Après plusieurs jours de mobilisation, le président algérien Adbelaziz Bouteflika a annoncé, dans un communiqué hier en fin de journée, le retrait de sa candidature à un cinquième mandat et le report sine die de l’élection présidentielle du 18 avril. La date du scrutin sera fixée par une « conférence nationale ». La Revue Politique et Parlementaire a recueilli la réaction de Naoufel Brahimi El-Mili, spécialiste du Maghreb.
Arnaud Benedetti – Comment interprétez-vous le retrait de la candidature du président sortant ?
Naoufel Brahimi El-Mili – Il s’agit d’une ruse, une manœuvre qui fait fi de la volonté de la rue de changer le système. En effet, sous la pression de la rue, le président renonce au cinquième mandat mais il se maintient au pouvoir pour une période non déterminée. Or, la Constitution ne prévoit le report des élections qu’en cas de guerre (article 102), ce qui est loin d’être le cas et qui montre que cette même Constitution n’est pour le pouvoir qu’une variable d’ajustement.
Le président s’accroche au pouvoir mais surtout les pouvoirs (oligarques, clientèles politiques…) s’accrochent à lui.
Arnaud Benedetti – La France a t-elle joué un rôle ?
Naoufel Brahimi El-Mili – La déclaration officielle de la France qui salue la décision du président de renoncer à un cinquième mandat est un soutien au pouvoir car elle reste silencieuse sur le viol de la Constitution. Faut-il rappeler qu’en 1992 quand le processus électoral (le premier tour des législatives avait donné une large majorité au parti islamiste FIS) le président François Mitterrand et toute la classe politique française avait condamné cette décision ? A l’époque il s’agissait malgré la menace islamiste de défendre un principe qui semble être oublié au profit d’un statu-quo voire un immobilisme.
Arnaud Benedetti – Le renoncement du président Bouteflika de briguer un cinquième mandat est-il la conséquence de la mobilisation ?
Naoufel Brahimi El-Mili – La rue algérienne n’est pas vraiment défaite mais elle n’a pas encore gagné tant que le pouvoir se maintient en place. Pourtant le vendredi 8 mars plus de dix millions d’Algériens ont manifesté, soit plus de la moitié du corps électoral, un véritable référendum en grandeur nature qui dit : dégage !
Cependant ces millions de contestataires ne sont pas soutenus par l’étranger et encore moins par la France qui au mieux est attentiste et au pire complice.
Arnaud Benedetti – Faut-il voir dans ce retrait une défaite du pouvoir ou une tentative pour celui-ci de gagner du temps ?
Naoufel Brahimi El-Mili – Le retour du président après un long séjour helvétique a galvanisé ses troupes qui se sentent derechef soutenu par l’Elysée. Une sorte d’opération « résurrection » semble se mettre en place, un peu comme celle qui a permit au général De Gaule de revenir au pouvoir en 1958. Le pouvoir agonisant veut en effet se ressusciter et défendre l’essentiel de ses intérêts en espérant diviser les Algériens soit par des effets d’annonce : une conférence nationale dont la conclusion serait un « je vous ai compris » ; soit par la menace ou encore des manœuvres pour diviser les Algériens.
Toutefois la donne a complètement changé, plus rien ne sera comme avant et seule la poursuite d’une mobilisation de plus en plus massive permet d’éviter le scénario de l’immobilisme ou d’autres pires encore…
Arnaud Benedetti – Quel scénario vous semble le plus probable désormais ?
Naoufel Brahimi El-Mili – Basées sur d’importantes composantes de la société civile, relayées par des associations trans-classes déjà existantes, les élites algériennes dans le pays et à l’étranger s’organisent non seulement pour assurer une mobilisation mais surtout pour offrir une alternative représentative donc crédible. Un exemple parmi plusieurs, l’Observatoire Citoyen Algérien propose depuis des années des solutions aux problèmes tant sociétaux que de gouvernance. Un scénario optimiste sera issu à partir d’initiatives semblables.
Naoufel Brahimi El-Mili
Docteur en sciences politiques, professeur à Sciences-Po
Spécialiste du Maghreb