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dans Economie

Pourquoi il faut non pas moins mais plus de mondialisation

Matthieu CresonParMatthieu Creson
26 mai 2020
Pourquoi il faut non pas moins mais plus de mondialisation

Pour Matthieu Creson, Enseignant, chercheur, la crise du Covid-19 devrait être une occasion pour élargir la mondialisation. Il nous explique pourquoi.

Depuis le début de la crise du Covid-19, nous lisons dans la presse et entendons sur les chaînes d’information télévisées que la mondialisation libérale serait le grand coupable à incriminer. Cette crise nous démontrerait le caractère fondamentalement nocif de la mondialisation, laquelle subordonnerait par essence notre santé à la « dictature du profit » et l’ « idéologie ultralibérale ». Cette interprétation des événements est-elle bien justifiée ? L’appel lancé par une foule de politiques – de gauche comme de droite -, d’écologistes et d’économistes antimondialistes à la « démondialisation » ne risque-t-il pas, s’il est suivi d’effet, de ruiner ce qui a pourtant été l’un des moteurs de la croissance économique survenue dans les pays riches comme dans les pays appartenant à ce qu’on appelait autrefois le tiers monde, depuis plus d’un demi-siècle ? Pis : ne risquons-nous pas de payer plus tard le recul de la mondialisation et le repli des pays sur eux-mêmes en cas de nouvelle crise planétaire – qu’elle soit sanitaire ou autre ?

La mondialisation : un désastre « néolibéral » arrivé au bout de sa logique ?

Dans un entretien au Point (9 avril 2020), Francis Fukuyama s’en prend à la mondialisation actuelle qu’il associe au « néolibéralisme », et dont il croit pouvoir constater les limites. Dès avant la crise du Covid-19, cette mondialisation aurait donné des signes d’essoufflement, si bien que la crise sanitaire viendrait seulement hâter sa remise en cause, déjà engagée depuis plusieurs années. Ainsi Francis Fukuyama déclare-t-il : « Je crois qu’aujourd’hui nous voyons la queue de la comète de ce néolibéralisme, qu’il est même déjà mort et que nous allons en revenir à un libéralisme tel qu’il existait dans les années 50 et 60, où l’économie de marché et le respect de la propriété privée cohabitaient avec un État efficace qui intervenait pour réduire les inégalités sociales et économiques. » Ce que révèlerait la crise sanitaire, ajoute-t-il, c’est « le besoin d’un Etat fort ». Déjà, on ne comprend pas pourquoi il est toujours question de « néo »-libéralisme.

Par « néolibéralisme », on se réfère généralement aux années 80, à l’ère de Reagan et Thatcher, marquée par les privatisations, les déréglementations et un plus grand essor du libre-échange.

Or Reagan et Thatcher ont simplement appliqué les idées libérales, en revenant aux principes d’un libéralisme défendu au XXe siècle par un Ludwig von Mises et un Friedrich Hayek. Remarquons que bien souvent, l’emploi du préfixe « néo » accolé au nom « libéralisme » sert en fait à discréditer ce dernier. Doit-on donc aussi parler, pour caractériser les années 2010, d’un certain « néo-étatisme », prétendument justifié pour corriger les méfaits supposés du marché et de la mondialisation ?

Cette parenthèse sémantique étant refermée, que penser de ces affirmations de Francis Fukuyama ? On perçoit chez lui cette idée (qui est en fait largement répandue) selon laquelle nous subirions actuellement les contrecoups de la « révolution conservatrice » des années 80, et dont les années 90 et 2000 auraient constitué le prolongement, sinon idéologiquement, du moins dans la pratique. Or l’attaque systématique de la mondialisation est fondamentalement biaisée dès lors qu’elle occulte l’examen de ses éventuels bienfaits – et les bienfaits de la mondialisation sont réels, ainsi qu’il en ressort de maints ouvrages et articles parus depuis une quarantaine d’années. D’autre part, ce n’est pas parce que la mondialisation pose de nouveaux problèmes, ou qu’elle rend des problèmes anciens encore plus aigus, que l’on doit s’employer à y mettre fin. Et il est illusoire de croire que les problèmes posés par la mondialisation seront résolus par un retour à davantage d’État : s’il est une leçon, peut-être, à retenir de l’histoire du capitalisme libéral, c’est que c’est le capitalisme libéral lui-même qui tend à résoudre les problèmes nouveaux qu’il suscite, et ce bien mieux et bien plus efficacement que l’État ne sait le faire.

Les entrepreneurs, les innovateurs, les acteurs de la société civile tendent en effet à imaginer des solutions aux problèmes qui se posent par une créativité que la bureaucratie étatique n’a que trop tendance à étouffer.

Ce qui ne signifie pas, bien sûr, que l’État n’a pas son rôle à jouer dans une crise comme celle du Covid-19. L’État devrait déjà jouer un rôle que l’essayiste libéral Johan Norberg a qualifié à fort juste titre, en cette période de crise sanitaire, d’hippocratique : Primum non nocere, « déjà ne pas nuire »1. C’est là, comme le souligne Johan Norberg, le fondement de toute la stratégie suédoise pour faire face au Covid-19, et il n’est pas sûr du tout que cette stratégie se révèle pire que celle du confinement aveugle mise en œuvre par des pays comme la France. L’histoire tranchera. Ensuite, nous confondons toujours, lorsque nous vantons les prétendus mérites d’un « État fort », l’étendue de l’État avec l’efficacité réelle de son action. Cessons enfin de croire qu’il y a forcément une corrélation entre la place que l’État occupe dans la société et la capacité de celui-ci à prendre de bonnes décisions et à agir adéquatement et rapidement. Dans les pays où l’État reste encore trop présent dans des secteurs qui ne devraient pas être de son ressort, l’État est à la fois envahissant et inefficace : c’est en limitant la sphère d’intervention de l’État, c’est en continuant à libérer la société civile du carcan étatique encore trop contraignant, que l’État sera ainsi pleinement en mesure de remplir son rôle avec efficacité, car il interviendra alors dans sa sphère de compétence et de légitimité.

Certes, Francis Fukuyama appelle à rester mesuré. La « démondialisation » qui risque d’avoir lieu sera d’ordre quantitatif plus que qualitatif, dans le sens où la crise du Covid-19 ne va pas pour autant saper les bases de la mondialisation en tant que telle. Si c’était le cas, concède-t-il dans le même entretien au Point, « le monde régresserait à son niveau de développement d’il y a cinquante ans, ce qui n’est pas envisageable. » Ce qu’il faut en revanche impérativement faire selon lui, c’est « modifier l’équilibre entre libéralisme, protection sociale et intervention étatique ». Par où l’on voit que Francis Fukuyama plébiscite ici un retour à un modèle qui semble étonnamment correspondre au « modèle social » français, et dont nous continuons en France à nous gargariser avec toujours la même autosatisfaction. Un « modèle » que le monde entier, dit-on, nous envierait unanimement, mais qui est aussi à l’origine de maints blocages dans notre société qui nous ont jusqu’à présent empêchés, par exemple, de mener à bien des réformes économiques et fiscales pourtant nécessaires, et que bien des pays en Europe ont quant à eux réussi à adopter.

Nous voyons ici l’une des idées qui a refait surface dernièrement en France, et dans les pays occidentaux plus généralement, à l’occasion de la pandémie : l’idée que les événements auraient amplement donné la démonstration des limites et de la prétendue faillite du « néolibéralisme » et de la mondialisation, constat que l’on avait déjà cru pouvoir établir il y a plus de dix ans lors de la crise financière mondiale de 2008. C’est du reste le vieux rêve des antimondialistes qui est toujours à l’œuvre : à chaque fois qu’une crise mondiale se produit, ils en imputent la responsabilité au capitalisme libéral mondialisé, dont ils croient percevoir les signes d’un fiasco aussi imminent qu’irréversible. Hélas pour eux, ce capitalisme mondialisé finit toujours par se rétablir, infligeant ainsi toujours le même démenti à ceux qui prédisaient pourtant sa chute finale. La crise du Covid-19 ne dérogera certainement pas à cette règle.

Si Francis Fukuyama n’abdique pas complètement le sens des réalités lorsqu’il tient les propos que nous venons de rapporter, tel ne semble pas être toujours le cas de certains économistes anti- ou altermondialistes dont le fond de commerce en tant qu’éditorialistes consiste largement à vociférer contre la mondialisation libérale. Ainsi, plusieurs mois avant que la crise sanitaire n’apparaisse, l’économiste et prix Nobel d’économie en 2001 Joseph Stiglitz déclare sans ambages que le néolibéralisme « ne fonctionne pas ». Et il va même plus loin : « après des décennies de stagnation, voire de baisse des revenus inférieurs », soutient-il, « la mort et la mise en bière du néolibéralisme doivent être actées »2. Décidément, encore et toujours cette même obsession à vouloir voir dans l’histoire économique récente les preuves d’une mort hypothétique du capitalisme libéral… alors que celui-ci s’obstine toujours à renaître là où ne donnait pas cher de sa peau ! Joseph Stiglitz est prix Nobel d’économie, si bien que cette distinction lui confère une aura dans ses prises de position publiques. Or, comme le disait Guy Sorman à propos d’un autre économiste, Paul Krugman[3 https://www.city-journal.org/html/paul-krugman%E2%80%99s-follies-9721.html], lui aussi prix Nobel d’économie, les articles écrits par ce dernier n’ont pas forcément de rapport direct avec le contenu des recherches qui lui a valu le prix Nobel. Il faudrait donc voir – ce que le présent article n’a pas pour objet de faire – si la même remarque à propos de Paul Krugman pourrait aussi s’appliquer à quelqu’un comme Joseph Stiglitz.

Quoi qu’il en soit, les familles d’idées politiques qui, selon Joseph Stiglitz, demeurent après cette « mort du néolibéralisme » seraient aujourd’hui au nombre de trois : le nationalisme d’extrême-droite, le réformisme de centre-gauche (qu’il qualifie de « néolibéralisme à visage humain », et qui constitue selon lui une tentative, encore nettement trop dominée à son goût par les idées néolibérales, pour actualiser les politiques naguère poursuivies par un Tony Blair ou un Bill Clinton), enfin – la seule famille qui compte vraiment pour Stiglitz -, la « gauche progressiste ». La gauche progressiste, que Stiglitz nomme aussi « capitalisme progressiste », serait ainsi la seule famille de pensée politique visant réellement à « restaurer l’équilibre entre les marchés, l’État et la société civile »3. Évidemment, il reprend le cliché qu’on entend partout, selon lequel « les pouvoirs publics ont le devoir de limiter et d’orienter les marchés en régulant leur impact sur l’environnement et la santé ». Ce qui sous-entend donc cet autre cliché que le marché et la mondialisation auraient par définition tendance à nuire foncièrement à l’environnement et à la santé. Dans son ouvrage Why Globalization works (New York et Londres, Yale University Press, 2004), Martin Wolf rappelle que, dans l’histoire, ce sont les pays libéraux qui ont été les moins irrespectueux de l’environnement, contrairement à des pays comme feu l’URSS, laquelle, entre autres exemples de désastres écologiques dont elle avait le secret, avait provoqué l’assèchement de la mer d’Aral dans les années 60 en détournant deux de ses affluents pour assurer l’irrigation intensive de champs de coton4… Mais aujourd’hui, comme le bloc soviétique n’existe plus, nous avons l’impression que toute pollution, toute catastrophe écologique est intrinsèquement liée au seul capitalisme mondialisé. Greta Thunberg étant née en 2003, soit plus de dix ans après la disparition de l’Union soviétique, elle a ainsi toujours grandi dans l’illusion que les problèmes écologiques ont pour unique origine la mondialisation libérale.

Dans son Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste (Paris, Plon, 2003), Johan Norberg s’était déjà employé à réfuter les vieilles ritournelles concernant la mondialisation comme facteur systématique d’aggravation de la pollution dans le monde. Au rebours d’une légende tenace, il constatait en effet que « partout dans le monde, le progrès économique se manifeste en parallèle avec l’intensification de la protection environnementale »5. Ce qui se comprend aisément : comme le précise encore le même auteur, « la lutte pour atténuer la misère et la faim passe avant la conservation de la nature. C’est seulement lorsque notre niveau de vie augmente que nous commençons à accorder de l’importance à l’environnement et aux moyens de l’améliorer »6.

Ainsi, les pays en développement ont-ils initialement tendance à se préoccuper avant toute chose de devenir plus riches ; et c’est seulement une fois qu’ils avancent suffisamment le long de cette voie qu’ils peuvent commencer à se montrer plus soucieux du respect de l’environnement.

C’est donc en quelque sorte l’application de la pyramide de Maslow aux pays en cours de développement. La conclusion que nous devrions donc tirer de cela est que si nous sommes vraiment sincères dans l’expression de nos inquiétudes en matière d’environnement, il faut alors encourager le développement des pays moins avancés et non vouloir le retarder ! Ce qui implique, par conséquent, un accroissement de la mondialisation, et non son recul, lequel serait désastreux pour les pays en développement, dont l’économie dépend très largement des investissements directs étrangers (IDE).

L’appel à l’émergence d’un « nouveau monde » : ne  retombons pas dans les erreurs du passé

L’anti-/altermondialisme ne date pas d’hier, mais il a été ravivé à l’occasion de la crise du Covid-19. On trouve par exemple certaines critiques adressées à la mondialisation dans le manifeste pour l’après Covid-19 de Nicolas Hulot, paru dans Le Monde du 7 mai 2020 : « Quand l’Europe signe un accord de libre-échange avec le Mexique ou le Vietnam, la cohérence n’est pas encore là », déclare-t-il ainsi. Et Nicolas Hulot d’ajouter : « Sans tomber dans le piège des nationalistes et des protectionnistes, il faut trouver cette troisième voie entre l’autarcie et le néolibéralisme » – encore lui. Ah le vieux rêve de la « troisième voie » !

Déjà très répandue dans les années 90 et 2000, la passion antilibérale et antimondialiste s’est en fait encore intensifiée dès après la crise de 2008 et tout au long des années 2010, avec le retour des populismes, du souverainisme et du protectionnisme.

L’un des modes opératoires de cet antimondialisme, c’est la troncature et la falsification des leçons de l’histoire économique du siècle passé, qui devraient pourtant s’imposer à tout un chacun. Ainsi Marine Le Pen a-t-elle déclaré après la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine de novembre 2016 : « Clairement, la victoire de Donald Trump est une pierre supplémentaire dans l’émergence d’un nouveau monde, qui a pour vocation à remplacer un ordre ancien »7.

Donc, selon Marine Le Pen, l’ordre ancien auquel elle fait allusion est l’ordre libéral mondialisé, qu’elle souhaite voir disparaître au profit d’un prétendu nouvel ordre des États-nations, ordre grâce auquel le peuple redeviendrait selon elle maître de sa destinée. Marine Le Pen est-elle consciente de la lecture grossièrement erronée qu’elle fait des leçons pourtant élémentaires de l’histoire économique des derniers trois-quarts de siècle ? Il paraissait en effet suffisamment clair, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, que l’ « ordre ancien » auquel il convenait de mettre un terme était non pas celui de la mondialisation et du libre-échange, mais celui, au contraire, du nationalisme et du protectionnisme. Il y a un siècle, l’Europe sortait exsangue de la Première Guerre mondiale. Or plutôt que de faire son examen de conscience et de s’employer à mettre en œuvre des solutions qui fussent de nature à éviter un nouveau drame du même genre, l’Europe se fragmente. L’Amérique, elle aussi, se replie sur elle-même. Étatisme et nationalismes progressent, au détriment du libéralisme qui peine alors à se faire entendre. Puis surviennent la crise de 1929 et la dépression des années 30, marquée par l’effondrement du commerce mondial, la hausse spectaculaire du chômage et le recul du niveau de vie. Notons d’ailleurs ici au passage qu’il paraît bien difficile d’attribuer la responsabilité la crise de 1929 à la mondialisation libérale, laquelle crise dérivait en fait largement… de politiques monétaires gouvernementales8.

La mondialisation a toujours fonctionné comme un bouc émissaire commode qui nous évite d’avoir à regarder en face l’origine (souvent étatique) des maux dont on la rend indûment responsable.

Puis, en pleine Deuxième Guerre mondiale est signée par l’Angleterre et les États-Unis la Charte de l’Atlantique (1941), laquelle reprend le principe de libération du commerce international. Et Henry Morgenthau, secrétaire d’État au Trésor sous Roosevelt, déclarera dans son discours inaugural à la conférence de Bretton Woods (1er juillet 1944) : « Il faut éviter de recourir aux pratiques pernicieuses du passé telles que la course aux dévaluations, l’élévation des barrières douanières […], le contrôle des changes par lesquels les gouvernements ont essayé vainement de maintenir l’activité économique à l’intérieur de leurs frontières. En définitive, ces procédés ont été des facteurs de dépression économique sinon de guerre »9 (je souligne). Cet attachement renouvelé aux principes du libre-échange s’inscrivait dans le projet rêvé par Roosevelt de bâtir un nouvel ordre mondial qui fût vecteur d’une paix durable, et dont le volet diplomatique était constitué par la « sécurité collective ».

À la fin du Ve siècle avant notre ère, Thucydide avait entrepris dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse d’arracher l’histoire au récit légendaire et au simple témoignage personnel, afin d’atteindre le plus possible à l’exactitude des faits relatés. Et ce non seulement pour éclairer ses contemporains, mais aussi pour le bien des générations futures. « À l’audition », écrit Thucydide, « l’absence de merveilleux dans les faits rapportés paraîtra sans doute en diminuer le charme ; mais si l’on veut voir clair dans les événements passés et dans ceux qui, à l’avenir, en vertu du caractère humain qui est le leur, présenteront des similitudes ou des analogies, alors qu’on les juge utiles, et cela suffira : ils constituent un trésor pour toujours, plutôt qu’une production d’apparat pour un auditoire du moment »10. L’histoire, au sens de Thucydide, était un acquis scientifique doué d’une réelle utilité pour l’avenir. Or à quoi bon l’histoire si c’est pour n’en pas tenir compte autant qu’on le devrait afin de guider au mieux nos choix politiques ? Si nous avions pleinement médité les leçons de l’histoire économique depuis 1945, nous aurions tous bien conscience des méfaits que représenteraient pour nous le retour des replis nationalistes et le renouveau du protectionnisme. Espérons donc que l’histoire ne redevienne pas, notamment chez les populistes et les extrêmes, cette « production d’apparat pour un auditoire du moment » dont parlait Thucydide.

