre tenants et opposants de telle ou telle mesure ; le temps n’est plus éloigné où ces affrontements risquent de prendre des allures de conflits directs aux conséquences dommageables pour tout le monde et les a priori et autres approximations à partir desquelles les arguments sont opposés, ne concourent pas à apaiser le climat.
Le thème de la multiplication des éoliennes, maintenant hautes de 240 mètres, ardemment défendu par des urbains qui consomment beaucoup d’électricité sans risquer de voir de tels engins pousser sous leurs fenêtres, en est l’un des principaux ; surtout quand les mêmes thuriféraires se gardent bien d’expliquer comment le recours généralisé à ce type d’engins industriels, qui ne produisent de l’électricité en moyenne en France que 26 % du temps, suffirait à répondre à nos besoins sans avoir recours, en plus, à l’énergie d’origine nucléaire – dont l’uranium provient du Niger et d’ailleurs- ou carbonée – avec d’autres inconvénients en terme de fourniture et de consommation de charbon ou de gaz-… Le refus réitéré tant par les autorités nationales que locales, de même que par les entreprises soit disant soucieuses du bien être de la nature et donc des hommes, d’envisager toutes les autres solutions possibles – notamment l’hydroélectricité – ne milite pas non plus pour permettre un échange d’arguments fructueux et apaisé.
Ne serait-ce qu’évoquer le potentiel hydroélectrique inutilisé suscite, au mieux des sourires entendus, au pire la réfutation totale de cette solution qui serait nuisible aux poissons de nos cours d’eau. Or, pour s’en tenir à ce dernier argument, non démontré, il est évident qu’en admettant qu’un risque pèse sur la population actuelle de ces animaux du fait de l’utilisation généralisée des moulins d’eau, c’est bien parce que leurs ancêtres ont survécu à plusieurs siècles de fonctionnement de ces installations ! Citons seulement quelques exemples parmi des centaines d’autres :
– Le site de la vallée de la Boutonne, au sud des Deux-Sèvres, constitue un site Natura 2000 de plus de 7 000 hectares, dans lequel existaient jadis, plus de 90 moulins.
– En Bretagne, l’Aven et ses affluents, comptaient 44 sites de moulins.
– Haut lieu de l’anarcho-syndicalisme au détour des XIXè et XXè siècles, on a vu les ouvriers des anciennes forges d’Hennebont protester, notamment, parce qu’on leur servait trop souvent du saumon à la cantine, alors que les turbines de l’usine tournaient à plein régime sur le Blavet. On trouve les mêmes revendications en bien d’autres lieux en France.
– À la fin du XIXe siècle dans le Lot-et-Garonne, les Ponts et chaussées avaient recensé 534 moulins à eau implantés sur 115 rivières – dont 90 % transformaient le blé en farine -.
– Pour le seul département d’Indre-et-Loire les archives attestent la présence de 798 moulins à eau en 1800 et de 52 moulins à vent ; et le service de l’inventaire du patrimoine de la région Centre-Val de Loire met opportunément à disposition de tous les établissements scolaires, un très riche dossier pédagogique afin de faire participer les élèves au recensement le plus exhaustif possible des moulins à eau et à vent ayant existé ou étant encore en activité.
Bref, il est temps de mettre un peu de raison dans tout cela et, donc, de créer les conditions favorables pour aborder plus sereinement le défi que nous avons tous à relever, ensemble.
Or, comme Patrick Bernasconi l’a noté « les modifications législatives successives du régime de la participation du public en matière d’environnement ont conduit à un édifice complexe de procédures pour la réalisation des projets soumis à évaluation environnementale, qui sont mal appropriées par les maîtres d’ouvrage, les services instructeurs et le public, ce qui en retour appauvrit la concertation, et rend fragiles les projets. » En effet, les règles applicables en ces matières sont éparpillées dans la Charte constitutionnelle de l’environnement, les codes de l’énergie, de l’environnement, de l’urbanisme et, bien entendu, les codes civil, du domaine de l’État, du domaine public fluvial, ou des collectivités territoriales. Pour sa part, le CESE signale aussi que « Le code de l’environnement est complexe quant au contenu des dossiers de demande d’autorisation et de participation du public.3 » Le constat est rapide et grave : l’état et la pratique du droit ne permettent pas à la population et à ses représentants légaux d’agir en toute connaissance de cause, dans la sérénité nécessaire. C’est pourquoi la mission dirigée par P. Bernasconi énonce des « propositions (qui)4 visent donc à organiser le « tournant délibératif » » de la démocratie française, condition essentielle du rétablissement de la confiance des citoyens vis-à-vis de la représentation nationale » et d’ajouter qu’il s’agit « de consacrer un principe général d’association du public aux décisions des collectivités les plus importantes et leurs groupements présentant de « forts enjeux socio-économiques ou ayant des impacts significatifs sur la vie des habitants ou le fonctionnement des services publics dont elles ont la charge » (passer d’une logique de l’instance à une logique du projet).»
