La République en marche vient de dévoiler les trente noms de la liste LREM-MoDem-Agir pour les élections européennes de mai. Derrière Nathalie Loiseau et Pascal Canfin, des proches d’Emmanuel Macron et Edouard Philippe, des élus locaux, des personnes issues de la société civile. Frédéric Saint Clair, analyste politique, nous éclaire sur le sens de cette liste.
A peine parus les trente noms composant la liste de La République en marche et du MoDem pour les élections européennes, les critiques ne se sont pas fait attendre. Les Républicains y voient une liste pétrie de contradictions quand Marine Le Pen estime que cette liste c’est la « Foir’Fouille ». Ailleurs, on trouve les qualificatifs de « potpourri » ou « d’auberge espagnole » – la principale critique portant sur la présence de Pascal Canfin, ex-ministre de François Hollande, ex-président de WWF, ex-député européen EELV, ex-critique de la politique écologique d’Emmanuel Macron, et désormais rallié à LREM pour incarner la « Renaissance ». Que l’on soit pour ou contre la politique d’Emmanuel Macron, il est néanmoins aisé de comprendre les raisons pour lesquelles cette liste suscite la critique…
Le point de vue du parti majoritaire est cependant à prendre en considération. Car nombreux seront les Français qui feront fi des habituelles piques de l’opposition pour apprécier que différentes sensibilités de droite comme de gauche, du centre comme de la société civile, aient le désir de dépasser leurs différences pour se mettre au service d’un projet européen unique. Car, pour cette élection comme pour l’élection présidentielle de 2017, c’est bien le nom d’Emmanuel Macron qui constitue le point fixe autour duquel gravite tout le système partisan « En marche ! ».
Les noms présents sur la liste LREM ne sont pas d’une importance négligeable, mais ils constituent davantage un signal directionnel plutôt qu’un point de ralliement.
Par exemple, nul ne se soucie vraiment de la vision de Pascal Canfin sur l’écologie, et donc non plus de ses critiques d’hier à l’encontre du Président, car Pascal Canfin est une prise de guerre qui n’a d’autre objet que de souligner la volonté d’Emmanuel Macron de dire aux Français qu’il entend renouer avec l’écologie, après le départ très médiatisé du très médiatique Nicolas Hulot. L’agriculture, autre thème central, surtout vu les interrogations liées au bénéfice discutable que la France tire actuellement de la Politique agricole commune, est en quatrième place, ce qui constitue également un signal fort. Entre les deux, un marqueur Modem, en la personne de Marie-Pierre Vedrenne, destiné à rappeler que l’alliance avec le Modem n’est pas que de façade. La droite juppéiste est également présente, avec Fabienne Keller et Gilles Boyer. Une autre façon pour Emmanuel Macron de rappeler à son électorat, ainsi qu’à ceux qui seraient tentés par l’option François-Xavier Bellamy que : la droite libérale et modérée, c’est ici ! Ensuite, deux personnalités européennes, grecque et italienne, rappellent le désir ancien du Président de constituer des listes transnationales. Etc.
Le programme ? Il ne sera bien entendu pas fixé par Nathalie Loiseau, tête de liste, diplomate, ancienne ministre chargée des Affaires européennes, ni par le patron de La République en marche, Stanislas Guérini. Le programme a été diffusé dans la presse de tous les Etats membres de l’UE il y a quelques semaines. Il tient en quatre pages. Le nom de la liste LREM : « Renaissance européenne », bâtie « autour de trois ambitions : la liberté, la protection et le progrès », en est d’ailleurs issu. Un objectif unique, donc, pour les trente noms présents sur la liste : expliciter le contenu de la lettre.
Que signifie cette lettre ? Que signifie ce programme ? Est-ce, comme l’opposition le prétend, la marque d’une vision béate de l’Europe, qui consiste à dire : « tout va bien, ne changeons rien » ? Cette critique porte court.
Car Emmanuel Macron est en réalité bien plus offensif que cela ; plus dangereux même, en tout cas pour tous ceux qui sont attachés à la souveraineté nationale.
Et sa pensée est également bien plus structurée politiquement que celles des ultra-libéraux prônant une Union fondée sur le principe autorégulateur du Marché.
Le livre que s’apprête à publier Bruno Le Maire : Le nouvel Empire, l’Europe du XXIème siècle, destiné à appuyer la pensée de son nouveau mentor, après Villepin et Sarkozy, lève un coin du voile : Emmanuel Macron ne croit pas en l’Etat-nation. Cette forme politique, dont le concept a émergé au tournant des Lumières, est aujourd’hui dépassée selon lui. Le Brexit est d’ailleurs le meilleur symbole de l’échec d’une tentative de « retour aux frontières du passé ». Dans sa lettre, Emmanuel Macron questionne plus largement : « Qui peut prétendre être souverain, seul, face aux géants du numérique ? », mettant ainsi en équation l’impuissance du concept de « souveraineté nationale » et le contexte mondialisé actuel, un contexte ou des « Empires » tels que la Chine, l’Inde, la Russie et les Etats-Unis se partagent le gâteau de la mondialisation. La réponse qu’Emmanuel Macron apporte aux défis du monde est fédérale, et donc éminemment politique : L’Europe comme « nouvel Empire » ; un empire dénué de souveraineté au sens premier du terme, et donc fondé sur une puissance presque exclusivement normative.
Emmanuel Macron a ainsi, en un certain sens, raison de penser que la liste du Rassemblement national conduite par Jordan Bardella est son véritable opposant ; car celle-ci traduit plus distinctement que celles du PS, d’EELV ou de LR, l’autre façon d’injecter du politique dans les problématiques européennes, non pas en conférant à l’UE une structure fédérale, mais en revenant à la structure nationale, en réhabilitant l’Etat-nation, seule forme politique ayant, dans l’histoire récente, fait la preuve de sa stabilité et de sa pérennité. Cette polarisation du débat, entre deux visions politiques du « grand espace » européen semble rencontrer la polarisation des intentions de vote que traduisent les sondages. Cette polarisation justifie non seulement que la liste LREM puisse ressembler à une auberge espagnole – car on comprend bien désormais que les convictions partisanes nationales puissent céder momentanément le pas à une vision européenne « impériale » et « fédérale » bien plus large et déterminante – mais elle justifie aussi, pour cette élection au moins, l’abandon de l’opposition traditionnelle droite/gauche, au profit d’une autre opposition.
Une opposition que la macronie qualifie, à des fins électoralistes, de « progressistes vs populistes », et qui est en réalité une opposition « fédéralistes vs souverainistes ».
Cette opposition aura pour but de permettre aux Français de trancher une question absolument déterminante : Où doit être concentré, à terme, le pouvoir politique, dans un « Empire » européen ou dans l’Etat-nation ?
Frédéric Saint Clair
Analyste politique