Guy Lardeyret examine la crise des démocraties contemporaines et propose des réformes pour améliorer leur fonctionnement. Il insiste sur la nécessité d’un chef de l’État compétent, d’une stricte séparation des pouvoirs, et d’un mode de scrutin majoritaire. L’objectif est de rétablir la confiance des citoyens et d’assurer une gouvernance plus stable et efficace.
La plupart des pays dits démocratiques sont aujourd’hui en crise. Pour qu’ils puissent en sortir, deux conditions doivent être réunies. Il faut tout d’abord qu’il existe un authentique chef de l’Etat, un arbitre suprême, apte à jouer pleinement son rôle. Il faut ensuite pour qu’il puisse remédier aux problèmes posés, autrement dit qu’il connaisse parfaitement les rouages du régime dont il a la charge. C’est possible depuis que le modèle démocratique a été explicité dans toute sa rationalité. Pour le mettre en lumière de façon quasi scientifique, il fallait attendre que l’histoire de l’humanité, désormais connue, puisse servir de laboratoire et que la nature du bon régime puisse être extraite du magma des faits. Le travail a été réalisé 1.
Le constat est sans appel. La démocratie n’est pas en cause, encore moins en crise, ce sont lesdits régimes qui n’ont pas achevé leur mutation politique. Il s’agit du régime naturel à l’espèce humaine, car il répond très exactement aux besoins des hommes. Leur comportement étant conflictuel, et même grégaire, mais non programmé par la nature, il faut donc confier à une autorité supérieure – l’Etat – un pouvoir exclusif de coercition pour fixer des règles permettant de résoudre pacifiquement les conflits. Il y parvient au moyen d’un adjuvant magique, le droit, au sens premier du terme : « ce qui est juste ». Il existe ainsi des lois du politique de portée universelle qui permettent aux hommes d’atteindre à la paix sociale.
Une fois établi ainsi le lien entre théorie et pratique, deux siècles d’expérience auront suffi – une tâche qui incombe à l’ingénierie démocratique – les « droits de l’homme » mutent de l’état virtuel à la réalité de droits du citoyen. Un jeu savant de relations de pouvoir reconstitue toute l’économie du système. Tous les Etats peuvent en tirer les enseignements voulus pour améliorer leur efficacité, quelle que soit l’aire culturelle à laquelle ils appartiennent. L’idéal politique devient accessible à tous. Nous comprendrons mieux dans le même temps l’origine lointaine des maux contemporains, auxquels il est désormais possible de porter remède.
En confiant hier aux gouvernants le soin de fixer eux-mêmes les règles du jeu politiques, faute de pouvoir faire autrement, on s’exposait à un risque. Leurs intérêts ne coïncident pas en effet tout à fait avec ceux du citoyen. Ils ont une propension naturelle à croire qu’une élection sert à compter leurs partisans, que les bonnes décisions surgissent spontanément des débats entre eux, ou encore que la détermination du périmètre étatique doit être laissée à leur libre appréciation. Il fallait donc s’attendre à des déconvenues. La défiance des citoyens envers leurs institutions a fini par naître de faits de mal-gouvernance qui ne sont pas sans cause.
Depuis que les principes de la démocratie sont clairement identifiés, la donne a changé. Les règles du jeu politiques peuvent être fondées désormais sur la rationalité du modèle démocratique.
L’importance du mode de scrutin
Le modèle démocratique, un pur produit de la raison, est d’une grande simplicité. Contrairement à l’idée reçue, l’élection des gouvernants – elle existait déjà à Rome – ne constitue pas son trait dominant. La nature du bon régime se reconnaît à l’existence d’une stricte séparation entre une sphère privée et une sphère publique, qui obéissent à des logiques très différentes. Dans la première, les citoyens sont maîtres de leurs choix pour toutes les affaires qu’ils sont capables de gérer eux-mêmes – c’est la « démocratie directe » en quelque sorte – tandis que dans la seconde, le recours à la contrainte – le mode opératoire de l’Etat – se décide à la majorité, sous la responsabilité de délégués du citoyen élus de la même façon.
