Insensiblement se développe une conception désincarnée de l’universalisme favorisant la promotion d’un être abstrait auquel chacun devrait se conformer hic et nunc par-delà les attaches concrètes qui le définissent tout autant.
Cet universalisme serait annonciateur d’un monde nouveau rassemblant des humains indifférenciés et, soit dit en passant, désoccidentalisés.
C’est à ce prix que le projet de citoyenneté universelle retrouverait paradoxalement quelque crédit.
On peut s’étonner de la subversion insidieuse dont le courant des Lumières fait ainsi l’objet. La déclaration des droits de l’homme n’avait pas pour intention d’annoncer l’avènement d’un robot interchangeable privé de tout enracinement. Elle cherchait plutôt à énoncer des principes permettant, quelles que soient les cultures et les civilisations, de garantir l’épanouissement d’une vie en humanité partagée et autour desquels les personnes de bonne volonté devaient être capables de se rassembler. Au nom de quoi ? Au nom d’un respect de l’autre interdisant de porter atteinte à sa dignité, respect que dicte une éthique, issue d’une longue sécularisation des enseignements contenus dans les Ecritures et qui parle au cœur de tout être humain. Au passage, ce respect partout et toujours de la dignité humaine devait donner corps à cette unité du genre humain au nom de laquelle une fraternité sans frontière, qui ne soit plus une chimère, pourrait enfin se répandre.
Cela étant, de la condamnation à mort par la torture qui sévissait en France au XVIIIème siècle au fait d’administrer encore aujourd’hui çà et là des coups de fouet quand on refuse de porter un voile ou parce qu’on danse dans la rue, le poison de l’inhumanité n’en a pas fini de déverser son venin, prouvant que le respect de la dignité humaine demeure un combat d’actualité à l’échelle des sociétés.
Ce combat dont les droits de l’homme sont porteurs conduit à bousculer les cultures et les traditions de tous ordres et permet à l’universalisme de progresser au gré d’un lent travail de civilisation que les peuples accomplissent de manière souvent chaotique au fil de leur histoire.
Ainsi se mettent peu à peu en place les conditions de possibilité d’un recul lent et patient de toutes les formes de barbarie. Là est l’enjeu principal.
Pour autant, cette évolution ne saurait être comprise comme le prélude à l’avènement d’une société universelle uniforme débarrassée enfin de toutes les identités singulières qui la composeraient et dont la diversité des couleurs de peau, des conditions, des cultures et des régimes sont les marqueurs principaux.
Une telle perspective ne constitue en aucune manière un horizon souhaitable ou inévitable pour une humanité qui a vocation à demeurer heureusement morcelée.
L’universalisme porté par les droits de l’homme enjoint en effet à faire affleurer des droits que les philosophies de l’histoire ont trop longtemps reniés. Si leur émergence est, il est vrai, indissociable de conditions historiques qui diffèrent d’un pays à l’autre, ce serait néanmoins un contresens d’en faire la traduction d’une théorie sans fin de l’émancipation dont le principe n’est pas contestable mais dont la systématicité porte en soi le risque de désagréger la notion même d’humanité.
Daniel Keller
Direction de la Retraite Complémentaire et de l’Action Sociale