Si, depuis 2017, Xavier Bertrand s’est tenu à distance du peloton LR, les pronostics laissaient cependant entrevoir une participation à d’éventuelles primaires, à une confrontation programme contre programme avec les membres de sa famille politique historique. Le président de la région Hauts-de-France, dans un timing plutôt bien pensé et assez audacieux, a choisi l’option d’une échappée en solitaire. Quelles perspectives ?
Cette candidature, qui va compliquer singulièrement l’agenda des Républicains, n’en demeure pas moins la bonne nouvelle politique de ce début de printemps en ce qu’elle rompt avec le caractère convenu, et, disons-le, morose, de la vie politique actuelle. Non pas que l’interview fleuve que l’ancien Secrétaire d’Etat de Jean-Pierre Raffarin a accordé à l’hebdomadaire Le Point ait ouvert une brèche idéologique dans le corpus intellectuel figé de la droite, car cette interview est des plus convenues. Mais c’est justement par ce caractère convenu qu’elle en devient intéressante ; c’est dans la juxtaposition des clichés politiques et des contradictions que réside l’intérêt du tableau très « art naïf » qui nous est livré. A ce titre, Xavier Bertrand a été, sans s’en rendre compte manifestement, le plus orthodoxe des cadres LR ; et sa déclaration de candidature est l’expression la plus limpide de la ligne impulsée par Christian Jacob, au point qu’il serait légitime de se demander s’il n’y a pas eu entente préalable… Mais laissons là les supputations hasardeuses et inutiles, et concentrons-nous sur la clef de l’énigme Bertrand : son positionnement.
La posture gaullienne est affichée d’entrée de jeu par le maire de Saint-Quentin qui a pris soin d’apporter pour l’interview un livre de Max Gallo : « J’ai une conception gaullienne de l’élection présidentielle […] Je suis un gaulliste social, d’une droite sociale et populaire. » Ou quand le verbal et le non-verbal s’harmonisent de façon éloquente ! Penchons-nous tout d’abord sur le qualificatif « gaulliste social ». Il est à ce point connu que l’on pourrait croire qu’il parle de lui-même. Or, ce n’est pas le cas ! Rappelons, pour mémoire, que le gaullisme social est un progressisme sociétal… mi droite, mi gauche. Le gaullisme social c’est Chaban-Delmas, dont un des conseillers était un certain Jacques Delors… Quant à Max Gallo, député PS en 1981, porte-parole du gouvernement Mauroy, il rejoint le souverainiste Jean-Pierre Chevènement au moment de Maastricht, pour soutenir in fine Nicolas Sarkozy en 2007. Là encore, habile mélange de références intellectuelles mêlant droite et gauche. En parcourant le reste de l’interview, on y trouve, pêle-mêle : la fierté d’être Français, l’enjeu climatique, l’étouffement bureaucratique et technocratique, la fracture territoriale et la nécessaire décentralisation, la restauration de l’autorité de l’Etat et la mise en place d’une politique pénale plus ferme, le contrôle de l’immigration par une politique de quotas, la lutte contre « l’extrême-droite » incarnée par Marine Le Pen, la réhabilitation de la valeur travail, etc.
Un programme qu’Emmanuel Macron pourrait reprendre à son compte pour 2022…
En filigrane, Xavier Bertrand fournit au lecteur attentif une mine d’informations décisives qui convergent toutes vers un unique point : le « gaullisme-social », dont la droite LR semble aujourd’hui si fière, est en réalité l’ancêtre du « en même temps » macronien, le frère jumeau du social-libéralisme. Pour le dire autrement : Xavier Bertrand est tout à fait Macron-compatible ! Il n’y a pas l’épaisseur d’un cheveu entre les deux socles idéologiques. Mais, contre toute attente, c’est justement là que réside le véritable coup de génie politique de cette candidature : dans le fait de jouer la carte de la gémellité. Si le pari est audacieux, il n’est pas insensé. Explications.
Laurent Wauquiez avait fait le pari inverse, qui semblait sur le papier le plus logique : puisque l’électorat de la droite type RPR est parti chez Marine Le Pen, il faut le récupérer – notamment rejouer la carte « Sarkozy 2007 » qui avait consisté à assécher l’électorat frontiste. L’échec de François-Xavier Bellamy aux européennes a disqualifié cette stratégie. L’électorat du RN s’est révélé bien plus solide que ce que les observateurs politiques estimaient, et il témoigne d’une dynamique de croissance qui s’avère difficile à enrayer. L’unique solution consiste donc à récupérer l’électorat de droite de sensibilité UDF qui, lui, est parti chez Emmanuel Macron.
C’est en quelque sorte ce que Christian Jacob a fait en prenant la tête de LR. Il s’est saisi de son plus gros feutre rouge et a retracé la ligne de démarcation chiraquienne entre une zone libre LR et une zone occupée RN. Dans le même temps, il s’est montré beaucoup plus complaisant en matière d’alliances avec LREM, réhabilitant la vieille rengaine de « la droite et du centre », tout en continuant de taper très fort sur Emmanuel Macron dont la ligne politique est pourtant étonnamment proche de celle des Républicains. A première vue, une telle stratégie pouvait paraître suicidaire puisque LREM est au pouvoir et que LR est moribond. Mais en y regardant de plus près, on remarque que l’arbuste LREM est fort jeune, qu’il n’a aucune racine, que les élections intermédiaires ont montré que son enracinement était laborieux, et les printemps successifs ont laissé voir un feuillage clairsemé et des fruits peu abondants.
Conclusion : les aléas climatiques pourraient avoir raison de sa frêle constitution.
Le pari de LR, que Bertrand a repris à son compte, est donc le suivant : pour éviter que l’électorat bourgeois, déçu par le feu de paille d’En Marche, ne se retrouve orphelin en cas de mort politique de son fondateur, et qu’il ne soit frustré de s’être ainsi laissé leurrer, il convient de lui proposer une offre politique de substitution aussi jumelle que possible. Puisque l’arnaque d’Emmanuel Macron, qui prétendait créer un nouveau monde alors qu’il copiait-collait une version Wikipédia de l’ancien, a fonctionné auprès des médias comme de l’électorat bourgeois, il suffit d’utiliser le même procédé à l’envers, et prendre l’imposteur à son propre piège. L’électorat libéral-modéré, usé par les échecs répétés de la macronie, pourrait s’y laisser prendre. Et si, dans le même temps, le bureau politique des Républicains, aiguillonné par 100 députés et 150 sénateur inquiets, réalise qu’il vaut mieux tenter de l’emporter en se rangeant derrière Bertrand que de tuer la droite en proposant un autre candidat concurrent estampillé LR et issu de primaires décidément mortifères, il est possible que l’audacieux pari de la gémellité politique réussisse, et qu’après avoir fracturé LR en 2017 pour lui dérober ses actifs UDF, Emmanuel Macron voie sa majorité fracturée en retour, et les actifs en questions restitués à leur propriétaire historique. Le pari est osé, mais s’il réussit, il restera dans l’histoire comme un cas d’école : le fils croit tuer le père ; il échoue ; le père se relève et tue le fils en retour.
Frédéric Saint Clair
Analyste politique