L’Exécutif a propagé les chiffres de l’Insee et se targue d’un ressac de l’inflation ( juste au-dessus de 5% ) alors que les professionnels de la statistique sont plus prudents. Le grand public constate en effet que la hausse des prix alimentaires se poursuit.
L’inflation doit être analysée par secteur. Serge Christopher Kölm l’avait démontré au début des années 1980. Et là, clairement, des millions de Françaises et de Français payent comptant le trend haussier des prix alimentaires.
Des pâtes, à l’huile, en passant par la nourriture pour animaux domestiques ( pet food ), bien des étiquettes ont valsé.
Pour le second semestre, des ralentissements de hausses sont escomptés mais la plupart des experts conviennent que l’on ne reviendra pas, de sitôt, au niveau moyen des prix de 2021.
Déduction : les prix ne seront peut-être pas soumis à l’inflation dynamique mais ils ne s’orienteront à la baisse qu’à l’intérieur d’une fourchette dont le minima restera supérieur à la situation ex-ante.
Conséquence : l’érosion du pouvoir d’achat n’est pas terminée alors même que certains dirigeants clament que tout va bien pour les salaires.
Preuve par 9 : l’attitude de la BCE qui a décidé d’augmenter ses taux directeurs pour asseoir sa lutte contre l’inflation.
A cet égard, il est fondamental de prendre connaissance du Communiqué daté du 15 Juin 2023 émis par le Conseil des Gouverneurs.
» L’inflation ralentit, mais devrait rester trop forte pendant une trop longue période. Le Conseil des gouverneurs est déterminé à assurer le retour au plus tôt de l’inflation au niveau de son objectif de 2 % à moyen terme. Il a donc décidé, ce jour, d’augmenter les trois taux d’intérêt directeurs de la BCE de 25 points de base. La hausse des taux convenue aujourd’hui reflète l’évaluation actualisée par le Conseil des gouverneurs des perspectives d’inflation, de la dynamique de l’inflation sous-jacente et de la force de la transmission de la politique monétaire. Selon les projections macroéconomiques de juin établies par les services de l’Eurosystème, l’inflation globale devrait s’élever, en moyenne, à 5,4 % en 2023, à 3,0 % en 2024 et à 2,2 % en 2025. Les indicateurs des tensions sous-jacentes sur les prix demeurent robustes, même si certains laissent transparaître quelques signes d’affaiblissement. «
Pour ma part, je demeure réservé par le raisonnement qui consiste à retrancher l’alimentaire et les coûts énergétiques afin d’aboutir à une inflation dont le taux passé à l’essoreuse devient cosmétique et socialement plus acceptable.
L’économie politique est une science imparfaite mais pourquoi la travestir par des conventions hors de raison ?
La communication politique et ses exigences que je peux comprendre ne doit pas altérer la rectitude des chiffres reflet de faits parfois durs à accepter.
Concrètement, l’inflation est là pour durer et l’énergie demeure une variable potentiellement haussière. Il suffit de se rapporter à la dernière réunion de l’OPEP qui a décidé une contraction de la production qui pourrait fort bien se joindre aux impacts sur les cours de la contre-offensive en Ukraine et de la reprise d’une guerre de haute intensité.
Les aléas climatiques ( exemple : sécheresse en Espagne et conséquences sur les niveaux de productions agricoles ) vont nécessairement contraindre les chaînes d’approvisionnement. Nous sommes à l’aube de nouveaux chocs d’offre qui auront un impact sur l’inflation de 2024. La décélération ne me parait donc pas gravée dans le marbre, loin s’en faut.
Au demeurant, ces chocs d’offre viennent s’appesantir d’un phénomène de » mark-up » ( politique insistante de restauration des marges ) étudié il y a déjà 40 ans par Robert Boyer et Jacques Mistral.
Benoît Cœuré, président de l’Autorité de la concurrence, confirme la persistance de la pression inflationniste et considère qu’elle est due pour deux tiers au » comportement des entreprises » qui » augmentent leurs prix au-delà de leurs coûts « . Le jugement de cet homme pondéré à la tête d’une institution reconnue vient donc asseoir la légitimité du discours qui loge une large part de l’inflation dans un rattrapage outrancier des marges des grands groupes.
Gérard Seul, le regretté emblématique leader de la chaîne de distribution Euromarché avait déployé la même démonstration peu avant son rachat par Carrefour.
L’informatisation devrait pourtant permettre de » suivre le bœuf » pour reprendre le slogan de la célèbre campagne du ministre Missoffe. Mais rien n’y fait et la transparence des structures de prix demeure très et trop relative.
S’agissant de la croissance, on relève des reculs en volume ( de près de 4% ) dans l’alimentaire ce qui traduit l’inquiétude des Français et concrétise la notion passe-partout de fin de mois difficiles.
Alors que 2023 devait présenter un taux de croissance supérieur à 1,5%, les derniers ajustements – exacts sur le fond – de l’Institut Rexecode augurent d’un taux de 0,4%.
L’Allemagne est quant à elle en récession avérée et chacun sait que cela aura un impact sur notre économie.
Le deuxième semestre sera donc celui d’une décélération éphémère de l’inflation et d’un net tassement de la croissance.
Le Gouvernement aura donc la lourde tache d’élaborer un PLF 2024 dans un contexte conjoncturel plus complexe qu’envisagé.
A peu de décimales près, la France vogue – hélas – vers des temps de stagflation ce que nombre d’économistes de banques envisagent avec chaque jour plus de netteté.
Dans cette perspective, le déficit budgétaire de 2024 risque d’excéder 120 milliards d’€uros ce qui fera franchir à notre pays le seuil des 3.000 Mds de dettes dont une partie contenue relève du pilotage de l’ère du président Macron.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique