Quid du budget 2021 ? Le Haut Conseil des Finances Publiques a rendu la semaine dernière un avis détaillé sur la question. Analyse par Jean-Yves Archer.
Pour les férus de Droit, la décision rendue par le Conseil constitutionnel en date du 16 juillet 1971 a marqué la maturité et l’indépendance de l’Institution née de la Loi suprême du 4 Octobre 1958. Comme l’a souvent dit le regretté professeur Guy Carcassonne, cette date fût celle de l’expression d’une pleine liberté de pensée.
Clairement, par son Avis du 21 Septembre 2020, le Haut-Conseil des Finances publiques ( HCFP ) présidé par le premier président de la Cour des comptes s’est loyalement mais fermement émancipé de l’ombre éventuellement tutélaire de l’État.
Son avis est certes fort bien rédigé quant à la forme mais le fond est sans conteste possible un fin mélange de rigueur analytique et de pédagogie économique et budgétaire.
La leçon d’économie du HCFP
Dans cet avis du 21 septembre, plusieurs hypothèses fortes émises par l’État au cœur du PLF 2021 sont remises en cause, sans ménagement et, in fine, tout ceci s’apparente davantage à une leçon au Collège de France de Philippe Aghion qu’à des études de certains économistes relevant de la sphère publique incluant, dans la dernière période, la Banque de France dont le Gouverneur voit ses propos infléchis jusqu’au démenti assez cinglant pour qui sait lire le nuancier sémantique administratif.
Une surestimation de l’investissement
” Plusieurs facteurs pourraient freiner la reprise de l’investissement productif : la structure de bilan des entreprises est, avec la hausse de l’endettement, fragilisée et les perspectives de débouchés pourraient être peu porteuses dans certains secteurs durablement affectés par la crise. Le Haut Conseil estime donc que la prévision d’investissement est un peu trop élevée. “
Un optimisme excessif quant aux ressources de l’État
Le HCFP ne conclut pas totalement sur le sujet des recettes budgétaires qu’il estime ” plausibles ” avec le scénario macroéconomique retenu. Scénario qu’il ne manque pas d’écorner ce qui affaiblit la portée du terme choisi qu’est le mot de plausible.
S’agissant du plan européen, le HCFP est très clair : ” Toutefois, le montant exact des financements européens, supposés améliorer le déficit public de 17,3 Md€ en 2021 dans la prévision du Gouvernement, reste incertain. “
Une trajectoire des Finances publiques à revisiter
Le HCFP, au terme d’un développement tramé, porte une conclusion corrosive et vérifiable : ” En conséquence, le Haut Conseil estime nécessaire l’adoption dès le printemps 2021 d’une nouvelle loi de programmation des finances publiques fixant une nouvelle trajectoire d’évolution du PIB et du PIB potentiel ainsi que de finances publiques. ” Autrement dit, il considère obsolète la loi de programmation votée le 22 janvier 2018 pour la période 2018 – 2022.
L’ampleur du rebond pour 2021 n’est pas validée
” Les perspectives de croissance de l’économie mondiale restent en premier lieu soumises aux incertitudes entourant l’évolution des conditions sanitaires. “
Manifestement, certains conjoncturistes ont fait fi d’une évaluation crédible de ces conditions sanitaires pour aboutir à un taux de croissance pour 2021 situé entre 7 à 8 %. Tout autant que de la désorganisation sectorielle des chaînes de valeur qui supposerait de s’intéresser, deeply rooted, à des enjeux de micro-économie.
” Le Gouvernement, comme les principaux organismes de prévisions, élaborent leurs scénarios macroéconomiques sous l’hypothèse forte d’une amélioration de la situation sanitaire, en France comme dans le reste de la zone euro. ” Comment dire ? A l’heure où notre pays frôle le risque de re-confinements partiels, cette approche ressort d’un état d’esprit téméraire qui fait dire n’importe quoi à la notion d’acquis de croissance pour mieux éviter le champ de la lucidité issue du RHD ( raisonnement hypothético-déductif ).
Le Haut-Conseil ” estime que la prévision d’activité pour 2020 est prudente et, à l’inverse, que l’ampleur du rebond prévu pour 2021 est volontariste. “
Volontariste. En un mot ciselé et explicite, le HCFP se permet de renvoyer plus d’un économiste à sa table de travail et à l’étiologie de son optimisme au regard de la croissance pour l’exercice 2021. Tout ceci claque fort dans le Landerneau.
Une charge additionnelle assez frontale
D’autant que le Haut-Conseil ne s’arrête pas en si bon chemin.
” Au-delà des incertitudes qui portent sur l’activité elle-même, les outils mobilisés habituellement par les économistes pour prévoir l’emploi sont rendus inadaptés par plusieurs facteurs : l’ampleur inégalée de la chute de l’activité au premier semestre comme du rebond qui lui succède ; l’impact des mesures sanitaires sur la productivité des entreprises ; la très forte hétérogénéité des évolutions sectorielles qui interdit d’ignorer la composition de l’activité, alors que celle-ci joue un rôle beaucoup plus faible dans des périodes normales; la mise en œuvre de mesures d’accompagnement des entreprises et de soutien à l’activité financées par le secteur public. ”
Textuellement, le Haut-Conseil révoque ” les outils mobilisés habituellement par les économistes ” ce qui est une formule écrite qui pose censure sur bien des travaux et invite à la modestie, à la quête de créativité ( think out of the box ) et au progrès de l’économie politique.
Quand nous vous indiquions que cet avis fera date, c’était plus qu’une conviction mais une certitude.
Quant au PLF 2021, son hypothèse de croissance est irrecevable, l’investissement est surestimé, les foyers de la crise de production minorés.
Et last but not the least, la crise sanitaire est mal appréhendée.
Formons par conséquent le vœu que le Parlement agisse pour rétablir le niveau de flottaison d’un budget qui appelle déjà une future Loi de finances rectificative.
Un texte futur fondé sur une version dûment remaniée de la loi de programmation des Finances publiques. Et un texte dont l’élaboration ne défie pas les lois de la rectitude budgétaire chères au regretté Pierre Lalumière.
Bref un budget solide et non un PLF en apesanteur.
Jean-Yves Archer