Ce principe général d’association du public vient d’ailleurs d’être consacré par le Conseil d’État dans un arrêt du 15 novembre 20215, dans lequel il a reconnu qu’ « aux termes de l’article 6 de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement : Lorsqu’un processus décisionnel touchant l’environnement est engagé, le public concerné est informé comme il convient, de manière efficace et en temps voulu, par un avis au public ou individuellement, selon le cas, au début du processus » mais aussi et surtout que « Pour les différentes étapes de la procédure de participation du public, il est prévu des délais raisonnables laissant assez de temps pour informer le public conformément au paragraphe ci-dessus et pour que le public se prépare et participe effectivement aux travaux tout au long du processus décisionnel en matière d’environnement. Chaque Partie prend des dispositions pour que la participation du public commence au début de la procédure, c’est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence », pour conclure et affirmer solennellement que « Ces stipulations doivent être regardées comme produisant des effets directs dans l’ordre juridique interne. » De plus, dans un second arrêt6 encore plus récent, la haute assemblée confirme qu’un projet d’implantation d’éoliennes n’est régulier « que si, (…), il n’existe pas d’autre solution satisfaisante ». En écho à ces importantes décisions, « Pour le CESE, l’acceptabilité fait appel à une dynamique sociale qui dépasse les points de vue individuels, dans la recherche de l’intérêt collectif, autour de valeurs partagées. Elle commence à se forger lors de la concertation en amont du projet, quand reste possible une négociation sur sa légitimité, son appropriation et ses modalités, y compris ne pas réaliser le projet. » Au principe de la participation ainsi posé, combiné au constat précédent de la confusion du droit applicable, s’ajoute le fait que, selon le CESE, « La gouvernance de la transition énergétique ne prévoit pas de réelle coordination des différents niveaux territoriaux (État, régions, intercommunalités), ni la territorialisation des objectifs nationaux fixés par la PPE et la SNBC, comme souligné par le CESE à plusieurs reprises. »
Risque grandissant de conflits au détriment de l’intérêt général, confusion des textes, insuffisance de la participation de la population, coordination défaillante entre les différentes personnes publiques concernées, ce n’est pas dans une telle situation que le pays pourra prendre les meilleures décisions en matière d’indépendance énergétique et de protection de l’environnement.
Or, citons encore une fois le CESE dont l’une des préconisations consisterait à « favoriser le développement des concertations locales volontaires climat-énergie, avec une attention particulière aux impacts sur le paysage et la biodiversité, en anticipation des projets, associant les élues et élus, la population et les parties prenantes. Organisées au niveau des intercommunalités, de regroupements d’intercommunalités ou de départements, elles serviront à dessiner la contribution du territoire au développement des énergies renouvelables (…) ».
