Il est 21h20, ce vendredi 13 novembre 2015, lorsque la normalité quitte la capitale. Aux abords du stade de France, où se joue un France-Allemagne, une première explosion vient de retentir. Elle a eu lieu devant la porte D. En plus de celle du kamikaze qui portait la ceinture d’explosif et qui a fait une première victime. Un autre kamikaze a activé sa ceinture, cette fois près de la porte H. Elle ne fait heureusement aucune victime.
21h53. La troisième et dernière explosion se fait entendre dans les rues de Saint-Denis. Les forces de police exfiltrent alors F. Hollande du stade. Cette explosion ne fait aucune victime. Plus tard, on apprendra qu’un courageux stadier avait refoulé un kamikaze à l’entrée du stade.
Pendant la série d’explosions survenue à Saint-Denis, les 10e et 11e arrondissements basculent dans l’horreur. Trois sous- hommes sortent d’une voiture Seat noire immatriculée en Belgique. Le véhicule a fait irruption devant des bars. Ces barbares commencent alors leur massacre en tirant à la Kalachnikov sur les terrasses du bistrot Le Carillon, puis, ils se dirigent vers celle du restaurant Le Petit Cambodge. Il est alors 21h25. Les djihadistes poursuivent leur horrible périple et se dirigent vers la brasserie Café Bonne Bière, pour continuer de perpétrer l’horreur. Pendant qu’ils tirent sur les innocents venus passer leur vendredi soir, les terroristes crient bien entendu « Allah u Akbar » (au nom de ce « dieu » que de crimes commis…) ou encore « C’est pour la Syrie » comme en témoignent des passants. Ils vont ensuite vers le restaurant La Belle Équipe pour poursuivre leur funeste périple. Mis à part le Bataclan, c’est l’établissement où le plus de personnes perdront la vie ce soir-là.
Déposé par une Seat noire au café-brasserie du Comptoir Voltaire, l’un des trois terroristes s’installe, comme si de rien n’était à une table. Il est alors 21h43. Lorsque la serveuse s’approche de lui pour prendre sa commande, il se lève et actionne son gilet explosif. Il sera fort heureusement la seule victime de la détonation, le mécanisme n’ayant pas totalement fonctionné. Un miracle dans cette soirée d’horreur.
Au total, ces attentats sur les débits de boisson ont généré près de 500 coups de feu et tué 39 personnes. À la fin de l’attaque, les deux autres terroristes prennent la fuite à bord de la voiture qui les avait déposés là. Le véhicule sera retrouvé 24 heures plus tard, à Montreuil (Seine-Saint-Denis, ndlr : un hasard ?).
Mais on n’a encore pas tout vu. Loin de se douter de l’enfer qui se trame dehors, depuis 21 heures le public profite au Bataclan du concert du groupe de rock Eagles of Death Metal. Il est environ 21H45 quand des détonations commencent à retentir. Au départ, on croit à des pétards. Celles et ceux qui sont prêts de l’« action » voient qu’il s’agit bien de tirs de Kalashnikov (cette arme russe si efficace que l’on peut se procurer en banlieue ou même sur Internet à environ 500 euros…). Très vite, on se rend compte en effet que deux individus tirent à un rythme effréné sur la foule, dans le but de faire un maximum de victimes. Plus tard on apprend que pour accéder à la salle, les barbares avaient au préalable ouvert le feu devant le Bataclan, faisant trois victimes parmi les vigiles. Cette salle de spectacle, on le sait peu, se transforme vite en nasse. En effet un agent de sécurité ouvre alors une issue de secours, pour permettre au plus de personnes possibles de prendre la fuite. Sauf qu’un troisième assaillant les attend devant cette sortie, et y fait feu.
Des personnes font les mortes pour se protéger, mais les assaillants font le « tri » et les exécutent froidement. Il est 22h07 lorsque l’un des assaillants est abattu par deux policiers de la BAC (premiers arrivés sur les lieux) et déclenche sa ceinture d’explosif au même moment. Retranchés à l’étage avec plusieurs dizaines d’otages, les deux autres terroristes seront abattus aux alentours de 00h30 par les hommes de la BRI. Bel ouvrage messieurs.
