Il devient courant de distinguer une forme de mépris des hommes et femmes politiques, soit à l’égard des étrangers soit à l’encontre des classes populaires. Cette attitude nous empêche de construire une société plus désirable pour les générations futures et elle accroît les crispations. A contre-courant du débat politique actuel, il est temps de reparler de dignité et diversité.
L’inquiétante installation des thématiques de la sécurité et de l’immigration
Certaines thématiques telles que la sécurité et l’immigration sont surreprésentées dans le débat public depuis deux décennies. Si cela a été rendu possible par la présence, pour la troisième fois, au second tour de l’élection présidentielle de l’extrême droite sur cette période, la sécurité demeure réellement une inquiétude des Français1. Après tout, l’État, selon la doctrine du contrat social, est l’entité à laquelle on cède une partie de nos libertés pour assurer la sureté.
S’en suit une surenchère depuis 15 ans sur les lois sécuritaires, qui traite plus les conséquences que les causes de l’insécurité.
Ainsi, cette attention à la police masque de nouvelles problématiques qui émergent dans le pays telles que l’écologie et surtout celle qui s’impose toujours au lendemain des élections : le pouvoir d’achat. Face à cela, le Rassemblement national développe avec succès « la préférence nationale » comme en témoigne la sociologie de son électorat. Or, si le localisme peut être tentant, la construction de cette idée mène à un déclassement de l’autre, en tant qu’étranger ou immigrant. En effet, selon un raccourci devenu habituel, les immigrants seraient responsables du manque de travail, de l’insécurité et abuseraient des aides : il s’agirait donc de leur empêcher l’accès à l’Etat providence pour concentrer les actions sur les « vrais Français ». Cette logique, en plus de masquer les réalités du monde du travail, est dangereuse, elle installe une rupture de dignité entre les habitants de notre pays.
Refuser le mépris : redonner à toutes et tous un sentiment de dignité
Le résultat de la présidentielle du dimanche 24 avril est sans appel : l’électorat de Mme Le Pen croît et s’installe dans les périphéries, parmi les plus pauvres et les classes actives peu diplômées. Celles-ci, entre abstention et vote anti-establishment, traduisent le mépris dont elle se sentent l’objet. Ainsi, par-delà la question de l’immigration qui repose en partie sur le racisme mais pour beaucoup sur la peur de l’inconnu, c’est le discours du Rassemblement national (RN) sur la dignité du travail et des exclus de la mondialisation qui porte. De l’autre côté, M. Macron s’est illustré plusieurs fois par des attitudes et des propos qui ont pu heurter l’opinion publique. Le comportement du candidat-président à l’égard de Marine Le Pen lors du débat de l’entre-deux tour a été révélateur. Or, son adversaire politique est une figure dans laquelle se reconnaissent 13 millions de Français : on ne peut ignorer celles et ceux qui se tournent vers les extrêmes.
A l’inverse, il est urgent de remettre au cœur du débat ce qui transparait à la fois dans nos quartiers comme dans nos territoires périurbains ou ruraux les moins dotés : l’impératif de la dignité qui passe par le travail, la considération et le soin de notre démocratie.
En effet, on ne peut traiter indignement ni l’étranger, ni l’immigrant, ni le noir, ni celles et ceux qui travaillent et n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Pour recréer cette confiance avec l’ensemble des Français et notamment ceux qui galèrent, il est indispensable de changer les discours pour que chacun se sente reconnu, mais aussi de permettre à chacun d’accéder aux services publics et à la formation, dans une optique de transition écologique. A ce jour ce n’est pas le cas et c’est un des cris de la jeunesse : on crie aussi en s’abstenant.
Fractures générationnelles : donner un avenir à la jeunesse dans sa diversité
La lecture du vote du second tour confirme l’aggravation des fractures françaises selon un double axe économique et générationnel2. Les jeunes sont les plus abstentionnistes quel que soit leur ancrage territorial et lorsqu’ils ont voté c’est en majorité pour Jean-Luc Mélenchon3 au premier tour. Ce dernier parle d’enjeux qui leur sont proches notamment l’écologie et leur pouvoir d’achat – via un revenu destiné aux étudiants plus précaires – mais également du concept de créolisation, qui porte une société dans sa diversité. A l’inverse, l’électorat le plus âgé et le plus participatif, les seniors, s’est prononcé majoritairement en faveur du centre droit et de la droite à plus de 80 %. Or les divers candidats de cette large tendance ont des programmes pauvres quant à l’écologie et la jeunesse. Enfin, chez les actifs (35-60ans), notamment les plus modestes et éloignés des métropoles, le vote s’est exprimé plus fortement pour le RN, et ce, lors des deux tours. Entre surreprésentation des seniors et vote d’extrême droite, les grands perdants sont les jeunes des cités, comme des territoires peu attractifs : il y a une invisibilisation de leurs enjeux dans le débat public.
Face à ce constat, il est urgent de réduire les fractures françaises pour offrir un avenir désirable aux plus jeunes.
Comment ? En ayant une offre de politique publique qui réponde à leurs besoins dans toute leur diversité. Ne pas le faire nous conduirait à accroître les crispations identitaires et générationnelles, avec un risque de conflit plus ou moins larvé. Les propositions d’une pondération ou une suppression du vote des plus âgés en sont déjà un avant-gout4.
Rosie Bordet
Fondatrice de l’agence rb & associés et élue
- https://fr.statista.com/statistiques/1289786/principales-preoccupations-france/ ↩
- https://harris-interactive.fr/opinion_polls/presidentielle-2022-2nd-tour-sociologie-du-vote/ ↩
- https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-les-plus-jeunes-ont-vote-jean-luc-melenchon-les-plus-vieux-emmanuel-macron_5075344.html ↩
- https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/presidentielle-et-si-on-limitait-le-vote-des-personnes-agees-qui-pesent-si-lourd-dans-les-urnes_5082289.html ↩