Pourquoi la crise du Covid-19 devrait être une occasion pour élargir la mondialisation

La mondialisation est souvent l’objet d’un mauvais procès. C’est ce que rappelle par exemple Ian Goldin, professeur à Oxford, dans un entretien paru dans L’Express le 30 avril 2020. On ne compte plus les diatribes contre la mondialisation selon lesquelles celle-ci causerait la paupérisation des pays moins avancés. Or comme le souligne Ian Goldin, on doit au contraire porter au crédit de la mondialisation d’avoir engendré la baisse de la pauvreté dans le monde. L’extrême pauvreté touchait en 1990 plus d’un tiers de la population mondiale, alors qu’elle ne concerne aujourd’hui plus que 10 % de cette population, et ce alors même que la terre s’est peuplée entre-temps de 2 milliards d’êtres humains supplémentaires. Qui plus est, on constate une chute de la mortalité infantile de plus de la moitié. Réemployant le mot « progressiste », d’ordinaire utilisé par les partisans d’un modèle davantage social-étatiste que libéral, Ian Goldin soutient que « la mondialisation a été la force la plus progressiste de l’Histoire pour réduire la pauvreté ». C’est également le constat que dresse Johan Norberg, déjà cité, dans un entretien paru dans L’Express du 23 avril 2020. Tous les jours, et ce encore une fois malgré la hausse de la population mondiale, ce sont 140 000 personnes qui sortent de l’extrême-pauvreté. « L’année 2020 », conclut Johan Norberg, « est la meilleure dans l’Histoire pour faire face à une pandémie. Les épidémies ont toujours existé. Pour la première fois, l’humanité a une chance d’en limiter une au maximum. »

Pour revenir à Ian Goldin, celui-ci note aussi à fort juste titre le décalage qui s’est créé ces dernières années entre les systèmes économiques mondiaux qui sont devenus de plus en plus interconnectés d’une part, et, d’autre part, les politiques immobilistes voire rétrogrades poursuivies individuellement par nombre de pays de part et d’autre de l’Atlantique. « Alors que les systèmes sont plus interdépendants », indique-t-il, « les politiques, elles, n’ont pas évolué, voire sont devenues plus fragmentées, à l’image du retrait des États-Unis. »

Cette situation d’interdépendance qui est la nôtre devrait donc nous inciter à mettre en place davantage de coopération, d’échange d’informations et d’entraide entre les pays concernés par les mêmes risques.

« Nous sommes tous interconnectés. Si l’un des maillons de la chaine est défaillant, c’est toute la chaine qui en pâtit. Il faut donc plus de coordination et d’entente11. »

Dans un entretien paru dans Le Monde du 9 mai 2020, le commissaire européen au Commerce et ancien ministre centriste irlandais Phil Hogan abonde dans le même sens. Il est essentiel pour les pays d’Europe, soutient-il, de rester ouverts sur le monde extérieur, et de ne surtout pas se recroqueviller, comme nous y incite actuellement un certain courant populiste. (Courant populiste au sujet duquel on doit bien constater au passage – ô paradoxe ! – qu’il se trouve être, depuis quatre ou cinq ans au moins, de plus en plus « mondialisé ».) Selon Phil Hogan, l’Europe doit donc non seulement maintenir ses accords de libre-échange avec les autres pays, mais elle doit en outre s’efforcer d’en créer de nouveaux. Les raisons sont faciles à comprendre : en Europe, le nombre d’emplois liés à l’export s’élève à 35 millions. Et à l’heure où l’on ne cesse de vitupérer le contrôle grandissant de certaines de nos entreprises par des acteurs économiques étrangers, rappelons aussi que les investissements directs étrangers (IDE) en Europe ont été générateurs de 16 millions d’emplois. À l’horizon 2040, ajoute Phil Hogan, 85 % de la croissance mondiale aura lieu ailleurs qu’en Europe, l’Asie allant continuer de voir sa population croître ainsi que l’extrême pauvreté diminuer. Il semble donc essentiel d’anticiper cette évolution à venir des principaux lieux où se concentreront toujours plus les échanges mondiaux, à travers non pas l’arrêt mais bien plutôt l’élargissement des accords de libre-échange. Ce qui sera d’ailleurs rendu plus nécessaire que jamais à la suite de la pandémie que nous avons connue. « Pour rebondir après la récession que nous traversons, nous aurons plus que jamais besoin du commerce international », précise-t-il.

