Emmanuel Macron dispose au moins d’une raison sérieuse de pavoiser en pleine crise sociale : sur le front de l’emploi, tout va bien. Son prédécesseur avait été empêché de se lancer une seconde fois à la course à l’Elysée en 2017 pour n’avoir pas su « inverser la courbe du chômage ».
Six ans plus tard, l’actuel président de la République peut faire valoir au contraire que, sous son règne, le taux de chômage a fondu comme neige au soleil, pour redescendre aujourd’hui en dessous de la barre des 7 %. Ni la crise sanitaire, ni la guerre en Ukraine et ses terribles conséquences inflationnistes n’auront interrompu cette longue marche vers le plein-emploi qui prend désormais des allures de succès économique avec au compteur seulement 6,5 % de la population active privée d’emploi au sens du Bureau international du travail (B.I.T) en mars 2023.
Il y a pourtant un sérieux revers à cette médaille hexagonale en matière d’emploi. Une face sombre de l’économie française qu’on préfère souvent ignorer, sans doute par crainte de ne savoir y répondre : notre pays est de moins en moins productif !
Dans la période récente, la France a fait beaucoup plus que suivre le ralentissement de la productivité observé dans la zone euro. En trois ans, de fin 2019 à fin 2022, la productivité horaire de l’économie française (c’est-à-dire la richesse produite en une heure de travail) a reculé de -3,6 %. C’est presque autant que la productivité par tête (richesse produite par l’économie française rapportée au nombre de personnes en emploi), en repli pour sa part de -3,4%. Des tendances d’autant plus préoccupantes qu’elles semblent bien pouvoir expliquer partiellement au moins la baisse de notre P.I.B par habitant. Pas seulement à très court terme. Le Conseil d’analyse économique (C.A.E) estime ainsi que la perte de richesse produite par habitant entre 2006 et 2019 (environ 7 points par rapport à notre voisin allemand) proviendrait pour plus de deux tiers (5 points) de notre fléchissement productif national.
Quand la productivité se porte mal, c’est toute l’économie du pays qui patine.
Car son repli détériore notre croissance et affaiblit le revenu des entreprises. Et quand la santé financière de celles-ci devient moins bonne, à partage de la valeur inchangé, c’est aussi la capacité à augmenter les salaires qui s’en ressent. On voit d’ailleurs que ceux-ci peinent toujours à suivre l’augmentation des prix, qui se situe toujours sur un plateau élevé d’environ +6 % sur un an, avec d’importantes pertes de pouvoir d’achat à la clé pour les Français depuis plusieurs mois.
Face à ce constat, certains observateurs nous exhortent à faire le gros dos en nous expliquant que ce ralentissement de la productivité ne doit pas inquiéter outre mesure car il comporte de nombreuses explications conjoncturelles. Il est vrai, par exemple, que le maintien en emploi de certains salariés par effet d’aubaine dans les entreprises peut peser dans le ralentissement de la productivité sans qu’on puisse considérer qu’il sera durable. Ainsi, un phénomène de rétention de main d’œuvre est observé dans notre tissu productif du fait de l’essor d’entreprises dites « zombies », artificiellement maintenues par les aides publiques pendant la pandémie, alors qu’elles auraient dû mourir de leur propre mort dans un autre contexte sanitaire et économique que celui de 2020. A cela s’ajoute ce que d’aucuns appellent la « grande rotation » : de nombreux salariés quittent leur emploi pour en retrouver un autre ailleurs. Un phénomène qui serait a priori seulement circonstancié.
En réalité, le mal est beaucoup plus profond. La chute de la productivité française remonte plutôt à la deuxième partie de la précédente décennie. Alors qu’entre 2000 et 2010, notre économie enregistrait encore une progression productive de l’ordre de +0,85 % par an en moyenne, celle-ci est désormais négative. Depuis quelques années, l’emploi progresse plus vite que l’activité !
Mais pourquoi ? Et comment enrayer cette chute vertigineuse, qui nous condamne assurément à jouer les seconds rôles dans la compétition économique mondiale ? Donc à la relégation. Et à un niveau de vie dégradé à moyen et long terme.
Si l’on ne devait retenir qu’un élément, mais un déterminant absolument majeur de notre descente aux enfers productive, c’est le décrochage éducatif.
Dans une note de septembre 2022, le C.A.E le soulignait sans ambages : le niveau des jeunes Français en mathématiques et même en compétences dites socio-comportementales – qu’on approche souvent par l’anglicisme « soft skills » – n’en finit pas de décliner. Même chez les meilleurs, où la France dégringole à 29e place (sur 38 pays) pour le seul classement des élèves de 4e en mathématiques dans le dernier classement TIMSS (Tendances en mathématiques et apprentissage scientifique) de 2019. De quoi expliquer, comme le suggère l’organisme rattaché à Matignon, beaucoup de choses. A commencer par le creusement de l’écart tendanciel de productivité avec l’Allemagne (5 %) et les Etats-Unis (7 %) sur les vingt dernières années. Un fossé et un sérieux handicap pour notre avenir.
L’un des grands défis du second quinquennat d’Emmanuel Macron, c’est donc d’enrayer cette dégradation du « capital humain », qui tire vers le bas notre productivité, notre croissance et finalement notre rang dans l’économie mondiale.
Pour y parvenir, la voie la plus prometteuse est à la fois d’agir pour restaurer la performance (et la connaissance) scientifique et socio-comportementale des jeunes à tous les niveaux scolaires et d’accélérer notre réindustrialisation. Car dans la chute de la productivité de l’économie française, il y a aussi – on doit s’en souvenir – un effet de composition sectorielle. Avec un poids divisé par deux depuis 1970, l’industrie hexagonale ne pèse plus que pour 17 % de notre PIB en 2021. Un phénomène aggravant pour notre productivité nationale, qu’il sera long et fastidieux d’enrayer mais face auquel les dispositions prévues dans le cadre de « France 2030 » ainsi que les quinze mesures annoncées dans le projet de loi industrie verte présentées le 16 mai dernier sont susceptibles d’apporter des premières réponses.
Seront-elles suffisantes pour renverser la tendance ? Probablement pas. Car une autre cause produit aussi d’importants effets sur notre productivité du travail structurelle : les Français travaillent en moyenne moins que leurs voisins européens, à l’exception des Suédois. En vingt ans, la durée effective annuelle moyenne de travail est retombée dans notre pays de 1955 heures à 1680 heures aujourd’hui. Un autre défi à relever avec doigté à une époque où le sens même du travail ne cesse d’être questionné et où la promesse sarkozyste de « travailler plus pour gagner plus » fait de moins en moins recette.
François Perret
Ancien élève de l’E.N.A et de Sciences Po (Paris)
Directeur général de Pacte PME
Vice-président du Think tank Etienne Marcel