Alors que la guerre en Ukraine fait rage, la campagne présidentielle, qui devait être encalminée sous les coups de la Covid, semble finalement devoir le céder aux impératifs juridiques. Devant cette situation, d’aucuns demandent que le scrutin soit reporté.
Juridiquement, le report d’une élection prévisionnelle est très délicat. Le scrutin doit en effet se tenir dans les 20 à 35 jours avant la fin du mandat du président sortant. Constitutionnellement, il paraît donc difficile de tenir un scrutin après le 25 mai. Les conditions conduisant à un tel report sont prévues dans la Constitution et sont liées à l’empêchement d’un candidat. On pourrait, évidemment, avoir une vision extensive du droit et, dès lors que les candidats sont d’accord, le Conseil pourrait jouer les interprètes débonnaires… reste qu’il sortirait alors manifestement de son rôle, car il n’y a aucune ambiguïté qui pourrait permettre d’arguer de circonstances extérieures pour reporter le scrutin.
Par ailleurs, ce report serait limité. Pourquoi ces vingt jours ? Et bien justement, parce qu’il s’agit de pouvoir refaire les opérations électorales avant la fin du mandat présidentiel. En effet, à partir du 13 mai, qu’il pleuve des bombes ou que le vent nous amène un nouveau variant, Emmanuel Macron aura terminé son mandat. Si des élections n’ont pas lieu d’ici là, il ne sera plus président de la République ; il n’y aura plus de président de la République. On pourrait alors imaginer que Gérard Larcher assurerait l’intérim au titre d’une lecture somme toute tirée par les cheveux de l’article 7 de la Constitution. Les élections devraient alors avoir lieu dans les 20 à 35 jours, soit à la fin du mois de juin. L’autre possibilité serait d’allonger de manière circonstancielle le mandat du président de la République sortant. Cela nécessiterait une révision de la Constitution. On pourrait allonger le mandat d’un an, deux ans, dix ans, cent ans… c’est au choix.
Politiquement, une telle révision serait non seulement dangereuse, mais absurde.
Elle pourrait s’envisager si la sécurité et la sincérité du scrutin ne pouvaient être assurées. Imaginons qu’une partie du territoire soit occupée et, dans l’impossibilité de voter, il y aurait là un motif légitime. Ce sont également de telles circonstances qui ont conduit au report du second tour des municipales. Là, la sincérité du scrutin était affectée. Des électeurs pouvaient, légitimement, craindre d’aller voter au vu de la diffusion du virus. Ici, ce n’est pas le cas. Le problème est lié à une thématique de campagne, qui, en soi, pourrait faire l’objet d’un débat entre candidats. En effet, le chef de l’État dans une vision gaullienne est porteur de la voix de la France et donc d’une certaine conception du Monde. L’Ukraine est un thème bien plus présidentiel que le régime de l’héritage ou l’augmentation du SMIC, qui relèvent bien plus de la politique gouvernementale.
Le souci vient aujourd’hui de l’absence de couverture par les médias des élections. Ce n’est pas la première fois. En 2020, le premier tour des municipales a été oublié au profit d’un traitement monothématique de la réforme des retraites. En 2021, les départementales et régionales ont été invisibilisées par la COVID. Omicron a tué la précampagne présidentielle, l’Ukraine semble devoir emporter ce qu’il en reste. Si nous devons reporter une élection à chaque fois que les médias considèrent qu’une autre actualité est plus intéressante, alors nous n’allons plus voter souvent. Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas de contester l’importance de traiter de la réforme des retraites, d’Omicron ou de la guerre en Ukraine. Le souci tient au traitement monosujet de l’actualité qui ne permet plus, aujourd’hui, une expression régulière de la démocratie. Un moindre traitement médiatique entraîne en effet une moindre information, donc un moindre intérêt de l’électeur. Cela se traduit d’abord par l’abstention, encore par la frustration, enfin par la colère. Car c’est bien dans la tenue d’élections régulières que cette dernière réside avant tout… alors faisons collectivement un effort pour honorer ces rendez-vous, c’est le premier acte de résistance à l’autoritarisme.
Benjamin Morel
Maître de conférences à l’Université Paris II Panthéon-Assas