Dans le cas de la crise du Covid-19 elle-même, c’est justement aussi la mondialisation (n’oublions pas que la mondialisation n’est pas qu’économique ou commerciale, elle est aussi celle de la science et de l’information) qui a permis d’agir en un temps record. Comme le note encore Johan Norberg dans l’entretien paru dans L’Express du 23 avril 2020, ce sont des scientifiques chinois qui ont séquencé le génome du Covid-19, et c’est une entreprise de Berlin qui a pu ensuite produire des tests en février, largement utilisés par la suite. La mondialisation permet donc aussi un retour d’expérience sur le long terme, qui peut se révéler très précieux et même décisif pour juguler une crise comme celle que nous avons connue.

Laissons ici le mot de la fin à Yuval Noah Harari : « L’antidote aux épidémies », déclare-t-il dans un entretien au Point (2 avril 2020), « n’est ni l’isolationnisme, ni la ségrégation, mais l’information et la coopération. Le grand avantage des humains sur les virus est leur capacité à coopérer de façon efficace. […] La Chine peut apprendre aux États-Unis pas mal de choses sur le virus, et sur la manière de le gérer, elle peut envoyer des experts et des équipements pour aider. Malheureusement, le manque de leadership global aujourd’hui fait que nous sommes incapables de tirer tous les avantages d’une telle coopération. » Si donc l’Europe entend peser dans les relations internationales, face à des pays comme les États-Unis ou la Chine, est-on bien sûr que le regain d’antimondialisme qui semble actuellement se dessiner soit la meilleure manière d’y parvenir ? Osons espérer que l’Europe comprenne que tout le monde aurait en fait à gagner à ce que nous vivions dans un monde encore plus ouvert aux échanges entre les pays, qu’ils soient intellectuels, culturels, scientifiques ou économiques.

Matthieu Creson
Enseignant, chercheur (en histoire de l’art), diplômé en lettres, en philosophie et en commerce

  1. https://reason.com/2020/04/17/in-sweden-will-voluntary-self-isolation-work-better-than-state-enforced-lockdowns-in-the-long-run/ ↩
  2. https://www.project-syndicate.org/commentary/after-neoliberalism-progressive-capitalism-by-joseph-e-stiglitz-2019-05/french?barrier=accesspaylog. Traduction en français sur https://www.les-crises.fr/apres-le-neoliberalisme-par-joseph-e-stiglitz/ ↩
  3. ttps://www.project-syndicate.org/commentary/after-neoliberalism-progressive-capitalism-by-joseph-e-stiglitz-2019-05/french?barrier=accesspaylog. Traduction en français sur https://www.les-crises.fr/apres-le-neoliberalisme-par-joseph-e-stiglitz/ ↩
  4. Concernant le caractère souvent très exagéré des griefs qui sont faits aux pays libéraux en matière environnementale, voir par exemple dans le livre de Martin Wolf en question les pages 188 à 194. ↩
  5. Johan Noberg, Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste, Paris, Plon, 2003, p. 198. ↩
  6. Ibid., p. 199. ↩
  7. https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/citations/2016/11/13/25002-20161113ARTFIG00062-marine-le-pen-espere-une-victoire-a-la-donald-trump-en-2017.php ↩
  8. Alain Laurent, La Philosophie libérale, histoire et actualité d’une tradition intellectuelle, Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. 16. ↩
  9. Cité par Régis Bénichi, Histoire de la mondialisation, Paris, Vuibert, 2008, p. 131. ↩
  10. II, 22, 4, (traduction de Jacqueline de Romilly). Voir aussi Jean-Pierre Vernant, Mythe et société en Grèce ancienne, Paris, Maspero, 1974, p. 200-201. ↩
  11. ttps://www.youtube.com/watch?v=VtkPYz9Lm10 ↩

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