Au total, l’attaque du Bataclan laisse derrière elle 90 morts, des dizaines de blessés graves, et des centaines de traumatisés… Au total, ce sont 130 personnes qui sont tuées ce soir-là, et plusieurs centaines sont blessées, souvent gravement.
Alors six ans après, a débuté le procès des attentats du 13 Novembre.
6 ans de calvaire pour les victimes et leurs proches. 6 ans où elles ont dû endurer un sacro-saint principe : les droits de la défense. En effet la justice française et les codes qui lui servent d’action (pénal et de procédure pénale) privilégient les droits de la défense. On y reviendra. 6 ans durant lesquels ce qui reste des coupables a vécu assez tranquillement dans quelques geôles françaises ou belges. Cajolés par leurs avocats.
Alors droits de la défense ? Fondés sur la Déclaration de 1789, ils regroupent un certain nombre de droits permettant à un présumé innocent de se protéger contre la menace d’un procès pénal.
Il s’agit par exemple d’être :
-informé de la procédure,
-jugé par un tribunal impartial,
-assisté par un avocat,
-de disposer du temps nécessaire pour préparer sa défense (avec toutes les roueries procédurales voulues),
-ou encore d’avoir accès au dossier pénal.
Les droits de la défense recouvrent notamment le principe du contradictoire ainsi que celui de l’égalité des armes. Théoriquement il doit exister une relation équitable entre l’accusation et la défense. Or il n’en est rien. D’abord parce que les règles pénales n’ont encore pas consacré ce qu’on appellera les droits des victimes. Seuls leurs avocats s’y essayent avec de faibles moyens et en comptant le plus souvent sur les associations spécialises. Et aussi sur les psychologues voire psychiatres qui prennent en mains les victimes.
Ces droits de la défense font partie des principes du procès équitable tel que définis tant au niveau européen que national. L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable,par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».
Pas un mot dans ses textes internes et européens sur les droits des victimes. Seul un guide du droit des victimes existe depuis 2012 (site ministère de la Justice). Il fait 95 pages ! Le seul droit réel qu’ont les victimes, c’est de se porter partie civile et d’être assistées à ce titre aussi par des associations. La partie civile est la personne qui s’estime victime d’une infraction pénale et qui intervient dans une procédure afin d’obtenir une indemnisation de son préjudice. Rappelons que le préjudice peut être matériel (destruction de biens, perte de salaire…), corporel (blessures…) ou moral (affectif, dommages psychologiques…). Ce dernier est presque inchiffrable. Et c’est parfois le pire (perte d’un proche, handicap, dépression…).
C’est à la partie civile de chiffrer le montant de son préjudice et d’apporter tous les justificatifs nécessaires pour que le tribunal puisse prendre sa décision et fixer une indemnisation.
Également, la partie civile peut demander au tribunal de réaliser une expertise pour l’aider à établir son préjudice et estimer le montant de la réparation. On le note, pour faire valoir ses droits la victime doit être active… Or elle est la plupart du temps effondrée. Avocats et associations la suppléent le plus souvent. De son côté, le présumé innocent se repose sur son avocat. Et puisque de terroristes islamistes (pléonasme ?!) il s’agit, ceux-ci sont confortablement installés dans une cellule, sous bonne garde. Aux frais d’un Etat qu’ils ont pris pour cible. Et surtout sans remords, ni regrets. Si, souvent de n’avoir pas fait assez de victimes… Et certains n’ont parfois qu’une hâte, sortir pour éventuellement recommencer. Et puis de toute façon, le fait de ne pas être mort en martyr fait du terroriste un mauvais croyant. Passible même de la mort…
Alors voilà, un procès fleuve s’est ouvert en ce mercredi 8 septembre. Dans une salle aménagée spécialement à l’ancien Palais de Justice de Paris : 750 m2, 550 places, 10 salles de retransmission télévisées. Pour quel coût ? 10 millions d’euros, a dit E .Dupont-Moretti. Une paille notamment quand on songe au manque de moyens de notre justice ! Pas loin de 2000 parties civiles sont attendues. 300 avocats vont œuvrer. 20 accusés sont en cause : quatorze accusés seront présents, dont Salah Abdeslam, seul membre encore en vie des commandos, onze comparaîtront et trois sont libres sous contrôle judiciaire. Six autres accusés seront jugés par défaut. Dans ce dernier cas le défendeur ne comparaît pas, c’est à dire ne se présente pas à l’audience. Alors le jugement est rendu par défaut si la décision est en dernier ressort (c’est-à-dire ne peut faire l’objet d’un appel) et si la citation n’a pas été délivrée à personne (c’est-à-dire si l’assignation délivrée par l’huissier ne lui avait pas été remise en personne).
