Après un premier texte publié hier, « Que se passe-t-il ? », Éric Anceau, historien à Sorbonne Université et membre du comité de rédaction de notre revue, en donne aujourd’hui un second dans lequel il examine les voies possibles pour sortir de la crise politique que nous traversons…
Le Président de la République n’a plus beaucoup de solutions pour sortir du fâcheux guêpier où il s’est lui-même placé et surtout pour essayer de mettre fin à la crise politique dans laquelle il a précipité le pays, crise la plus grave de la Ve République, comme nous sommes nombreux à le penser, car c’est la légitimité du chef de l’État qui est questionnée.
Dans l’esprit de nos institutions, celui-ci est en effet avant tout l’incarnation de l’unité nationale et le garant de la paix sociale. Tel n’est manifestement plus le cas depuis un certain temps.
Nous le déplorons indépendamment de toute considération partisane, précisément parce que nous sommes attaché à nos institutions, à l’unité nationale et à la paix sociale.
Ne prenant la mesure ni de la colère du peuple souverain ni de ses devoirs vis-à-vis de lui, dont il ne doit pas oublier qu’il n’est que le mandataire, Emmanuel Macron a refusé jusque-là toutes les solutions que lui offraient nos institutions pour sortir de la crise.
De l’avis quasi-unanime, à l’exception de ses soutiens et de quelques commentateurs, son allocution télévisée de lundi dernier n’a pas apporté non plus l’espoir de solutions tangibles.
Dans cette intervention, il a parlé de 100 jours d’« apaisement », chiffre rond qui est destiné à marquer les esprits et qui renvoie évidemment à sa future intervention du 14 Juillet, à l’occasion de la fête nationale. Il espère sans doute que, d’ici là, le temps effacera les plaies – comme Napoléon l’espérait après la sanglante bataille d’Eylau – mais, outre la référence extrêmement maladroite à un autre moment napoléonien : les Cent-jours qui se sont terminés, rappelons-le, par la défaite de Waterloo et par l’abdication de Napoléon à l’Élysée, force est de constater que non seulement l’apaisement n’est pas au rendez-vous, mais que la colère continue de gronder.
Depuis deux jours, les déplacements des ministres sont systématiquement perturbés et que dire de ceux du Président hier dans une Alsace qui n’a pourtant pas l’habitude d’être l’une de nos régions les plus agitées et extrémistes et, ce matin même, dans l’Hérault où des casseroles ont dû être confisquées. Cette affaire digne d’Ubu Roi ferait rire si elle n’était tragique.
Tout cela traduit l’enfermement du Président dans sa certitude qu’il va renverser la tendance d’une part et le désarroi de son entourage politique et de ses conseillers en panne de solutions d’autre part.
Imagine-t-on encore quatre ans ou même seulement quelques mois de cette agitation alors que le pays est déjà si tendu, que les Français souffrent de l’inflation, qu’il y a tant d’autres problèmes à régler et que se profilent à l’horizon des événements pendant lesquels le monde entier aura les yeux tournés vers nous : Roland-Garros dans cinq semaines, le Tour de France en juillet, la Coupe du monde de rugby à l’automne et les Jeux Olympiques à l’été 2024 ?
Si rien n’est jamais certain et s’il faut demeurer prudent comme l’histoire nous l’enseigne, la même histoire permet de risquer des hypothèses surtout lorsque la France est au péril.
C’est ce que fit Marc Bloch, en 1940, dans des circonstances certes ô combien plus tragiques, mais où se lisait le même aveuglement de nos dirigeants.
Le Président entend donc se donner 100 jours pour retisser le lien rompu avec les Français et si cela n’arrive pas Élisabeth Borne lui servira sans doute de fusible, une autre cartouche comme Sarkozy qui « brûle » d’entrer à Matignon, nous apprend une partie de son entourage est peut-être possible… Changer de gouvernement voire enterrer un projet de loi ou une loi en plein cœur de l’été, François Mitterrand nous en a donné l’exemple avec le projet de loi Savary et le remplacement de Pierre Mauroy par Laurent Fabius (déjà lui), à l’été 1984.
Mais 100 jours c’est à la fois court et long. Court, tant le désamour est profond et la confiance, déjà toute relative, évanouie. Long, car la France peut-elle se permettre de vivre dans ce climat délétère encore plus de trois mois ?
Emmanuel Macron peut dissoudre l’Assemblée, provoquer un référendum ou attendre le nouveau référendum d’initiative partagé si tant est que le Conseil constitutionnel donne son feu vert. Les trois se termineraient sans doute par une défaite pour lui. De Gaulle avait recouru successivement à la dissolution et au référendum après la crise de mai 68.
La dissolution lui avait apporté une large majorité, le référendum sur la réforme des institutions, onze mois plus tard, avait été perdu et le chef de l’État en avait tiré les conséquences qui s’imposaient, selon lui, en démissionnant. Emmanuel Macron qui a réaffirmé que son « CDD allait jusqu’en 2027 » semble ne pas être dans cet état d’esprit, mais qu’il prenne le besoin de préciser ce point montre que l’idée chemine.
Cela ne manquerait pas de panache de lancer un appel au peuple sur une autre question : sa présence à l’Élysée. On ne peut que l’encourager dans cette voie. Un tel référendum serait lui aussi très probablement perdu puisqu’il n’a plus la confiance que d’un Français sur trois nous disent les sondages les plus favorables. Cependant, cela lui permettrait de prendre Clio à témoin : « les Français n’ont pas compris que je faisais leur bien » ! Il lui resterait même l’espoir de revenir après le mandat d’un ou d’une autre. Les Français ne sont-ils pas un peuple de Gaulois versatiles, de perpétuels insatisfaits ? Faute de cela, le risque est que la proposition de loi d’abrogation de la réforme déposée par le PS ou celle, transpartisane, du groupe LIOT que l’on annonce et qui rappellera la motion de censure passée si près du but, le 20 mars dernier, ne soit votée. Que restera-t-il alors de l’autorité du président pour la suite de son mandat ? rien…
Historien du politique à Sorbonne Université