Le système ne peut bien fonctionner néanmoins que si une authentique majorité se dégage sur la place publique, alors même que les citoyens ne sont d’accord à peu près sur rien. La solution a été trouvée empiriquement. Si tout un chacun est appelé à élire sur son lieu de vie un délégué et choisit un candidat ayant une chance de l’emporter, la réunion de ces élus donnera naissance à deux grandes forces politiques, en vertu d’une loi mathématique selon laquelle seuls deux partis peuvent durablement concourir à la conquête de la majorité des suffrages exprimés. Le parti battu formera une opposition unie prête à prendre la relève. On assistera à une alternance entre deux pôles d’attraction, l’un symbolisant l’aspiration aux libertés, l’autre l’aspiration à l’égalité, l’esprit de fraternité réconciliant les deux camps dans leur intérêt mutuel.
S’ils jouent l’un et l’autre correctement leur rôle, la dose optimum d’Etat nécessaire à la bonne marche de la société s’impose d’elle-même. C’est la raison pour laquelle le mode de scrutin dit majoritaire (à un seul tour) est consubstantiel à la démocratie. La question centrale de tous les débats politiques est alors tranchée : savoir où placer la frontière précise entre les sphères privée et publique. Trois autres exigences sont par ailleurs remplies. Les tenants du Tout-Etat, les dictateurs en herbe, sont écartés du paysage électoral ; le pouvoir s’enracine non pas dans une personne, mais dans une majorité parlementaire, aptes à changer le chef du gouvernement s’il s’éloigne de la ligne fixée ; et le mode de scrutin, facile à comprendre, donne au citoyen le pouvoir de décider en dernier ressort sur tous les sujets quel que soit l’échelon considéré, de l’échelon local jusqu’au niveau planétaire.
Il en va différemment si l’on répartit les sièges d’une assemblée en proportion des suffrages exprimés. D’apparence plus juste, le système fait la part belle aux chefs de faction, quasi sûrs d’être élus et même réélus en cas d’échec. Ils forgent de toutes pièces après le scrutin une majorité fictive, sans être certains de pouvoir gouverner car ils poursuivent des objectifs différents, parfois même opposés. Pire, les plus radicaux sont favorisés, ce qui peut se révéler très dangereux. C’est ainsi que, sous couvert de démocratie, les nazis sont parvenus au pouvoir en Allemagne, les fascistes en Italie et des marxistes au Chili. Un conflit ouvert entre les partis extrémistes des deux bords de l’échiquier électoral peut même déboucher sur une guerre civile, comme cela s’est produit en Espagne dans les années 1930.
Une simple dose de ce mode de scrutin génère l’instabilité et la fragilité gouvernementale, car elle empêche l’émergence d’une authentique majorité. Les Israéliens ne sont pas le seuls à en témoigner. Voilà comment l’image de la démocratie s’est ternie dans toute l’Europe. On peut même y voir la cause principale de la régression de la démocratie à travers le monde depuis plusieurs décennies. Il a favorisé l’avènement d’Erdogan en Turquie, l’émergence d’un parti quasi unique en Afrique du Sud, sans parler du chaos en Irak, en Afghanistan et en Tunisie, où les constituants ont mis deux ans à faire avorter le « printemps arabe » en commettant la même erreur. Démocratie ne rime pas avec multipartisme, mais avec bipolarité. La pluralité des opinions n’est en rien menacée. Les plus radicaux devront se fondre dans un parti dont le programme est acceptable par une majorité. Il est grand temps d’affranchir la communauté internationale sur ce sujet capital.
Nous disposons là d’un premier levier pour redonner du souffle aux pays démocratiques. Les partis de gouvernement, véritables services publics avant la lettre, constituent les deux premiers piliers d’une démocratie. Leur caractère non étatique illustre le fait que l’Etat et les marchés sont les deux faces d’une même médaille, car la sélection naturelle joue d’abord pour la recherche des meilleures institutions. La raison voudrait que, pour être bien gérés, ces partis soient placés sous le contrôle direct des citoyens eux-mêmes, un financement public direct étant possible sous une limite fiscale, les plus pauvres pouvant bénéficier de bons politiques. Si le choix de leur mode de financement devait revenir aux chefs de parti eux-mêmes, ils opteront pour leur abondement par le Trésor public, une solution de facilité qui contribuera à leur discrédit.
Le manque de réflexion en amont de la prise de décision
Il existe une seconde condition à remplir pour qu’une démocratie puisse bien fonctionner. Il faut que les élus puissent identifier l’intérêt commun quand un problème politique se pose.
En théorie, les choses sont simples. C’est aux élus de décider. Plus on s’éloigne toutefois du niveau local, plus les problèmes sont difficiles à appréhender et plus la pertinence des choix dépend de la qualité du processus décisionnel. La production de la loi justifie par exemple à elle seule l’intervention de sept acteurs différents2. Les candidats en lice font valoir qu’ils se battent pour des idées, mais, s’ils croisent le fer, c’est avant tout pour accéder à des positions enviables. Une fois arrivés aux commandes, l’expérience montre qu’ils naviguent à vue, se tournent vers les bureaux, quand ils ne décident pas sous l’influence d’une opinion publique formatée par les médias, qui sont eux-mêmes soumis à des activistes, aveuglés souvent par une idéologie irrationnelle.
Au-delà du niveau territorial, l’apport des élus gagnerait à être requalifié dans deux domaines : la capacité de jugement, sensée garantie par leur parcours antérieur, et l’aptitude à communiquer, utile pour se faire élire, mais surtout pour convaincre les citoyens des mesures souhaitables – tout l’art du politique consiste à rendre politiquement acceptable les décisions qui s’imposent. Ces deux facultés étant assez répandues, elles ne relèvent pas d’un domaine d’expertise précis. Les mandats n’ont donc pas pour objet de procurer un emploi à quelques privilégiés. L’idée de métier, que se plaisent à défendre ceux qu’on pourrait qualifier d’élus professionnels parce qu’ils vivent de leurs mandats électifs, n’est guère recevable. Il faut donc empêcher toute appropriation de ces mandats, autrement dit mettre fin au carriérisme.
Si faire de la politique permet de vivre jusqu’à la fin de ses jours, certains s’inviteront très jeunes dans les cercles du pouvoir. Une fois dans la place, ils sont enclins à privilégier leur intérêt personnel pour conserver leur statut. La rémunération des élus constitue donc le nœud du problème. Une solution simple consisterait à verser aux élus nationaux une indemnité compensant une perte de revenu non plus supposée mais effective. Au-delà d’un viatique suffisant pour tenir son rang, l’éventuel manque à gagner sera compensé par un prélèvement sur un compte dit d’épargne civique, sorte de cagnotte défiscalisée spécialement constituée3. Comme celle-ci ne manquera pas de s’épuiser, on assistera au renouvellement du personnel politique.
La compétition politique pourra alors être centrée davantage sur la recherche de l’expertise, la denrée rare par excellence. La mal-gouvernance s’explique par la difficulté de satisfaire à cette exigence. A défaut d’un débat contradictoire entre experts pour éclairer les décideurs publics sur le fond des dossiers, le vide est occupé par d’autres. De prétendus justiciers s’approprient les micros pour tirer parti de l’audience captive des mass médias et se rendre populaires à moindre frais. Au sein des bureaux, règne par ailleurs une puissante corporation de décideurs publics, inamovibles et inconnus du grand public, qui informent, conseillent, décident, appliquent, contrôlent et évaluent les politiques publiques. Les gouvernants ont cédé le pouvoir à des supplétifs devenus des permanents politiques. Il faut se rendre à l’évidence : on a mal identifié la nature des besoins à satisfaire dans le processus de décision.
Plus les problèmes sont compliqués, plus le niveau d’abstraction des débats s’élève, plus les personnes aptes à trouver solution aux problèmes sont rares et plus il faut recourir à la loi du marché pour que les meilleurs l’emportent. L’appel à des titulaires d’un statut d’expert à vie dans les arcanes du pouvoir a fait long feu. La tâche à accomplir est différente de la mise en œuvre des politiques publiques. Une nouvelle catégorie de praticiens, d’un profil nouveau, donnera naissance à un espace concurrentiel de l’expertise politique. Ils pourront s’appuyer non plus sur des subalternes ou des hommes de l’ombre, mais sur des ingénieurs en démocratie, des centres de réflexion et des cabinets d’expertise législative, tous indépendants des pouvoirs publics. Financés d’abord par les citoyens eux-mêmes – comme les partis – ils engageront leur propre réputation au risque d’être écartés du marché.
L’hypertrophie étatique
Il restera encore à lutter contre la troisième maladie infantile des régimes démocratiques, le clientélisme. La question première posée aux décideurs publics est celle de la pertinence de l’intervention étatique. Le danger est bien réel car, l’Etat s’incarnant dans des humains, il est tentant pour eux d’élargir l’espace public pour accroître leur pouvoir, décider à la place des gens et attribuer au passage des emplois protégés à leurs partisans. Le pouvoir politique est alors détourné au profit d’intérêts particuliers. Quand le travail exercé ne relève pas de l’Etat, il existe un conflit d’intérêt entre le statut d’agent public et celui d’électeur. A quoi bon user de la contrainte quand elle n’a pas lieu d’être ?
On a affaire à la cause principale de l’hypertrophie étatique. Vénérer l’Etat au nom du bien commun est une qualité civique, à condition qu’elle ne soit pas la contrepartie d’une rente, d’un apanage ou d’un emploi public. Quand les sommes prélevées excèdent 50 pour cent de la richesse nationale, la moitié des citoyens vit de ponctions opérées sur l’autre moitié. Nous assistons sous la pression de minorités actives, surtout rusées, à l’émergence d’une société à deux vitesses, où les plus protégés bénéficient des bienfaits de la concurrence, tout en refusant qu’elle s’applique à eux-mêmes. L’utilité commune d’une activité ne justifie en rien la création d’un monopole, dont les usagers sont alors soumis au bon vouloir de la coalition de ses bénéficiaires, dont les salaires deviendront supérieurs à ceux du marché.
S’ils n’y prennent garde, les gouvernants confondent gestion étatique, laquelle bien souvent ne se justifie pas ; et financement public, qui peut s’opérer par les citoyens eux-mêmes en déduction fiscale, à condition que la liberté d’initiative s’applique également aux domaines d’intérêt commun. C’est ainsi que les universités françaises, faute de pouvoir être gérées par leurs dirigeants, ont été distancées par leurs homologues américaines dans quasiment toutes les disciplines, y compris dans le domaine de l’histoire, bien que le pays en soit moins pourvu. A l’heure où la fuite des cerveaux s’intensifie, des remises en cause s’imposent si l’on veut relever le niveau de la recherche et de l’enseignement, et redorer le blason du pays.
Les économistes de l’école du Public Choice – titulaires de plusieurs Prix Nobel – se sont penchés sur la question. Un Etat, délesté des activités qui ne requièrent pas l’usage de la contrainte, peut être financé selon eux avec 20 pour cent de la richesse nationale. S’il exerce lui-même les prestations dont il a la charge pour en contrôler la qualité, l’Etat réalise de surcroît des économies car les agents publics, qui bénéficient d’une sécurité d’emploi et du prestige attaché à la fonction – qui ne les oblige pas à rechercher des clients – acceptent des salaires inférieurs à ceux du privé. Un Etat soucieux de ne pas dilapider les deniers publics doit donc veiller à ce que les salaires du secteur public soient inférieurs à ceux du marché, pour ne pas devoir recourir sinon ensuite à la sous-traitance, au grand dam alors des agents publics.
Les obligations de l’Etat en matière réglementaire sont peu coûteuses et très productives. Même en matière de prévoyance, où il est facile de susciter des peurs et d’attiser la jalousie à l’égard d’entrepreneurs potentiels, les gouvernants ne doivent se laisser abuser. La santé n’a pas de prix mais elle a un coût. La solidarité mutuelle entre malades et bien-portants joue par la voie de l’assurance, qui n’est pas une fonction étatique. Même si l’Etat peut prendre en charge des risques exceptionnels – comme les catastrophes naturelles – la solidarité nationale lui commande de prévenir le risque d’imprévoyance d’un trop grand nombre, qui tomberont sinon à la charge d’autrui. La solution passe par une obligation minimum d’assurance. Si les gouvernants libèrent les citoyens de leur devoir de prévoyance en matière de maladie et de perte d’emploi par exemple – pour un profit électoral quasi certain, mais par un choix de courte vue – on assistera à d’importants gaspillages, synonyme de pertes de pouvoir d’achat et de chaîne des responsabilités devenue illisible.
Il existe d’autres moyens que le monopole, générateur de rentes de situation, pour faciliter l’accès aux soins médicaux, à un revenu minimum ou encore à l’instruction. La redistribution de la richesse, légitime pour des raisons d’équité, s’opère par la répartition des charges communes selon la capacité contributive de chacun. L’assistance publique en fait partie, à condition qu’elle s’adresse aux plus faibles, somme toute une petite minorité. Il importe donc de ne pas mêler sous le même vocable de droits, les libertés fondamentales et les avantages sociaux qui relèvent du devoir d’entraide. Quand il fait œuvre de bienfaisance, l’Etat le fait au titre de la charité et non de la solidarité, une notion qui implique un lien de réciprocité entre les parties. Un devoir n’est pas un dû, donc pas un droit. Le respect du sens des mots, quant à lui, fait partie des règles du jeu essentielles. La protection attendue de l’Etat, autrement dit la sûreté, relève d’un tout autre ordre. Elle s’obtient en veillant à instaurer les conditions d’un monde non-violent.
Les gouvernants font également fausse route quand ils exonèrent les citoyens du souci d’épargner pour leurs vieux jours, ce qui l’oblige l’Etat à réaliser un emprunt forcé pour payer leurs pensions – sous la forme d’impôts ne disant pas leur nom, que les générations futures devront rembourser. Vu les niveaux d’endettement atteints par certains pays dits riches, le coût des dettes ainsi contractées est devenu l’un des principaux postes du budget de l’Etat. Non seulement l’EtatProvidence, qui visait hier à contrecarrer la propagande des partisans du Tout-Etat – les ennemis de la démocratie – réduit le pouvoir d’achat des salariés et il fait planer le spectre d’un risque systémique. Quand les caisses de retraite sont fictives et non provisionnées, les Etats sont menacés de faillite. Ils ne pourront pas compter sur des réserves de gaz et de pétrole, comme la Russie à la chute de l’URSS, si les taux d’intérêt s’envolent.
Réinitialiser la démocratie
Il reste à savoir comment remettre l’Etat dans le droit chemin et réconcilier les citoyens entre eux, déboussolés qu’ils sont devenus sous un bombardement d’idées abstraites – quand ce n’est pas d’une idéologie distillant la haine entre catégories sociales, avec le soutien de l’Etat et des mass médias. La solution passe par l’adoption d’une constitution pleinement aux normes de la démocratie, qui doit posséder deux chambres différentes. Avant que l’assemblée législative puisse fonctionner, les règles du jeu politiques doivent être conformes au modèle démocratique, ce qui suppose qu’elles aient été non pas établies les gouvernants eux-mêmes, mais par des mandataires du citoyen aptes à les représenter dans l’exercice de leur pouvoir constituant.
Seule l’existence préalable d’authentiques chambres Hautes au sein des pays démocratiques permettra de s’assurer que les procédures mises en place ne généreront pas des lois contraires aux principes fondamentaux4. Ces hautes assemblées seront composées, non pas d’élus, car ils doivent être étrangers aux débats partisans, mais de véritables Sages, libres de tout intérêt catégoriel. Ils ne seront pas recrutés par les partis comme les candidats aux élections, pour leurs opinions et leur talent oratoire, ni élus à la simple majorité, mais, par de hauts magistrats agissant au nom des citoyens réunis en corps, pour leurs états de service et leur expertise en matière de sciences morales et politiques, afin qu’ils puissent statuer sur le fondement des principes de portée universelle.
Ils décideront aussi bien des procédures de nomination des juges, que du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, ou encore des règles de déontologie appelés à s’appliquer dans la sphère médiatique, de sorte que la raison puisse y retrouver le primat sur les émotions. Ils géreront également le « budget politique de la nation », un poste de dépenses qui risquerait sans cela de devenir incontrôlable – il ne pourra plus être reproché aux parlementaires de puiser à leur guise dans le budget national. Ils disposeront d’un droit de veto opposable aux lois jugées inacceptables, afin de prévenir les foucades toujours possibles d’une assemblée unique – ce qui rendra inutile une seconde assemblée législative. Nul doute que les Sages seront également capables de désigner l’homme ou la femme ayant toutes les capacités requises pour exercer la fonction de chef de l’Etat.
Nous disposons là d’un début de réponse à la question de savoir comment rétablir la confiance des citoyens envers leurs institutions. Il reste à savoir comment favoriser l’émergence d’authentiques chambres hautes dans les pays dits démocratiques. Les institutions relevant de la stricte compétence des citoyens eux-mêmes, la raison voudrait qu’un collège de personnalités éminentes s’accordent à faire chorus pour entériner la définition du concept de démocratie, devenue incontestable. Les gouvernants, prenant acte des attentes des citoyens en mal de démocratie, ne tarderont plus à participer eux-mêmes à la refondation politique qui s’impose. Les conditions auront été réunies pour que les pays dits démocratiques puissent enfin sortir du marasme.
L’idéal serait qu’un grand pays démocratique ouvre la voie. La France, à nouveau au bord d’une crise de régime, peut y prétendre. La référence sempiternelle de ses gouvernants aux « valeurs républicaines », toujours mises en avant sans être jamais définies, renvoie au concept de démocratie, enfin clairement explicité. En étant la première à tirer parti des derniers progrès de la technologie politique, dévoilés sur son propre territoire, elle enclencherait la dynamique salutaire. Tous les espoirs sont donc permis. La constitution de la démocratie française pourrait demain faire école bien au-delà de ses frontières.
Guy Lardeyret,
Président de l’Institut pour la démocratie
- Pour un résumé des derniers progrès de la connaissance en la matière, se reporter au Précis de philosophie politique de Jean Baechler, Ed. Hermann, Paris 2013. ↩
- Pour un résumé des derniers progrès de la connaissance en la matière, se reporter au Précis de philosophie politique de Jean Baechler, Ed. Hermann, Paris 2013. ↩
- Un mécanisme de ce type est décrit dans Guy Lardeyret, Relever la France, les dix remèdes, Institut pour la démocratie, 2011. ↩
- Le lecteur trouvera un exemple de préambule résumant les principes de la démocratie à la fin de l’article Réinitialiser la démocratie, Guy Lardeyret, Revue politique et parlementaire, Eté 2022. ↩