Pour Abdeslam, sa détention coûte la modique somme annuelle de 433 000 euros. Un chiffre qui s’explique dit-on, notamment par les conditions exceptionnelles de surveillance dont il fait l’objet. Et aussi le confort de la cellule, nous a confié un gardien…
Ce procès sera la plus grande audience criminelle jamais organisée dans l’Hexagone.
Le dossier d’instruction compte 542 tomes, soit 53 mètres linéaires (l’équivalent d’un tiers de la hauteur du tribunal judiciaire de Paris) et un million de pages. Justice (instruction) et police ont fait un admirable travail. Il est prévu pour durer 9 mois, mais ce sera plus à notre avis. En effet il y aura des rebondissements notamment de procédure, le plus souvent dilatoires, diligentés pas les avocats de la défense. Pour un verdict attendu fin mai.
6 ans pour que ce procès ait lieu ! Imagine-t-on ce que cela représente pour celles qui nous intéressent le plus, les victimes ? Assurément, les plaies ne sont pas encore cicatrisées. Qu’elles soient morales et/ou physiques. Le seront-elles un jour ? Et dans quelle mesure ? Bien sûr qu’il fallait un procès. Mais pas au bout de 6 ans. Ce procès se veut être le point d’aboutissement d’un long et difficile chemin pour les victimes. Que va-t-on y faire, dans cette salle d’audience ? Lieu de mémoire collective ? Audition des victimes bien entendu. Mais beaucoup ne veulent pas ou hésitent à témoigner. Les mots ne viennent pas, parfois. La peur est là, aussi. Tenter de comprendre les mécanismes terroristes ? Quoi comprendre d’ailleurs ? La barbarie ne se comprend pas, ne se justifie pas. Elle se combat.
Au quotidien, les victimes mesurent les conséquences des attentats. Dans leur chair. Dans leur tête. Elles ont subi les foudres de barbares avec des kalashnikov ou des bombes. Point à la ligne. Elles n’apprendront rien de très nouveau. Alors oui, elles auront face à elles les bourreaux. Mais pas les principaux. Ils sont morts ou enfuis. Le face à face risque d’être d’autant plus dur que le plus important d’entre eux, Abdeslam, ne dira très certainement pas un mot (comme pendant l’instruction). Et puis les victimes écouteront les avocats. Les leurs d’abord. Elles connaissent l’essentiel de ce qui sera plaidé. Ceux des « coupables » qui essaieront de trouver d’improbables explications à défaut, bien sûr, d’excuser. Ecouter cela sera au-dessus des forces de beaucoup à coup sûr. Tout comme d’ailleurs impulser un dialogue avec ces monstres. Ou alors il faudra une belle dose de force mentale. D’autant qu’aucun signe de la moindre compassion n’est à attendre du banc des accusés. S’il en est, il sera feint ou faux de toute façon. C’est religieux. La Charia interdit ce sentiment notamment à l’égard des mécréants. C’est aussi civilisationnel, comme l’a si bien montré Samuel Huntington. Les djihadistes nous détestent pour l’ensemble de ce que nous sommes et de notre œuvre, nous les occidentaux. Ils mènent le combat de l’Orient contre l’Occident pour imposer partout sur les territoires mécréants la Charia. C’est une guerre dont les purs esprits ne veulent pas entendre parler. Et puisque ces individus ont bien l’intention de la gagner, il convient de répliquer très vite. Même si c’est une guerre d’un autre type, la nôtre sera juste car nécessaire. JF Revel a montré comment, à force d’être faibles, les démocraties finissent… Mais c’est un autre débat.
