Concours d’accès à la fonction publique (toutes catégories confondues), concours de sous-officiers de gendarmerie, épreuve d’admissibilité des agents des finances publiques, tests de pré-admissibilité des secrétaires des services à l’Assemblée nationale, Administrateur adjoint au Sénat, etc.
Les QCM sont désormais la norme à de nombreux niveaux de concours publics et sur différentes matières. Mais cela devient aussi le cas dans de nombreux concours ou admissions parallèles pour accéder, entre autres, aux écoles de commerce, de gestion : Concours Sésame, Test TAGE (test de référence en gestion), épreuves d’admission à certaines ESG…
À l’exception de l’épreuve de synthèse qui reste, parfois, sous la forme d’un travail rédactionnel, les écrits se présentent désormais de plus en plus souvent sous la forme de QCM.
Seuls certains concours exigeants tels que ceux de la BEL (Banque d’épreuves littéraires) amenant aux écoles comme les écoles normales supérieures (ENS), mais aussi ceux de la BCE (banque commune d’épreuves) donnant accès au programme Grande École d’écoles de management, ou encore ceux des concours post-prépa amenant aux écoles d’ingénieurs, conservent les traditionnelles épreuves écrites de dissertation en français ou dans certaines matières scientifiques impliquant la résolution de problèmes dans un temps restreint.
Lorsque l’on sait que l’épreuve de culture générale a disparu de nombre d’examens d’entrée car estimées trop élitistes, il semblerait que cette volonté de diminuer le niveau d’exigence est amenée maintenant à une autre étape : celle de réduire à la portion congrue, voire d’éliminer, tout effort de rédaction.
De quoi cette volonté procède-t-elle ?
« Écrivez ! Noircir le papier est idéal pour s’éclaircir l’esprit. » rappelait Aldous Huxley.
Exercice roi du système éducatif français, sous le double poids du rôle historique des jésuites et de l’influence des agrégations et des ENS, la dissertation reçoit régulièrement des critiques : notation subjective (« la loterie du bac » dénoncée par certains), coût de l’exercice en termes d’organisation, etc. Le QCM est souvent vu comme une solution possible.
Il présente, aux yeux de ses promoteurs, le double avantage d’être plus juste, puisque la notation n’est pas sujette à l’interprétation et plus facile à corriger. Mais c’est négliger ces inconvénients :
– il demeure potentiellement injuste face au hasard
– il risque de donner de “mauvaises” habitudes cognitives ; en particulier, il nous abstient de prendre en compte l’incertitude en étant contraint à répondre à une seule réponse.
– il entretient l’idée de la nécessité d’un raisonnement déterministe qui ne laisse pas de place au doute.
De plus, en élargissant la réflexion, l’utilisation d’un QCM n’est pas pertinente face à certaines attentes puisqu’elle ne permet pas, contrairement à la dissertation, d’exposer la profondeur de son analyse et de sa compréhension du sujet.
À force de ne plus s’exprimer que par cases à cocher interposées, on en vient à ne plus pouvoir nuancer, discuter ou simplement réfléchir. L’un des défauts du système d’enseignement français actuel est sans doute que beaucoup d’élèves se focalisent sur quelques « recettes » simples pour réussir les examens, sans s’inquiéter de vouloir apprendre et comprendre les contenus des cours dispensés, ni réaliser l’importance que ceux-ci peuvent avoir tant pour leur épanouissement personnel que pour leur choix professionnel.
À ce sujet, il est assez ironique que les enseignants qui y sont attachés soient aussi ceux qui voient l’éducation comme une préparation des étudiants au « monde réel ».
À quelle occasion les élèves pourraient-ils bien être mis, dans le monde réel, face à une situation qui ressemble à un QCM ?
Alors, certes, la vie active donne peu souvent l’occasion de se confronter également à un exercice de dissertation. En revanche, tous les mécanismes nécessaires à la réalisation de cette dernière seront fort utiles dans la vie professionnelle : capacité d’analyse, aptitude d’argumentation, soins apportés à la rédaction, raisonnement logique et démonstratif, hiérarchisation des connaissances, etc. Tout autant d’éléments absents lorsque l’on n’a qu’à cocher une case dans un QCM.
Alors pourquoi cette disparition progressive de toute épreuve demandant une rédaction ?
« […] L’écriture n’est pas la traduction d’une pensée mais son élaboration : la pensée s’accouche en même temps qu’elle se couche sur le papier. » explique François Bayrou.
Hummm ! Alors pourquoi vouloir petit à petit remplacer les épreuves demandant des capacités rédactionnelles, des aptitudes de plume par une épreuve ne nécessitant que l’inscription d’un « x » dans une case, à l’image de cette signature des temps anciens de ceux qui ne savaient pas écrire.
Tout d’abord il s’agit de raisons économiques.
Pour un établissement, pour une université ou à l’occasion d’un concours, l’organisation de la correction d’un si grand nombre de copies réclame une mobilisation considérable.
La correction de QCM ne nécessite qu’un logiciel idoine et elle peut être ainsi automatisée. Gain de temps et d’argent … pourquoi s’en priverait-on ?
Ensuite, chez certains enseignants, déplore la fondation William et Flora Hewlett, créée par l’un des cofondateurs du géant de l’informatique Hewlett-Packard, l’accent est mis sur les contraintes de temps et d’énergie nécessaires pour corriger une dissertation. Ainsi, certains professeurs américains sont de plus en plus tentés de leur préférer les QCM et des recherches ont donc été menées pour développer un logiciel permettant de corriger efficacement les dissertations, sans pour l’instant aboutir à des résultats satisfaisants.
Enfin se posent des raisons philosophiques d’une part et pédagogiques d’autre part.
L’épreuve de la dissertation permet-elle d’asseoir une sélection juste ? Quid de l’équité et de la subjectivité de la correction. Deux faiblesses que les contempteurs de l’exercice mettent en avant. Une dissertation, d’un point de vue pédagogique, n’est pas un exercice intrinsèquement supérieur à un autre. La valeur d’un exercice tient à son usage, c’est-à-dire au contexte pédagogique dans lequel il est mis en œuvre. Si le QCM peut tout à fait permettre de vérifier que certaines connaissances ont été acquises, qu’elles sont appliquées correctement dans des cas précis, néanmoins il ne permet qu’une évaluation mécanique, d’une grande quantité de connaissances certes, mais dont le sens n’a pas besoin d’être construit, ni mis en perspective.
Nulle subjectivité dans la correction d’un QCM mais comme il l’est rappelé au début de cette tribune, la place du hasard dans le choix de la réponse à cocher remet tout autant en cause la notion d’équité, que dans le cas d’une dissertation.
Pour finir, certaines voix se font entendre pour se demander si la dissertation est un exercice intellectuel formateur !
La dissertation est l’un de ces exercices qui permet d’intégrer une large palette d’activités intellectuelles allant de l’analyse à la synthétisation, de l’écriture au développement d’un raisonnement, de l’argumentation à la prise en considération de différents points de vue.
QCM et système éducatif
Nombre d’enseignants français sont encore opposés à l’utilisation du QCM, considéré comme contradictoire avec les attentes du système éducatif. On estime en effet que l’une des priorités de l’école française consiste à entraîner nos élèves à lire et écrire, pour être ensuite eux-mêmes en mesure de développer un raisonnement construit, ce que des cases à cocher ne permettent pas.
Si l’usage du QCM peut, bien sûr, être réalisé à bon escient, sa rapidité de création et de correction via des logiciels ou outils internet adaptés, la diversité que ces derniers permettent, ouvre la voie à des multiples approches pédagogiques. Mais ces dernières restent limitées à la vérification de connaissances à l’état brut, à des évaluations-diagnostiques, formatives ou sommatives tout en reconnaissant que les limites de l’exercice sont intrinsèquement connues.
Si l’utilisation du QCM peut s’envisager dans le cadre d’une pédagogie participative visant à accompagner l’apprenant, elle peut aussi rassurer ce dernier et l’encourager à progresser.
Mais l’école est surtout là pour développer chez l’élève, qu’il soit collégien lycéen ou étudiant, l’esprit critique. Elle a pour objectif de favoriser l’épanouissement d’un enfant en lui apprenant à mobiliser toutes ses ressources cognitives et non à le limiter à choisir entre un nombre contraint de possibilités.
L’instruction dispensée dans le système éducatif a pour but de promouvoir le développement de la personne présente en chacun des élèves.
Savoir dégager l’essentiel, traiter une problématique tout en mobilisant l’éventail de ses connaissances et en exerçant son esprit critique : voilà ce que permet une dissertation. Or côté esprit, le QCM est à la pensée ce que le roman de gare est à la littérature, Bernard-Henri Lévy à la philosophie ou les razzie Awards au cinéma… un ersatz de réflexion.
Mais l’école est surtout là pour développer chez l’élève, qu’il soit collégien lycéen ou étudiant, l’esprit critique.
Elle a pour objectif de favoriser l’épanouissement d’un enfant en lui apprenant à mobiliser toutes ses ressources cognitives et non à le limiter à choisir entre un nombre contraint de possibilités.
L’instruction dispensée dans le système éducatif a pour but de promouvoir le développement de la personne présente en chacun des élèves.
Se contenter de faire une croix, c’est aussi renoncer à rendre un travail construit, nourri de connaissances, faisant varier les perspectives. C’est préférer formater une réflexion plutôt que la développer, c’est la réduire à quelques choix là où la créativité pourrait se révéler, c’est enfin conduire un apprenant à se limiter à une alternative plutôt qu’à avoir une place active dans la société.
Floriane Zagar