Concrètement, ne serait-il pas temps de prendre le problème à bras le corps en souhaitant que le Parlement, notamment la future Assemblée nationale, s’en saisisse une bonne fois pour toutes ? Comment ? Justement, France stratégie vient de publier un rapport7 dont l’un des principaux constats est que « Nous avons besoin d’un nouveau contrat qui mobilise et engage tout le corps social autour de la réorientation de notre modèle de développement entre croissance verte et sobriété, et la recherche de nouvelles articulations entre l’action individuelle et l’action collective. Mais comment l’élaborer dans un contexte de grande défiance démocratique ? » En évitant plusieurs écueils poursuivent les auteurs, à savoir que « L’impératif écologique, l’étroitesse perçue ou réelle des chemins possibles pour y faire face, font par ailleurs souvent craindre – ou parfois revendiquer – l’inéluctabilité de mesures de restriction des libertés et de contrôle social, voire de dérives autoritaires. Ce fantasme d’une « dictature verte » est susceptible de se traduire politiquement par des formes de radicalisation stérilisantes pour le débat public sur les soutenabilités. » On ne peut être que d’accord et, notamment, pour regretter que « le manque de cohérence et d’articulation globale entre eux et entre les différentes politiques sectorielles qui y contribuent, ainsi que le manque d’anticipation sur les moyens d’y parvenir, empêchent de fait trop souvent de les réaliser. » Seulement, les propositions des rapporteurs se cantonnent à un discours contemporain convenu, s’écartant résolument du champ des moyens légaux et réglementaires élémentaires, alors qu’ils se sont pourtant posé la bonne question : « Anticiper, diagnostiquer, prolonger : quels outils pour construire une vision stratégique de long terme ? ».
Puisque, selon le jargon à la mode, l’action publique « doit s’inscrire dans un récit collectif partagé », ayons le courage d’aller plus loin, conformément aux objectifs visés et au cadre légal affirmé par le Conseil d’État. Instituons donc des futurs Plans locaux de l’environnement et de l’énergie dans lesquels l’ensemble des préoccupations en question seraient étudiées et des solutions envisagées et arrêtées.
Au lieu de dispositions dispersées dans le maquis actuel des textes, on évoquerait dans ces PLEE tous les enjeux, à un niveau territorial tel que la population participerait réellement au débat et serait plus prompte à en accepter les conclusions.
Il ne s’agirait pas forcément d’ajouter aux règles en vigueur, mais plutôt d’en clarifier l’appréhension, d’en coordonner l’application, d’en rendre l’utilisation plus proche des citoyens ; le tout dans une langue débarrassée des tics de langage technocratique qui polluent tant les textes officiels depuis ces dernières décennies ; y compris le récent rapport de France stratégie dans lequel on se demande « Comment rénover la fabrique de l’action publique pour faire face à ces défis croisés ? Comment construire le référentiel d’une d’action publique soutenable, à même de préserver les capacités des générations futures sans sacrifier les besoins du présent ? » Nul doute que n’importe quel citoyen se sentira concerné par des interrogations ainsi formulées…
Quand les règles sont mauvaises parce qu’elles ne permettent pas d’atteindre les objectifs visés, on les change. Or, il paraît8 que le nouveau Gouvernement serait chargé d’y procéder afin, certes, que la phase de concertation du public soit renforcée en amont mais qu’ensuite, tout aille plus vite. L’objectif, avec cette loi, serait de pouvoir déroger à certaines règles administratives parfois fastidieuses – prétendent ses promoteurs qui parlent d’une nouvelle « loi d’exception » – qui amènent des projets, comme dans l’énergie éolienne, à prendre plus de dix ans avant de voir le jour.
Si le temps est venu d’agir plus efficacement pour garantir notre indépendance énergétique et la protection de notre environnement, ce n’est justement pas au prix de la réduction des moyens de droit propres à assurer la cohésion de la société, bien au contraire.
Hugues Clepkens
Patrick Chauvin, Docteur en droit, Avocat au Barreau de Paris
- CESE, rapport « Acceptabilité des nouvelles infrastructures de transition énergétique : transition subie, transition choisie ? », mars 2022. ↩
- Rapport au Premier ministre : « Rétablir la confiance des français dans la vie démocratique », Patrick Bernasconi, ancien président du Conseil économique, social et environnemental, février 2022. ↩
- CESE, rapport « Acceptabilité des nouvelles infrastructures de transition énergétique : transition subie, transition choisie ? », mars 2022. ↩
- Rapport au Premier ministre : « Rétablir la confiance des français dans la vie démocratique », Patrick Bernasconi, ancien président du Conseil économique, social et environnemental. Février 2022. ↩
- Conseil d’État, n° 434742, 15 novembre 2021. ↩
- Conseil d’État, n° 439784, 10 mars 2022. ↩
- Soutenabilités ! Orchestrer et planifier l’action publique, France stratégie, mai 2022. ↩
- Les Échos, 13 mai 2022. ↩