Un procès peut parfois permettre de pardonner. Oui, il arrive à des parents de le faire pour le tueur de leur enfant. Il y a là une grandeur d’âme, façonnée souvent par la religion, qui nous fascine toujours. Pour les victimes des attentats, aucun pardon ne nous semble possible de toute façon et on le comprend aisément. “Ce qui a eu lieu est une abomination qu’aucune prière, aucun pardon, aucune expiation, rien de ce que l’homme a le pouvoir de faire ne pourra jamais réparer” (Primo Levi).
Certaines victimes connaissent parfois aussi ce sentiment qu’on appelle la vengeance. Œil pour œil, dent pour dent n’est jamais loin. La vengeance est un sentiment connu dès la Bible. Il se situe souvent au début des évènements. Certaines victimes, ou parents de victimes, y pensent. Puis le temps fait son œuvre. La douleur et la peine l’emportent. Le deuil aussi. Hormis dans quelques banlieues marseillaises, la loi du talion n’est plus et c’est heureux. La vengeance ne répare pas un tort, mais elle en prévient cent autres (proverbe arabe).
Pour nous, ce procès risque avant tout d’être pour rien. Ou presque. Dans le sillage de Boris Cyrulnik, on entend déjà les voix de celles et ceux évoquant la résilience. Cette dernière est, pour faire simple, la capacité à surmonter les chocs traumatiques et à « renaitre de sa souffrance ». Une sorte de reconstruction. Nous ne sommes pas persuadés du tout que le déroulement dudit procès, à grande échelle et surmédiatisé, et en particulier la vision des assassins, permette la résilience des victimes. Exposées à la lumière, ces dernières vont être à coup sûr mal à l’aise. Nous croyons beaucoup plus aux soins prodigués par les psychologues et les psychiatres. Et aussi à l’écoute des associations. Et au soutien des familles.
On écoute déjà parler d’un procès pour l’histoire. Cette dernière est remplie de procès qui furent souvent grandiloquents mais n’ont pas débouché sur grand-chose. De quelle histoire parle-t-on d’ailleurs ? Nationale ? Judiciaire ? Politique ? Attendons un peu du déroulement et surtout de son issue. La surmédiatisation va, selon nous, fausser les choses. On doit simplement aussi dire que, puisqu’il a lieu, c’est avant tout un procès pour les victimes. Aucune compréhension et encore moins de compassion pour leurs bourreaux qui devront être frappés par les sanctions les plus extrêmes de notre arsenal pénal et dans le mépris le plus absolu de notre société.
Pour finir, on doit souligner que ce procès permettra aux victimes qui se sont donc constituées parties civiles de toucher des indemnités pour divers préjudices. On l’a vu ci-dessus. Donc on pourrait dire un procès pour l’argent. Ne nous voilons pas la face, ce sera le cas pour certaines personnes ! Elles auront d’autant plus tort de se gêner qu’elles en ont le droit. A ce sujet, et c’est là que notre République est « une bonne mère », il s’avère que la majorité des parties civiles ont été indemnisées par le fonds de solidarité. Double indemnisation, mais ce n’est pas un procès pour l’argent, clame Me Portejoie, avocat clermontois de victimes…
Finissons-en là. Non sans dire combien il était pathétique ce mercredi matin face à JJ Bourdin, notre Garde des Sceaux alias Eric Dupont-Moretti. Le voir se confondre en commisération, comme une sorte de père des victimes. Grand organisateur et argentier de ce procès. Lui qui a défendu des terroristes, il n’y a pas si longtemps. Lui dont le premier déplacement a été consacré à une prison (où il aurait retrouvé d’anciens clients). Lui qui n’a jamais été bienveillant avec les victimes (nous en avons été témoin lors d’un procès à Aurillac). Parfois il ose tout, le compagnon d’Isabelle Boulay, c’est même à ça qu’on le reconnait !…
Il y a bientôt 20 ans, c’était le 11 septembre 2001… In memoriam.
Raphael PIASTRA, Maitres de Conférences en droit public des Universités